par Alain Flèche, photos Alain Pelletier.

L’Estaminet d’Uzeste, samedi 6 janvier 2018.

Grand bonheur, partagé avec Alain, Dom, Stéphane, Fabrice, Marc, les filles et un poignée de visiteurs-auditeurs qui ne sont pas là par hasard ! En fait, on ne vient jamais ici pour de rien … encore ce soir, il va pleuvoir de bien belles notes ! Et chacun en prendra tout son saoul. Petite présentation du maître de céans, et c’est parti.

Christophe arrive, seul, avec sa face lunaire de Pierrot perdu parmi les étoiles. Un sourire permanent, mais pas figé, comme pour s’excuser de ne pas savoir ce qu’il fiche ici, à se demander si c’est bien lui que tout ce petit monde est venu écouter… Mais oui Cricri, va-z-y, on t’aime déjà ! Alors, puisque, il enfourne son sopranino, qu’il fera alterner avec le sax alto, voire, par moments, jouera (mais un peu plus tard) des deux simultanément ! En l’occurrence, démarrage petite foulée pour réchauffer la salle, le métal, le bec, la pince… par-delà l’arc-en-ciel (Over the Rainbow) qu’il enroule, pénètre, puis s’éloigne, revient, autrement, explose les dernières traces de nuage, il est radieux, nous aussi. Un jeu fort, engagé, et tout en nuances, en douceur, même quand les notes tombent en cascade, se mélangent dans des tourbillons d’étoiles et de soleils, c’est de la poésie. Les doigts courent le long du tube, et puis la main se détache des clés, avec un mouvement que je ne pensais n’appartenir qu’aux danseurs de Karnataka, accompagnant les dernières notes qui nous ont déjà emmenées dans les régions célestes. Oui, un peu comme le fait aussi Michel Portal, autre grand poète du vent qui fait (beau) son. Ça y est, on a oublié la pluie, le froid de saison dans la chaleur de cette présence quasi angélique .

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Christophe Monniot

Suite :

Le maître de céans, Bernard Lubat, se pose devant le piano, et il n’y a pas de hiatus, la magie continue, multipliée. Duo complice, l’un commence une phrase que l’autre commente, impro bluesy sans code ni limite, des repères d’anacrouse, ou pas, pas grave, on suit. On essuie la larme de bonheur qu’a fait naître tant de beauté de cette communion de deux êtres que l’on jugerait avoir grandi ensemble… du moins dans la journée de préparation à cet événement que l’on a deviné grandiose dès  la première note, on ne s’est pas trompé. Un extrait de « Jules et Jim » où l’on jurerait d’entendre la voix de Jeanne Moreau. D’autres notes vont, viennent, se promènent, s’organisent, parfois, du plus profond du corps et de l’âme . Un « Body and soul »  qui n’appartient qu’à eux. Qui chante, et grince, des courbes et des lignes brisées, imprévisible, comme un tableau de Dali. Encore un blues maintenant, oui mais de Ornette Coleman (Rigmor) . Hommage harmolodique au précurseur du briseur de chaînes qui pointait le doigt, il y a plus de soixante ans, sur le chemin de liberté où se sont engouffrés les plus fous. Ils n’en sont pas revenus. Ce n’est pas ce soir que nous en demanderons la sortie ! Monniot en est de plus en plus beau, Lubat en joue de plus en plus chaud. C’est qu’il en est capable de sentimentaliser, le bougre d’artiste, si on lui demande gentiment… et qu’il le sente ! Ce soir : en plein dedans . Osmose totale. Et c’est pas fini…

3ème partie, nouvelle géométrie, autres métriques. Louis lubat prend possession des peaux, fûts et cymbales. À moins que ce ne soit lui qui soit possédé… ?! En tous cas, lui ne se pose pas de question. Il y est, il y va ! Commence avec les mailloches, ne pas casser la magie, la magnifier. L’extraordinaire complicité qui le lie avec le pianiste le dispense de tout égard envers le saxophoniste qu’il ne peut qu’enrichir (-joke-il entend tout!).

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Louis Lubat

Il s’installe entre les deux géants, il ne touche plus terre, sait-il, sent-il seulement où il (en) est ? Oui bien sur ! Les deux sont enveloppés, happés dans le tourbillon de rythmes et frappes du troisième, et ça crie, ça hurle, ça gesticule, chahute, éructe, frémit, éclate, jaillit. Un autre thème d’O.Coleman  « Lonely Woman », faussement calme, tendue mais rassurée aussi. Tourmentée mais r ‘assénée . Accompagnée dans ses turpitudes et plaintes, câlinée, bercée au bord d’un rêve de jardin fleuri et d’oiseaux exotiques qui n’existent pas. Plainte déchirante, cœur morcelé. Un rayon de joie timide d’abord, puis des sourires qui se changent en rires francs. Circonspection toutefois, le doute, toujours… nous, cependant, ne doutons, ni boudons notre plaisir et notre joie d’être là , à nous faire aimer l’Humanité toute entière.

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Fabrice Viera

Bouquet de ce feu d’artifice et de fleurs non artificielles. Débarquent trois autres magiciens : Fabrice Vieira : guitare folle, voix incroyable, effets, bidules et autres machins démoniaques, Thomas Boudé et sa guitare pleines de gammes étranges et de soli improbables et impossibles , Jules Rousseau : basse d’un autre monde, d’ autre temps, de la terre et du ciel. La fête continue, plus rien ne l’arrêtera. Le sax s’arabise, gammes exotiques, quart de ton. Batterie feutrée, guitares soyeuses. Espèce d’ambiance Pinkfloydienne genre « More ». Mouvances venues d’une terre perdue, disparue dans les ouragans outrageant du temps qui s’oublie et ne laisse que le souvenir d’une nostalgie esquissée. Mais bon, vivons ! Maintenant la basse dense danse, funky pirouettes, slap slam split. On s’amuse Muse, rigole geôle, entraîne o’ de No’ aile. Des étincelles de firmament inouïs. Inuits joyeux sous le soleil de minuit Dr Schweitzer. Pas de remède, ni de contre indication d’ailleurs ! C’est juste pour de rire et de jouer à s’amuser . On se calme, un peu, avec une évocation de Lester « Good bye pork pie hat » chapeau rond, et plat, amené par une basse ronflante, suivie de guitares (en)chantantes . Et puis le couvre-chef se déforme, en passant de main en main. Maintenant chacun son mot, son sens, son humour, son amour de la vie . Des avis avisés et partagés qui devisent. Le piano s’assoie, sonatine, s’ébroue aussitôt avant que de s’innerver, puis s’emballer, des notes qui dégringolent, attrapées au vol par chacun et tous, s’organisent , chant intempestif, se courent après, se rattrapent enfin dans un air de Be-Bop jamais oublié, Charlie Parker pas perdu, par cœur (oups pardon) « at privave » à 200.

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Époustouflant, bluffant, onycroipatant. De la parade Nola au bal jazzcon. Concentration énorme des énergies rassemblées dans un feu de joie qui illuminera toute l’année l’esprit des auditeurs qui en resterons cois . Tellement sur le cul que nous en oublierons d’applau-dire après la conclusion d’un Lubat tout heureux du bon tour joué à ceux qui n’y croyaient qu’à moitié (les autres ne sont pas venus : tant pis héhéhé) . Ne vous inquiétez pas : Bernard nous suggère de surveiller la prog. du festival de cet été. Christophe revient !!! Il sera là . Promis. Nous aussi !