Arcachon Jazz festival 2024
#2/3
Par Christine Moreau, photos Philippe Marzat
vendredi 06 Décembre 2024
Asura : Un talent affirmé.
Pour cette deuxième journée de festival, l’association Action Jazz était particulièrement heureuse de retrouver Asura dans l’espace Arlequin où les arcachonnais s’étaient pressés en nombre.
Le quartet réunit Martin Arnoux à la guitare électrique et aux compositions, Pierre Thiot au saxophone soprano, Octave Potier à la contrebasse et Simon Jodlowski à la batterie. Depuis sa victoire au 11ème tremplin d’Action Jazz en janvier 2024, la jeune formation a capté l’attention des programmateurs de spectacles et s’est produite dans de prestigieux festivals tels Vienne, Soulac, Anglet, Limoges ou encore le Pôle Évasion d’Ambarès. La liste n’est bien évidemment pas exhaustive.
Les quatre musiciens s’adaptent toujours parfaitement à la configuration des lieux et savent soigner leur entrée. Ils arrivent sur scène l’un après l’autre arborant un dress- code sombre pour faire vibrer leurs instruments et nous accueillir sur une de leurs plus belles compositions Monsieur plus où ils plantent le décor d’un univers musical empreint de mélodies ciselées avec finesse, aux confins du jazz, du blues et de la pop.
Au fil des concerts, le jeu d’Asura s’est de plus en plus affirmé et libéré, les morceaux se sont enrichis de chorus inventifs et inspirés. Afin de souligner les contours de leur propos, les musiciens utilisent parfois, et à bon escient, une pédale à effets comme sur Vagues pour suggérer le vent, la houle. Nous sommes séduits par l’amplitude d’une écriture qui esquisse des tableaux, convoque des paysages sonores toujours renouvelés. La grande qualité de leur interprétation donne lieu à de nombreux temps forts.
Sur Croquet volant, Pierre Thiot nous a gratifié d’une superbe introduction au soprano. Cet incroyable saxophoniste au son puissant qui repousse les limites de son instrument trouve toujours le son juste pour suggérer une atmosphère. C’est un moment intense où les notes s’étirent, se déploient et le public ne s’y trompe pas, les derniers chuchotements ont cessé dans l’espace restauration : l’écoute est totale.
Quant à Martin Arnoux, en leader, il a pris de l’assurance pour communiquer avec le public et présenter ses compositions déliées. Sa magnifique introduction d’un morceau inspiré par Montcalm, sommet en Ariège, valorise son jeu minimaliste et spirituel dans une atmosphère envoutante qui finit par s’habiller de touches orientales distillées par le soprano.
Octave Potier met au service du groupe son sens inné du rythme. Outre sa maitrise parfaite du pizzicato et de l’archet, il se sert de sa contrebasse comme d’une boîte percussive dans des joutes musicales enjouées avec ses camarades, lorgnant dans Croquant volé vers le free jazz.
Quant à Simon Jodlowski, sa frappe énergique valorise un jeu fin et inventif. A l’instar de ses camarades, il n’est pas démonstratif mais au service du collectif, chacun peut s’appuyer en toute confiance sur sa précision rythmique.
Preuve que le talent n’attend pas le nombre des années, Asura dégage beaucoup de sérénité et une étonnante maturité.
Le lyrisme des compositions a fait mouche à Arcachon, les musiciens ont été rappelés sous des applaudissements nourris pour un dernier morceau à l’issue d’un set très réussi.
En tant que lauréat du Tremplin Action Jazz 2024, Asura sera en résidence à la Méca à Bordeaux du 24 au 28 février 2025. Le concert de sortie de résidence aura lieu le 27 Février.
https://www.youtube.com/watch?v=kSFw89ZK05I
Jeanne Michard Latin Quintet : Une musique sincère et chaleureuse.
Pour la deuxième partie de soirée, nous retrouvons le quintet de Jeanne Michard dans la grande salle de l’Olympia.
Primée aux victoires du jazz 2023 dans la catégorie Révélations, la saxophoniste s’est imposée depuis quelques années comme une artiste reconnue. Elle s’inscrit dans la lignée des grands noms du jazz qui l’ont précédée en plaçant sa musique au carrefour du jazz be-bop des années 40 et des rythmes traditionnels des musiques latines et afro-cubaines. Ses références ne sont pas moins que Coleman Hawkins ou Sonny Rollins dont le caribéen St Thomas est devenu un standard. Jeanne Michard a beaucoup écouté des artistes comme Cesária Evora ou Le Buena Vista Social Club et c’est au retour d’un séjour de plusieurs mois à Cuba qu’elle a fondé le Latin Quintet avec la volonté de trouver un nouveau langage musical.
