par Philippe Desmond, texte et photos.
Théâtre des Beaux-Arts, Bordeaux le 20 octobre 2020.
Voilà bientôt deux ans, Loïc Rojouan, le directeur du Théâtre des Beaux-Arts, avait monté une pièce intitulée « Bonsoir Charlie* » pour laquelle il avait besoin – et envie – d’une formation de jazz, un trio en l’occurrence.
Il ne savait pas qu’il n’arriverait plus à se débarrasser de ces musiciens, la preuve, en revoilà deux pour ce spectacle, ou concert, ou conférence ou les trois. En cette période de disette musicale et plus généralement culturelle Stéphane Borde grand – très grand, près de deux mètres – joueur de banjo a eu l’idée d’associer le jazz à l’histoire de cette musique, voilà comment est né le concept de Jazz Conf’ avec son pote Fred Dupin. Conf’ pour conférence et pas confiture, jam en anglais, comme certains auraient pu l’imaginer…
Et donc me voilà au théâtre ce soir pour y voir deux non-comédiens, le conférencier Stéphane Borde alias Doc’ Ellington (banjo, guitare Dobro) et son assistant Fred Dupin alias Sancho Tuba (trompette, sousaphone, trombone à pistons, mélodica, kazoo et autres accessoires cartoonesques). A partir du livre « le jazz et les gangsters » de Ronald L. Morris (éditions le Passage) ils ont bâti un spectacle musical mariant une narration à des titres de « early jazz », une bonne douzaine, la plupart très connus sinon par leur titre mais avant tout par leur mélodie. Je vous laisse la surprise.
Alternant histoire(s) et anecdotes avec les morceaux, ils nous proposent un voyage aux USA dans ce début du XXe siècle, années folles aussi là-bas, jusqu’à la crise de 1929 , ses conséquences dramatiques et l’évolution que cela provoque pour le jazz lui-même. Naissance du jazz dans un contexte lourd, post guerre de sécession et abolition de l’esclavage, mais pas de la ségrégation, puis puritanisme et prohibition aussitôt compensés par la main mise de la mafia et son économie parallèle, dont les musiciens de jazz et le jazz en général, ont tiré grand profit.
Et voilà donc nos deux lascars (anagramme de rascals au passage) seuls en scène, terrorisés de se retrouver ainsi dans des habits de comédiens. Aznavour chantait bien « Viens voir les comédiens, voir les musiciens… » sauf que ce n’était pas les mêmes. Qu’à cela ne tienne, ils ont relevé le défi, surtout Stéphane Borde en conférencier, son assistant Fred Dupin n’ayant lui pas trop droit à la parole mais ayant, comme il me le dira à la fin, beaucoup d’informations à gérer, des transitions par bruitage, des annonces très précises des titres, le lancement de photos et vidéos. Pour avoir eu la chance, cinq jours auparavant, d’assister au premier filage du spectacle, je peux vous dire qu’ils progressent vite et aussi grâce à la patte de Loïc Rojouan. Leurs maladresses théâtrales, rattrapées avec humour, ajoutent à la sympathie que dégage ce spectacle et sont très largement compensées par leurs prouesses musicales. Et voir le public réagir comme ce soir, rire, taper des mains, participer prouve que le spectacle fonctionne et drôlement bien même.
Rendez-vous compte, un public qui se déplace pour la première d’un spectacle, un mardi soir pluvieux, en plein covid, arrivant à remplir la demi-jauge réglementaire, le tout masqué, gélifié, distancié et qui prend visiblement du plaisir !
C’est vrai que musicalement ce qu’ils arrivent à faire à deux est impressionnant. Au banjo, Stéphane est vraiment une référence, quant à Fred passant de la trompette, au sousaphone puis au trombone il est un régal à écouter et voir. Et comme ils se connaissent par cœur ça tourne à merveille, dans une complicité évidente.
Ca fonctionne mais il y a encore des réglages à faire me dira Loïc Rojouan tout de même heureux de ce coup-là ; mais qui a déjà vu un metteur en scène parfaitement satisfait ?
Deux rappels réclamés et obtenus dont le dernier avec un « Oh when the Saints » parti au ralenti pour finir en excès de vitesse de banjo marquant ainsi la délivrance – vous l’avez ? – de nos deux musiciens néo-comédiens.
Prochain spectacle le mardi 17 novembre sur le même thème puis, mensuellement, sur des thèmes variés toujours liés au jazz bien sûr.
Sortez, soyez prudents certes, mais sortez, n’abandonnez pas ceux qui se donnent du mal !
* reprise en décembre : https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/quand-le-jazz-va-au-theatre-bonsoir-charlie/