Parcours d’un guitariste jazz hors pair: Michael VALEANU

Par Stefani STOJKU

 

Michael VALEANU c’est d’abord l’histoire d’un guitariste à la délicatesse et au touché, assurément jazzy. Un détail acoustique électrique d’une caisse galbée à la tenue de notes pénétrantes, son jeu laisse place à une sensibilité certaine, douceur autre pour une approche de l’instrument qui se découvre sous une balade un brin séductrice.

Guitariste et compositeur, Michael a notamment partagé la scène aux côtés de la chanteuse de Jazz française, Cyrille AIMEE, qu’il accompagne depuis plusieurs années et dont il compose certaines des chansons telle que « Each day ». Il participe ainsi à la réalisation des deux albums tant en coproduction qu’en co-arrangement. 

A seulement 32 ans, il compte déjà 2 albums à son actif. Fort d’un dévouement incontestable et d’un amour inconditionnel, ce guitariste ne cesse de surprendre…Sa technique magnifiée par un talent déjà confirmé attise à chaque note ma curiosité.

 

  • Pourrais-tu nous faire une brève présentation de ton parcours

Ma première guitare m’a été offerte à l’âge de huit ans par mon père. Lui-même guitariste amateur, il m’a transmis l’amour pour cet instrument et pour la musique. A 14 ans j’ai décidé que je serai musicien professionnel et dès lors je me suis mis à beaucoup étudier l’instrument par moi-même. A 18 ans j’ai étudié au CIM, puis pendant deux ans j’ai étudié simultanément au Conservatoire Nadia & Lili Boulanger à Paris et à l’EDIM/ENM de Bourg La Reine. En 2008 je me suis installé à New York où j’ai poursuivi mes études musicales à la New School For Jazz.

  • Quels sont les guitaristes qui ont eu le plus d’influence sur ta manière de jouer ?

Il y en a beaucoup. J’ai été d’abord très impressionné par les guitaristes de blues et le niveau d’expressivité qu’ils créaient avec leur instrument. Il y a eu BB King, Albert King, Freddie King, Stevie Ray Vaughan, Eric Clapton. A peu près au même moment j’ai découvert Jimi Hendrix qui m’a complètement scotché – sa musique était très proche du blues, mais elle avait aussi des éléments harmoniques et sonores vraiment venus d’ailleurs. Adolescent j’écoutais beaucoup de rock progressif et je rêvais un jour de pouvoir jouer comme Steve Vai pour lequel j’ai toujours beaucoup d’admiration.

A force d’écouter de plus en plus de musique j’ai découvert Wes Montgomery. Là aussi ça été le coup de foudre. Lui aussi était très proche du blues mais avec encore une fois de nouveaux éléments que je ne comprenais pas et par lesquels j’étais très attiré : le placement rythmique, les choix mélodiques, le jeu en accord. Puis j’ai découvert petit à petit ceux qui sont aujourd’hui mes modèles : Charlie Christian, Jimmy Raney, Jim Hall, Barney Kessel, Pat Martino, George Benson, Pat Metheny, John Scofield, Nelson Veras, Lage Lund, Kurt Rosenwinkel, Peter Bernstein, Jesse Van Ruller.

  • Pourquoi  le jazz ?

Quand j’ai commencé la musique j’ai eu la chance d’avoir un groupe de copains avec lesquels on se réunissait très régulièrement pour jouer. Très vite on s’est rendu compte qu’on pouvait improviser à plusieurs – c’était grisant de découvrir que l’on pouvait créer en temps réel à plusieurs. Il se trouve que dans la musique qui nous est contemporaine le Jazz incarne cet art de l’improvisation et c’est pour cela que je me suis tourné vers cette musique ; pour percer le mystère de l’improvisation.

  • D’autres styles musicaux ?

Oui bien sûr. J’essaie de garder un esprit ouvert à toutes les musiques. J’adore la musique classique, les musiques traditionnelles d’où qu’elles soient, la pop, le rock, le métal, le hip-hop, le funk, le folk, le gospel. Dans une ère où la musique du monde entier est accessible en quelques secondes il est difficile de vivre avec des œillères.

