Crawfish Wallet, des écrevisses à la Bordelaise
Propos recueillis le 04/09/20 par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
Gaëtan Martin nous accueille chez lui au milieu de tous ses cuivres, trombones, tubas, sousaphone, une multitude de sourdines de toutes tailles faisant office de bibelots sur les meubles. Et par chance Amandine Cabald Roche nous a rejoints, et avec son sourire, pour parler du groupe Crawfish Wallet : Gaëtan Martin (trombone), Amandine Cabald Roche (voix et washboard), Jean-Michel Plassan (banjo) et Fred Lasnier (Contrebasse)
Action Jazz : alors cet été, quelle tristesse !
Gaëtan Martin : oui, nous devions jouer dans plusieurs festivals, une dizaine : Marciac, Jazz & Blues, les Musicales de Capbreton, deux jours pour Mélopée, on avait une belle saison pour un groupe qui n’a que trois ans. Avec deux jours au bis de Marciac on aurait pu certainement décrocher des engagements futurs . On devait aller à Jazz à Tours mais ils ont réduit la voilure du off à nos dépends. On voulait sortir officiellement l’album « I’m in Nola » (voir chronique) à Marciac mais on tenait à faire une sortie aussi à Bordeaux. Ce sera le 18 septembre au Rocher de Palmer grâce à la proposition de Patrick Duval. En plus c’est dans les festivals au pied de la scène qu’on vend le plus d’album. On a fait dû faire deux pressages du précédent « Daddy’s Belly » sorti il y a bientôt deux ans
AJ : c’est encourageant pour le dernier !
GM : oui en plus il est bien meilleur , l’autre nous l’avions enregistré quelques mois après la création du groupe.
AJ : parlons de cet album qui sort physiquement demain, j’ai vu des standards mais pas que ça.
GM : en fait il y a de tout, des vieux standards, des compositions. L’idée du groupe c’est de jouer de la musique de NO mais pas forcément du jazz. On cherche toutes les influences, brass band, gospel, blues et on cherche à ne pas jouer toujours les même titres, sortir des sentiers battus. Ce n’est pas très compliqué car le répertoire est d’une telle richesse ! L’idée c’est de bien sûr les mettre à notre sauce, de les réarranger totalement à partir de nos relevés. On avait aussi une forte envie de faire des compos et ici il y en a deux, « I’m in NOLA » et « Learning » un gospel. Pour ces compos je fais la musique à partir de la mélodie inventée, on travaille tous les deux sur les accords, Amandine fait un gros travail sur les paroles car on tient à ce que ça ait du sens
Amandine Cabald Roche : « I’m in NOLA » ça raconte mon premier voyage à NO , ce que j’ai vu, ressenti là-bas. La difficulté c’est d’écrire en Anglais car j’aime écrire dans la langue native de la musique. Je maîtrise la langue, mais j’ai une amie américaine à qui je demande des petites corrections c’est plus sûr s’il y a des américains ou des anglais dans le public !
GM : on tient vraiment à ce que les paroles aient du sens. Sur « I’m in NOLA » il y a des noms de rues, des noms de plats, de cocktails, quant à la musique c’est une espèce de déambulation. Une fois le travail fait avec Amandine le groupe arrive et on bâtit les arrangements de façon collective. Chacun a ses idées, on mélange, on croise et on expérimente sur scène.
ACR : on avertit le public que c’est la première fois qu’on joue le titre
AJ : oui ça c’est facile, certains tu vas les voir cinq fois et à chaque fois ils te font le coup de la première fois sur scène en guise d’excuse préalable !
GM : (rires) on teste et on voit de suite comment ça réagit, ce qu’on garde ou pas.
ACR : sur le titre de brass band « Light the Way » joué à un seul cuivre , je nous trouve audacieux de faire ça et de voir comment on arrive à le faire vivre en direct, voir comment il est reçu. Si ça ne bouge pas suffisamment c’est qu’il y a quelque chose à faire !
GM : il arrive parfois qui’on abandonne complètement, mais rarement. Dernièrement chez Alriq on a expérimenté « Shake Your Regulator » de Bonerama et Craig Klein, celui-là on le garde ! On l’a bien apprivoisé.
AJ : justement pour vous avoir vu plusieurs fois, souvent en plein air comme au festival d’Andernos 2019, les gens debout pouvant danser, comment adaptez-vous votre musique pour des concerts assis comme bientôt au Rocher, covid oblige ?
ACR : on s’adapte en effet, un morceau ne va pas avoir la même tête suivant que le public peut bouger ou non. Ca se fait tout seul
GM : on entre dans la mécanique du groupe, quand on commence un morceau on ne sait pas exactement comment on va le jouer. On se garde presque dans tous les titres une forme de liberté et toutes les phases d’improvisation ne sont pas prévues à l’avance.
AJ : c’est du jazz !
ACR : même le tempo peut varier d’un concert à un autre
GM : par contre on fait une set list, ça c’est fixé à l’avance, même si on joue dans un bar. Et donc on adapte cette liste à l’endroit, à la situation.
AJ : pourquoi êtes vous partis sur cette musique ?
GM : au delà de la musique c’est la ville de New Orleans qui m’a donné envie. Quand je vais là-bas je peux passer trois jours sans voir un concert, je vadrouille à vélo, j’adore cette ville. Tous les lieux, toutes les influences dans cette grande ville avec un côté mystique. Dans le titre de Tom Waits repris dans l’album ça me fait penser à des quartiers de NO. La musique est guidée par les images de la ville.
