Par Philippe Desmond

l’Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, samedi 19 avril 2025.

En 2022 Stefano di Battista était venu au Rocher de Palmer en quartet, nous présenter son album autour de la musique d’Ennio Morricone et les quelques « courageux » qui étaient présents au concert avaient passé une soirée délicieuse comme je l’écrivais dans la chronique d’alors ; lien : Concert 2022
Cette fois, c’est dans un Auditorium quasi complet que le saxophoniste italien revient en quintet. Avec lui son fidèle pianiste et arrangeur Fred Nardin, une valeur sûre, son autre fidèle partenaire le contrebassiste Daniele Sorrentino, le batteur Luigi del Prete et le trompettiste Matteo Cutello, une révélation ! Stefano di Battista est une figure de proue du jazz italien qui justement faisait l’objet d’une table ronde le samedi précédent à Bordeaux ; lien : Table Ronde Jazz Italie

Très attaché à sa culture Stefano a décidé cette fois de rendre hommage à la musique populaire de son pays, qu’elle soit de variété, de cinéma ou même de bel canto. Le disque dont il va jouer des extraits ce soir ne pouvait pas s’appeler autrement que « La Dolce Vita ». Le jazz est paraît-il américain et c’est justement avec « Tu vua fa l’Americano » que le concert démarre en trombe. Thème exposé, chacun en propose son interprétation dans un genre hard bop bien costaud, sax alto, trompette, piano, contrebasse, batterie font monter la sauce américano italienne avec la vélocité d’une Ferrari. Ce soir il va y avoir du
spectacle dans cet Auditorium souvent trop sage !
La vie est belle quand on a en face de soi de tels musiciens, le quintet nous le confirme avec « La Vita è bella » la BO de ce film atypique et si émouvant de Roberto Benigni. Et justement il  y a un peu de ce Roberto dans Stefano qui après ce titre prend la parole ; prendre, c’est vraiment le terme adapté, il ne la lâche plus. Avec son humour, sa gentillesse et cet accent italien si enjoué – qu’il doit peut-être cultiver depuis le temps qu’il est lié à la France – il va ravir de bonheur l’assistance en nous commentant les titres, nous présentant les musiciens, nous contant des anecdotes. Un réel supplément d’âme par rapport au disque déjà musicalement très réussi. La Commedia dell  Jazz oserais-je dire.
Bienveillant il sait mettre en valeur ses compères de scène et notamment le sicilien Matteo Cutello, trompettiste de 26 ans (comment ça lui dit Stefano hier soir tu en avais 25 !) ; l’intro en solo de trompette de « Caruso » est fabuleuse, le reste ne le sera pas moins, quel grand trompettiste ! Dans « Sentir si Solo » il n’aura aucun mal à endosser les habits de Chet Baker y ajoutant même ses propres accessoires.
Quant à Stefano, aussi bien à l’alto pour la fougue qu’au soprano pour la finesse il nous confirme qu’il fait partie des plus grands, ses chorus, ses duels avec Matteo sont d’une telle justesse, d’une telle musicalité ! La rythmique n’est pas en reste, Fred faisant l’intermédiaire entre les uns et les autres par ses interventions pleines de swing.
Paolo Conte est là avec « Via con me » dans un registre pas latin mais latino, « Volare » bien sûr (par obligation sur l’album de son producteur japonais nous confie Stefano avec malice)… Amusant de passer de la musique jouée à merveille avec le plus grand sérieux aux intermèdes facétieux du volubile romain.
Nous annonçant le titre suivant écrit par Ennio Morricone, Stefano ne peut se retenir de raconter sa rencontre avec le Maestro qu’il nous avait déjà narrée en 2022 (voir le lien plus haut) et il sort de la set list prévue pour nous jouer « Flora » fruit musical de cette soirée chez des amis communs. Et donc voilà « Il Buono, il Brutto, il Cattivo », pas besoin de traduire, joué au galop avec un duel homérique, non de revolvers mais de sax/trompette, arbitré par un piano dynamité. Du grand jazzstern !
Fin du concert, ovation d’un Auditorium enfin déboutonné, rappel avec d’abord des extraits de « Il était une fois en Amérique » demandé par une spectatrice du premier rang, puis « La Dolce Vita » de Nino Rota et une dernière facétie de Stefano qui part dans la salle avec son soprano, montant jusqu’au troisième étage (avec qui il a souvent dialogué dans la soirée), demandant à Matteo de le  rejoindre, relançant les trois autres qui visiblement ne savent plus quoi faire, le tout dans une  ambiance de liesse générale au claping malheureusement décalé sur le 1 et le 3…

Quel bonheur de tels concerts ! Près de deux heures de partage avec le public. Merci, vraiment.