  • Quel est le dernier artiste que tu as découvert et qui a suscité ton attention ?

Jehan Alain.  Un organiste et compositeur français du début du XXème siècle.

  • Quel est le morceau que tu préfères jouer à la guitare ? Pourquoi ?

Je n’ai pas vraiment de morceau préféré à proprement parlé. Il y a des morceaux qui sont comme des repères pour mes mains et que j’aime jouer, ne serait-ce que partiellement quand je prends ma guitare – l’étude n°1 de Heitor Villa-Lobos est un de ces morceaux. C’est pour moi comme une façon de dire bonjour à l’instrument.

  • Comment passe-t-on du statut d’amateur à celui de professionnel ?

En le décidant tout simplement. Je n’ai jamais eu de plan de carrière ou d’idée précise d’où je serai dans 5 ou 10 ans. Par contre à partir du jour où j’ai eu la certitude que je voulais être musicien, je me suis dédié au maximum à l’apprentissage de la musique et à la découverte de ce que cela voulait dire qu’être musicien. J’allais à la rencontre de mes aînés, je posais des questions et j’essayais de créer des situations où je pouvais jouer avec d’autres musiciens et être entendu pour montrer ce que je savais faire et pour acquérir de l’expérience.

  • Tu exerces en professionnel depuis plusieurs années déjà, quelles sont tes expériences les plus marquantes ?

Les premières qui me reviennent en tête sont généralement celles les plus bizarroïdes et moyennement agréables ! J’ai joué en playback déguisé en ange dans une boite de nuit pour une marque de cigarette, ou bien j’ai déchiffré une partition en public qui était-elle même écrite à la main sur une boîte à pizza pleine d’huile. Mais il y a eu beaucoup plus d’expériences et de rencontres incroyables et bien plus agréables. J’ai eu la chance de jouer et de rencontrer mes héros tels que John Scofield ou Pat Martino. J’ai eu la chance de voir d’anciens élèves devenir d’excellents musiciens professionnels. Et bien sûr j’ai pu ressentir l’énergie et l’enthousiasme des publics tout autour du monde.

  • Exercer un métier qui n’est que passion ne présente que des avantages, non ?

Oui, à partir du moment où l’on accepte que vivre de sa passion est un art de vivre et requiert certains sacrifices. Si ma passion avait été la finance, j’aurais sans doute aujourd’hui un très bel appartement, une belle voiture et peut être déjà une vie de famille. Par contre je travaillerais tellement que je n’aurais peut-être même pas le temps de profiter de tout ça. Et bien c’est la même chose pour la musique. Il y a certains sacrifices qu’il faut être prêt à faire sans en souffrir pour jouir pleinement du bonheur de la liberté que procure le fait de vivre de sa passion.

  • Si tu pouvais donner un conseil au jeune Michael au début de sa carrière musicale, que lui dirais-tu ?

Change rien.

  • Ton grand amour : la guitare. Qu’attends-tu d’elle et comment décrirais-tu celle parfaite à tes yeux ?

J’attends d’elle qu’elle ait du caractère et que je sente une voix en elle. C’est pour ça que j’aime les vieilles guitares, avec le temps et à force d’être jouées elles acquièrent souvent une couleur, une sonorité plus personnelles. Les pièces de bois et de métal qui constituent l’instrument vibrent les unes contre les autres pendant des décennies, évoluent selon les saisons – je n’ai jamais retrouvé cette sensation chez une guitare neuve. Après il y a des instruments qui ont grandi avec moi et avec lesquels j’ai établi un rapport particulier.

 ©StefaniStojku

 

  • Quelles guitares as-tu utilisé ?

J’ai utilisé pendant pas mal d’années une Gibson « Barney Kessel » de 1966. Ma guitare principale est aujourd’hui une Gibson ES-350 de 1951. J’affectionne beaucoup aussi ma Guild Starfire III de 1966 et ma Telecaster 52′ reissue de 2007 (celle-ci a grandi avec moi).

