par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Semaine du 9 au 14 janvier 2018

Ce n’est pas toutes les semaines qu’on a la possibilité d’entendre quasiment tous les jours une artiste de la veine de Camélia Ben Naceur. La pianiste dont le portrait paraîtra dans la Gazette Bleue de mars et dont une interview sera bientôt en ligne sur ce blog, était en effet en tournée mondiale à Bordeaux et en Gironde. Une série de concerts à l’invitation de Roger Biwandu qu’on ne présente plus, en trio avec une autre magnifique artiste, la contrebassiste Nolwenn Leizour : mardi au restaurant les Colonnes à Monségur, cette ville qui vit le jazz et y prépare des musiciens dans son collège, puis à Bordeaux, mercredi à l’Apollo, jeudi au Zig Zag café, vendredi et samedi au Caillou et enfin dimanche au Café Brun.

Nous avons pu assister au concert de l’Apollo et à celui de samedi au Caillou. Même trio mais concerts différents. C’est ce que qu’ignorent certains, le jazz ce n’est jamais la même chose, le lieu, l’ambiance qui y règne, le répertoire au gré de l’humeur, son traitement, jusqu’à la disposition des musiciens. Il faut donc que ce soit du jazz et bien croyez moi c’en est et d’un niveau terrible.

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Sous la lumière crue du néon de l’Apollo, avec des musiciens relativement éloignés les uns des autres, le festival a commencé pour nous avec un « Black Nile » dont aucun barrage n’a résisté malgré l’absence de Wayne. Pas de round d’observation, ça part très fort sur une rythmique punchy avec un déferlement de notes de l’intrépide Camélia. Ces dames « Ana Maria », « Nefertiti », « Sister Cheryl » de Tony Williams, un des chouchous de Roger, et bien d’autres titres seront traités avec un même bonheur. Des développements qui partent apparemment tellement loin du thème pour une oreille non avertie et des rendez vous réussis pour y retourner. Camélia ce soir là a choisi son e-piano Roland qu’elle caresse ou martyrise suivant son instinct. Enfourchant le tabouret avec parfois une posture de la motarde qu’elle fut, elle interprète de façon bien personnelle les grilles qu’elle a sous les yeux, elle swingue avec une énergie folle. Elle est un plaisir à entendre et une curiosité à regarder, si expressive avec ses grimaces, ses mimiques et ses regards de connivence avec les deux autres.

Car ce trio marche vraiment à l’interaction, c’est la chose la plus importante me dira t-elle. Quand on en sent un partir vers l’inconnu de l’improvisation et que les deux autres instantanément s’installent dans ses traces c’est un moment magique.

Ce sera particulièrement remarquable dans un Caillou bondé où les musiciens vraiment très proches ont réussi une osmose parfaite.

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La vibration de la contrebasse de Nolwenn étant ainsi perçue physiquement, même par nous, juste à côté de la petite scène du lieu. Blondie, comme la surnomme Roger parmi d’autres sobriquets plus ou moins élégants, en plus de sa grâce, a une présence musicale très forte, de plus en plus forte même. Elle est magistrale. Chorus variés, inspirés, soutien rythmique absolu, au top.

Et oui, Camélia et Nolwenn ne sont pas là par hasard avec Roger. Certes il aime bien s’entourer mais l’homme est exigeant musicalement parlant, comment pourrait-il en être autrement quand on a sois-même un tel niveau ? Avec une configuration jazz minimale deux fûts, caisse claire et grosse caisse, quelques cymbales, il réussit à bluffer tout le monde. Hier soir au Caillou il a ébloui l’assistance sans oublier ses notes d’humour ; il faut sa classe pour se permettre dans faute de goût de stopper une intro et rappeler à l’assistance, dans un grand éclat de rire, qu’exceptionnellement ce soir les Girondins ont gagné un match ! C’est vrai que beaucoup de ses potes sont là et lui qui marche à l’amitié ça le porte.

Ce soir au Caillou changement de répertoire : « On Green Dolphin Street » puis « You and the night and the music » de Chet, « I have a dream » d’HH, le retour d’ « Ana Maria  » qui finira en salsa puis la satellisation de la « Caravan » avec une version monstrueuse ponctuée d’accords provocants de Camélia, d’une tempête de cordes de Nolwenn et d’un chorus de batterie de Roger aux variations surprenantes. Assistance enthousiaste invitée à taper des mains et qui ne s’en prive pas !

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Eh oui le jazz ça peut être très gai, ce n’est pas forcément coinçoss et le premier qui dit « encore Caravan ! » qu’il essaye de faire pareil !

On joue quoi ? Roger fredonne un truc. OK elles ont compris, et sortent les partitions de « There is no greater love » ; pas lui, il connaît tout par cœur, même Billie Holiday. Un festival de nuances, des apaisements, des relances. Le fruit d’un énorme travail caché de chacun, on oublie souvent cela.

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Irène et Alain Piarou sous le charme de Camélia

On a évoqué l’énergie de Camélia, son swing mais dans la sublime ballade de Jobim « Dindi » elle nous montre aussi sa sensibilité, sa délicatesse. De toute beauté. Ils refont déborder le « Black Nile » pour terminer et nous offrent le classique « Moment’s Notice » de Coltrane en rappel. Du très très haut niveau.

Certes on a la chance d’avoir Roger et Nolwenn sous la main mais Camélia reviens s’il te plaît , reviens-nous souvent entre deux tournées avec Bill, ce trio est tellement beau !