Par Annie Robert, Photos Alain Pelletier

Créon / 12 janvier 2018/ organisation : Larural

Cela décanille sec cet hiver dans la culture… le froid , la lassitude d’un monde fermé, l’aléatoire des morts célèbres ? Allez donc savoir… Du coup, on hommagifie à tous crins… un filon inarrêtable, du bon et du moins bon, du fin ou du commercial…les 20 ans de la mort d’Untel, les 50 ans de la génération 68, l’absence pantelante du rocker de choc…
Ce soir, c’est également à un hommage que nous sommes conviés dans la salle ultra remplie de Créon. Mais un hommage hors anniversaire, sans célébrations, sans pathos. Un hommage au plaisir mais aussi au manque, au talent et à la lingua si singulière, si ciselée de Claude Nougaro, absent depuis déjà 13 ans ( même pas un compte rond, c’est pas sérieux !)

Trois bonhommes sur scène, trois bons hommes et deux générations bourrées de talent.
Sur la droite de la scène, assis derrière une petite table et des journaux, Thomas de Pourquery, saxophoniste iconoclaste, barbu de type Charlemagne supersonique. Un roc, un cap, une péninsule…On connaissait le grain si fin et si particulier de son saxophone, son style déjanté et noir parfois, on découvre aussi une voix puissante et chaleureuse, un humour décalé. Ouah!

Au milieu, André Minvielle, casquette sur l’arrière de la tête, amoureux des mots, rappeur occitan im-pénitent et ce soir également percussionniste du quotidien entre sacs en plastique et bouteilles d’eau. Il est de la génération de Nougaro, celle qui l’a côtoyé, en des souvenirs d’amitié, et de quelques chansons cosignées. Sa rocaille de voix, ses aigus délassés feront planer bien souvent les accents de Toulouse. Ouah toujours!

Et sur la gauche de la scène, assis derrière son piano, voici Babx, (David Babin à la ville) chanteur échevelé, arrangeur, compositeur, une vraie découverte !! Un talentueux jeune homme, dont la voix souple et la maîtrise parfaite et délicate du piano fait merveille. Ouah encore!
Le spectacle est né à son initiative. Au départ, le chanteur a été invité par le Marathon des Mots de Toulouse à concevoir un hommage à l’enfant du pays. Alors il a eu l’idée de faire appel à André Minvielle, qui a bien connu Nougaro, et son pote Thomas de Pourquery. Le spectacle de ce trio inédit a été créé à Toulouse en juin 2014. Depuis, il vagabonde au gré des disponibilités et des envies des trois protagonistes.

Il est pour nous à Créon, ce soir et c’est un doux bonheur qui commence dans le noir complet avec la voix seule de Minvielle et la langueur feutrée du saxophone, pour un «Pommier de paradis» comme un bercement de feuilles divin.
Tous les trois ne se contentent pas de donner à écouter une collection de tubes, remixés ou arrangés, ces tubes que l’on connaît, que l’on aime tant et que l’on prendrait plaisir à simplement évoquer. Non c’est véritablement une revisite, un mélange de couleurs découvertes, de tonalités et de rythmes magnifiés. Une recherche de l’essence de chaque chanson, de sa dramaturgie ou de sa dérision. Cela sonne juste à chaque choix. Pour preuve cet étonnant «Rondo à la turque» parlé, chuchoté, chanté par Thomas de Pourquery avec seulement des frappés sur le bord du piano. Ils enchaînent à trois voix partagées avec «Rimes» et sa petite ritournelle de boite à musique ou de manèges sous la pluie en piano- cristal. C’est à la fois simple, profond , respectueux de la beauté poétique des paroles, vibrant et soyeux.
Et bien sûr on n’oublie pas de jouer, de jouer avec les mots, de chercher la dérision, avec cette présentation décalée et cette prise de micro de l’artiste à l’honneur pour lancer un « bonsoir » et exprimer « sa joie et son émotion d’être parmi vous ce soir »… Minvielle, Babx et Pourquery étant tous les trois à l’honneur, ils prennent logiquement leur micro et livrent leur discours de présentation… simultanément, dans une improbable cacophonie. Autre moment amusé, celui où Thomas de Pourquery se met à lire au public, en diagonale, par bribes de phrases, des décennies d’articles consacrés à Claude Nougaro dans « La Dépêche du Midi »… foutraques, confus, délicieux.
Comment être parfaits sans se prendre au sérieux…. Comment faire subtil sans rien dénaturer.
Une éblouissant mélange de plusieurs chansons imbriquées ( Locomotive d’or, Dansez sur moi, Paris Mai, l’amour sorcier), toutes appuyées sur le rythme et la transe, les battements de cœur, la marche forcée, les claquements de tambour, en est la parfaite illustration.

Bien sûr, il y a les succès du grand Claude souvent appariés par deux en résonance comme ce solo de sax à se mettre à genou autour de «Cécile» suivi d’une «Petite fille en pleurs». Mais il y a aussi des chansons peu – ou pas – connues du grand public comme «La vie en noir», et une poignée de titres du répertoire d’André Minvielle( car Nougaro a écrit pour Minvielle). C’est notamment le cas des réjouissants »K you K yaw » et de « C’est non » pour titiller les papilles. A chaque fois, pas de vaines relectures, pas de paraphrases, pas d’inutilités: le texte magnifié, intense, dans sa parfaite installation. Un soupçon d’humour, une larme de plaisir, une esquisse d’incongruité… Ça tangue dans les rimes, ça valse dans les césures et les mots doux: amers, amertumes, thunes et dunes, scat rap et musette. On touche du doigt à quel point Nougaro était un grand auteur.
Un délirant rappel pour rire de «Bernadette sous birou» ( petit champignon hallucinogène de bord de gave dixit Minvielle !!) et le spectacle se termine sur «L’île de Ré», en laques d’argent, et souffle de marais, sables dorés et swing de plantes marines bercées par le large.
La salle conquise reprendra en chœur «Rimes» pour se quitter sans conclure, bercée par le piano, valsant immobile doucement. Les mots de Claude Nougaro accompagneront chacun dans la nuit, comme un baume apaisant, un bleuet pour l’âme.
Nul doute qu’au milieu des fumées de fonds de scène, porté par les trois magnifiques interprètes de ce soir, on aura cru par instant «  entendre la voix de papa », le Claude de Toulouse, de l’Ile de Ré, de Nougayork , cet Amour sorcier d’un déjeuner sur l’herbe !!

Par Annie Robert, Photos Alain Pelletier

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