  • Marque de prédilection ?

Gibson. Tout simplement parce que ce sont eux qui ont établi les canons de la guitare jazz.

  • Comment te démarques-tu des autres guitaristes ?

Difficile pour moi de répondre à cette question. Par contre je peux dire que j’essaie d’être le plus possible dans l’instant, et de ne pas trop me reposer sur des choses que j’aurais beaucoup pratiqué à l’avance – quand j’y arrive j’ai l’impression d’être moi-même.

  • Tu as un esprit très critique, qu’est ce qui rend un musicien bon, voire exceptionnel à tes yeux ?

D’abord j’essaie d’être critique dans le bon sens et de voir d’abord ce qu’il y a de bon à déceler chez un musicien et dans sa musique. Je crois que ce qui rend un musicien exceptionnel à mes yeux est son honnêteté et son degré de connexion avec l’instrument, avec les musiciens qui l’entoure et avec son public.

  • Tu composes pour toi mais aussi pour les autres. En quoi est-ce diffèrent ?

Je trouve ça en général plus facile de composer pour les autres – car j’arrive à isoler les points forts de quelqu’un beaucoup plus facilement chez les autres que chez moi. Je prends alors ces « points forts » comme repère pour donner forme à un morceau – c’est un peu comme tailler un costume sur mesure aux bonnes dimensions. Quand j’écris pour moi – j’essaie plutôt de faire le vide complet dans ma tête pour que les idées puissent y naître et circuler de façon fluide. Je trouve ça généralement plus difficile. Par contre c’est très gratifiant quand j’ai le sentiment de trouver quelque chose qui vient vraiment de moi.

  • Tu es souvent associé à Cyrille Aimée dû à vos nombreuses collaborations dont 2 featuring sur ton dernier album, si tu pouvais partager la scène avec un artiste en particulier, ce serait qui ?

Je n’ai jamais vraiment eu d’artistes en tête à proprement parler, c’est plus au gré des rencontres.

  • Ton 1er album est essentiellement instrumental, le second comporte des morceaux avec des voix …Quelles ont été les répercussions du fait d’avoir eu une voix sur ton album ?

Mon premier album est en effet instrumental mais la plupart des morceaux que j’ai choisis pour ce disque sont des chansons que j’aime tout autant pour leur musique que pour leurs paroles. Pour le deuxième album j’avais envie de montrer une partie de mon travail avec Cyrille qui a occupé une très grande place dans ma vie musicale ces dernières années. Pour ce qui est des répercussions je ne sais pas trop, mais je sais qu’un morceau chanté capte l’attention des gens beaucoup plus vite qu’un morceau instrumental. La voix reste l’instrument le plus pur de tous.

  • Ton 3ème album, tu l’appréhendes comment ?

Pour mon troisième disque j’aimerais faire la part belle un peu plus à l’écriture. Pour l’instant j’ai pris le parti d’écrire des pièces pour guitare seule comme point de départ que j’orchestrerai pour un ensemble plus grand ensuite.

  •     As-tu une idée des couleurs que tu lui donneras ?

J’aimerais y inclure des sonorités issues de la musique classique du début du XX siècle que j’aime beaucoup, et aussi d’y injecter quelques influences issues du répertoire de la guitare classique. J’aimerais aussi pouvoir trouver un meilleur équilibre entre le son électrique et le son acoustique de ma guitare, afin que l’expérience de l’auditeur soit plus proche de ce que j’entends quand je joue de ma guitare.

  • En quoi sera-t-il différent ? Quels changements lui apporterais-tu ?

Pour mon deuxième disque « Hard To Cook » j’ai commencé à inclure plus de compositions. Le seul problème avec la musique écrite c’est que comme on travaille sans référence préalable il faut plus de temps pour la répéter et lui donner forme pour l’enregistrer. Je vais tacher de trouver les moyens de réunir les circonstances idéales pour ce faire. J’aimerais aussi élargir le format du trio pour lequel j’ai opté jusqu’à présent.

 

 

 

©PhilippeCAP