Arcachon Jazz Festival 2024

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par Christine Moreau et Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Troisième édition du festival de jazz d’Arcachon organisé par la ville et le théâtre Olympia en collaboration avec le Jazz Hot Club du Bassin d’Arcachon et Action Jazz sous la direction musicale de Guillaume Nouaux.

Tous les soirs deux concerts indépendants, un premier à 18h30 dans l’espace Arlequin du théâtre, un second dans la magnifique grande salle.

  • Jeudi 5 décembre : Django doublement à l’honneur

Claribol Stompers

Denis Girault : clarinette / Geoffroy Boizard : guitare solo / Eddie Dhaini : guitare rythmique / Nicolas Dubouchet : contrebasse / Yann Vicaire : batterie

Claribol, la clarinette en argot musicien, to stomp, taper du pied en marquant le rythme, on a compris l’idée. Effectivement le jazz des Claribol Stompers se veut proche de la danse, de la bonne humeur le tout avec une exigence de qualité musicale. Django est une de leurs références, la principale, plutôt la période après guerre quand la guitare du maître s’était électrifiée. Pour autant ils proposent aussi leurs propres compositions comme le swing sautillant « Intrigue » des standards légendaires tels « I got Rhythm » ou « Lady be good » intégré à une création. Surprise avec un bonbon pour les grands enfants que nous sommes tous un peu avec « Trust in me », le fameux « Aie confiance » ; Kaaribol pour l’occasion et une version bien ondulante. Django on le retrouve avec « Swingtime in Springtime » « Dinette », « Topsy », « Manoir de mes rêves », « Anniversary song »… Final à la russe avec « Plaine oh ma plaine » enchaîné sur une conclusion klezmer. Les arrangements sont parfaits, la clarinette bien sûr est très présente avec un Denis Girault en pleine forme, jouant presque à domicile, Geoffroy Boizard impeccable dans le rôle de Django, Eddie Dhaini en soutien mais aussi s’autorisant quelques solos et une rythmique solide autour de Nicolas Dubouchet aux interventions en slap toujours spectaculaires et Yann Vicaire alternant légèreté aux balais et énergie aux baguettes. Un très bon set acclamé par le public de l’Espace Arlequin affichant complet.

Génération Django

Edouard Pennes : contrebasse / Romain Vuillemin, Fanou Torracinta, Sébastien Giniaux : guitares solos / Julien Cattiaux : guitare rythmique / Robert Fish : clarinette

Quatuor à cordes : Jules Dussap : 1er violon, Alexandre Vu : violon / Gabrielle Lafait : violon alto / Apolline Lafait : violoncelle.

La scène est ornée de grands parapluies, est-ce que c’est parce qu’il va pleuvoir des cordes ? Des cordes de guitares, de violons, de violoncelle, de contrebasse !

Ce projet a vu le jour grâce au contrebassiste Edouard Pennes. Conçu en hommage à Django Reinhardt il doit son originalité à la présence d’un quatuor à cordes qui va lui donner une couleur différente. On retrouve une formation traditionnelle de swing manouche, une clarinette – pas toujours – une guitare rythmique, une contrebasse et bien sûr une lead guitare ; une seule à la fois, Romain Vuillemin, Fanou Torracinta et Sébastien Giniaux venant sur scène à tour de rôle. Bonne idée car chacun possède son propre style.

Romain Vuillemin débute avec « Dinette » dont il nous rappelle la genèse. Django resté en France sous l’Occupation continuait à jouer mais les standards américains étant interdits par l’occupant il avait modifié légèrement « Dinah » en gardant les mêmes accords pour la camoufler en « Dinette ». Romain est très véloce et propose des solos météoriques truffés de citations comme dans une version très onctueuse de « Manoir de mes rêves » qui se termine de façon explosive sous le regard épaté du quatuor classique. Voilà « Songes d’automne » composé par le chef d’orchestre anglais Archibald Joyce et qui faisait partie du répertoire de l’orchestre du… Titanic; Django le jouait en 4 temps, eux reviennent à la valse en trois temps initiale. Habilement ce n’est pas le quatuor qui s’enjazze mais le trio qui s’enclassique. Que c’est bien ces styles musicaux qui se fréquentent ainsi !

Au tour du guitariste corse Fanou Torracinta – plusieurs fois chroniqué dans ce blog – de venir étaler son talent car il en a à revendre. Chaque titre qu’il va proposer va débuter par un solo virtuose improvisé, prenant des sentiers tortueux – comme le GR 20 – pour arriver au thème où les autres le rejoignent. Tiens voilà « J’attendrai », on ne l’avait pas vu venir, il y fait réellement chanter sa guitare. La « Valse à Django » et un solo grappellien de Jules Dussap, grand violoniste classique imprégné aussi de jazz et de swing. « Tiger rag » atomique le quatuor et les autres chassant le tigre avec énergie, guidés par un Fanou survolté. Que cet apport du quatuor à cordes est intéressant, ajoutant de l’onctuosité, des harmonies superbes, des contrepoints originaux.

C’est maintenant Sébastien Giniaux une sorte de colosse débarquant avec sa marinière et son pantalon retroussé peut-être juste descendu d’une pinasse arcachonnaise. Une entrée remarquée pour une prestation qui ne le sera pas moins. Ce musicien est plein de fantaisie, fantasque même , il se joue de sa guitare avec un talent fou. Le voilà parti dans un thème où on capte un clin d’oeil à « l’hymne à l’amour » et alors le guitariste se fait guitarisque, tout en jouant il désaccorde son instrument, s’amuse à jouer faux, vraiment faux, puis imperceptiblement le raccorde pour arriver à une justesse parfaite, comme ça à l’oreille sans accordeur. Il enchaîne ainsi sur une ballade à la mélodie précise flottant sur une rivière de cordes ; on perçoit un peu de « The Man I Love » . « Vamp » puis « Troublant Boléro » de Django où il arrive à nous caser « Il tape sur des bambous » au milieu de sons insolites tirés de sa guitare. Voilà « Rythme Futur » un titre atypique de Django, certainement d’avant garde en 1940. La clarinette s’y veut Klezmer et les cordes jaillissent de partout, sans tambour ni trompette. « Swing 48 » plein de blues pour finir, ou presque.

Car ce que tout le monde attend c’est de voir sur scène les trois guitaristes en même temps, ils ne peuvent pas y échapper ! On va être servis, très bien même. Le rappel donc, commence avec « Minor Swing » un des hymnes de Django où on a droit sur un pompe rythmique survoltée à un festival bouillonnant de cordes, des citations dans tous les sens, « Les parapluies de Cherbourg » de circonstance , « Les feuilles mortes » de saison… Que tout cela est éblouissant ! Et ce n’est pas le second rappel avec « Les yeux noirs » qui va faire baisser les vivas du public arcachonnais enfin libéré de sa timidité initiale.

Éternel Django qui grâce notamment aux deux groupes de ce soir file vers l’éternité.