Son premier album Songes transatlantiques est un carnet qui retrace ses voyages initiatiques en Amérique latine, à Cuba et New York. Le second, Entre las Flores, prolonge cette première expérience avec le même line up : Clément Simon au piano et clavier Rhodes, Natascha Rogers et Pedro Barrios aux percussions et chœurs et Maurizio Congiu à la contrebasse. Dans ce dernier opus, Jeanne Michard a élaboré des schémas musicaux plus personnels qui s’affranchissent en partie des rythmes cubains pour s’aventurer vers le hip-hop. Elle recherche d’autres sources d’inspiration en faisant preuve d’un incontestable talent pour façonner des mélodies latines élégantes. Les cinq musiciens ont la même appétence pour ces rythmes colorés où les chœurs et les percussions occupent une grande place. Jeanne Michard nous indique que le répertoire proposé ce soir emprunte à des compositions issues de ces deux albums.
Avec son superbe ténor des années 40 patiné par le temps, elle délivre un son rond et chaud, son phrasé est souple mais lyrique et profond, l’on peut même parler d’un jeu sensuel sur Lilas ou Berceuse.
Dans un registre qui évoque davantage une balade, le très beau Main dans la main est le fruit des rencontres que la compositrice a pu faire au gré des voyages qui ont nourri sa vie et sa musique. Une rythmique légère accompagne les scats des choristes tandis que le pianiste déroule une cascade de notes claires en contrepoint de la sonorité enveloppante du saxophone.
Au fil du concert, l’énergie que dégage la section rythmique impressionne, les percussions scintillent de perles, de coquillages, de clochettes, résonnent de tambours. L’ensemble apporte beaucoup de relief aux compositions. Rayonnante, toujours en mouvement, Natascha Rogers, assise sur un cajón qu’elle frappe d’une main avec enthousiasme, fait tinter les cymbales et frémir la caisse claire de sa baguette. Son jeu est en parfaite osmose avec celui de Pedro Barrios. On tombe sous le charme de la voix puissante du chanteur quand il se lance dès la fin du premier morceau Entre las flores dans l’interprétation d’un « rap latino ». Ce natif de Sincelejo nourrit une passion pour la musique afro-cubaine et les tambours Batà en particulier, il va nous démontrer tout au long de la soirée qu’il maitrise également parfaitement les nuances rythmiques des tumbas. En hommage à Alfredo Rodriguez, grand pianiste cubain, Jeanne Michard a écrit Tumba Pa’ Alfredo : Le thème monte en puissance sous les vibrations du ténor, Natascha Rogers de sa voix bien timbrée prend le lead, invitant le public à rentrer dans la fête.
Une des pièces maîtresses de cette formation si soudée, le contrebassiste Maurizio Congiu a parfaitement trouvé sa place en intégrant une section rythmique au jeu très tonique. Il apporte beaucoup d’intensité au propos tout en démontrant sa capacité à délivrer de très beaux chorus notamment sur Lilas, Berceuse, enchaînant avec brio les pizzicati sur Cavalcada, seulement accompagné par quelques notes de piano.
Terminons la présentation de ces magnifiques musiciens avec Clément Simon. Le pianiste s’est illustré dans de nombreuses formations, notamment le Big Band Orchid aux côtés de Jeanne Michard, son jeu éblouissant aux multiples facettes convient parfaitement à ce répertoire. Il est très à l’aise pour installer un climat en quelques notes, jouant parfois simultanément sur ses deux claviers, en soliste ou en soutien. La finesse de son toucher fait merveille sur les relances, sur l’introduction du très latino Acuerdaté de tus sueños (Souviens toi de tes rêves), sur la mélodie entêtante de Cavalcada ou sur la plus poétique Berceuse.
Le concert s’est conclu sur un rappel, l’enthousiasmant Si señor !
Quelle chance nous avons eu de partager cette musique généreuse et expressive, écrite avec émotion et réflexion !
Les compositions s’épanouissent pleinement dans l’énergie positive que dégage ce magnifique quintet.
Set list :
Entre Las Flores / Silver Train /Lilas / Acuerdaté de tus sueños / Main dans la main / Envol / Berceuse / Tumba / Cavalcada /Si Señor
https://www.youtube.com/watch?v=nmAA6w3jiDU