AJ : Gaêtan tu est allé souvent là-bas ?
GM : Au début c’était tous les deux ans maintenant c’est chaque année, sauf celle-ci malheureusement.
AJ : et toi Amandine ?
ACR : une seule fois
GM : on a des projets d’y aller avec le groupe. Pour l’instant c’est mort, il n’y a plus d’activité. J’ai un contact avec quelqu’un du consulat et de l’Alliance Française. Ca concerne aussi l’école de musique de Cenon (GM en est le directeur).
AJ : mais le covid est venu semer la pagaille
GM : oui mais c’est surtout l’approche et l’incertitude des élections de novembre qui ralentit le projet..
ACR : Tout est politique et ça va influer sur les échanges, il y a un gros problème avec Trump.
AJ : Et ce nom de Crawfish Wallet, d’où vient-il ?
ACR : c’est tout à fait fortuit, Gaëtan tenait absolument qu’il y ait Crawfish dans le nom du groupe (Crawfish c’est l’écrevisse une des gourmandises préférées à NO) , alors on a fait une boîte à idées, le mot Wallet est sorti, on a trouvé que ça sonnait bien. Et lors de notre premier concert chez Alriq nous avons appris par Cathy qui nous présentait que « Crawfish Wallet » ça voulait dire pingre ! « Les oursins dans les poches » de chez nous ! Nous qui faisons de la musique plutôt généreuse, c’était assez amusant.
GM : on voulait un visuel avec l’écrevisse et c’est une artiste bordelaise qui s’appelle Rouge qui l’a créé. On est hyper fier, elle a vraiment chopé le truc ! Elle avait déjà fait la pochette du premier album dans des tons clairs et là on voulait un côté plus sombre, plus blues.
AJ : vous la connaissiez comment ?
ACR : c’est une amie à moi, elle fait aussi de grandes fresques murales, à Paris notamment.
AJ : comment le groupe s’est il formé ?
GM : au bœuf chez le Pépère à Bordeaux
ACR : une copine m’a traînée là-bas, je suis montée sur scène et j’ai chanté
AJ : j’y étais, je m’en souviens très bien !
GM : j’ai vu comment Amandine chantait et comme j’avais un projet sur NO sans trop savoir quoi faire, ça aurait pu être un brass band ou carrément autre chose. Et ce soir là, ce côté chant mélangé avec mon trombone, le washboard m’a inspiré. Je voulais une musique spontanée qui accroche de suite le public.
AJ : on a vu en effet comment Andernos vous avez capté de suite le public composé de beaucoup de touristes qui ne viennent pas pour la musique
GM : au festival Relâche à St Michel avec les jeunes qui écoutent autre chose ça a marché super !
AJ : oui vous dégagez de la joie, de l’humour par de la tristesse comme certains. Je pense à Tuba Skinny l’an dernier à Andernos encore, musicalement parfait mais d’une froideur avec le public étonnante, assis à leur pupitre.
GM : ils sont connus pour ça en effet et ce n’est pas représentatif des musiciens de NO d’où ils sont aussi. Mais je les ai vus au French Quarter, ils avaient mis le feu, ils avaient la banane ! Artistiquement nous on croit à cette musique et on voulait faire de la scène. On a énormément de chance car le projet a plu très vite. A Monségur pour notre premier festival devant des centaines de personnes en première partie de Monty Alexander alors qu’on avait joué que dans des bars on était morts de trouille mais heureux.
AJ : vous reprenez « Black Trombone » de Serge Gainsbourg et donc en français.
GM : c’est une très belle chanson et sans nous comparer j’avais vu un concert de Cécile Mc Lorin Salvant et c’était intéressant car quand elle chantait en français elle n’avait pas du tout le même placement, la même attitude. D’où l’idée de faire des titres en français et ça a marché. On reprend aussi « Je suis snob » de Boris Vian. A NO si on chante en français on fait un tabac !
AJ : Fred Lasnier amène aussi sa fantaisie au groupe
GM : oui bien sûr, chacun a son personnage. Par exemple Jean Michel Plassan qui est un vieux routier du banjo plutôt réservé, on le voit prendre un charisme et quand il chante à la fin « Hé là-bas » il prend la scène et il est incroyable ! Ca marche à tous les coups
AJ : ça fait plaisir de vous voir enthousiastes ! Amandine tu es musicienne professionnelle ?
ACR : non mon métier c’est kiné ! Je suis guitariste à la base et je joue des percussions, j’ai commencé en Guadeloupe avec mes parents. C’est avec le groupe que je suis vraiment passée au chant et au washboard. C’est avec le groupe que j’ai appris les improvisations, ils m’ont fait progresser.
GM : elle est douée en fait !
AJ : vous privilégiez les titres assez courts.
GM : oui c’est un choix, pour tenir le public en éveil, garder le format chanson, préférer les interactions entre musiciens aux longues improvisations, c’est le cœur du travail du groupe. Tout est dans le collectif, ce n’est jamais deux fois pareil et ça nous oblige d’être vraiment à l’écoute.
(La conversation s’engage ensuite vers les titres de l’album ; voir la chronique)
AJ : Merci à tous les deux pour cet entretien et rendez vous le 18 septembre au Rocher pour la sortie de l’album « I’m in NOLA » : https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/crawfish-wallet-im-in-nola/