par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Théâtre des Quatre Saisons , Gradignan le 14 janvier 2022.

Eric Séva est certes un excellent musicien mais c’est aussi un vrai créateur, intéressé, passionné même, par toutes les musiques. Lui le grand voyageur, voilà qu’après la variété, le blues, le jazz, même ce qu’on appelle la musique du monde et plus surprenant le hip-hop, il va tirer des bords vers la musique classique ! Le terme métissage chez lui n’est pas qu’un concept, c’est une réalité.

Nous étions un peu circonspects quand nous avons appris son nouvel attelage musical. Ainsi son trio triple Roots, lui aux saxophones, Kévin Reveyrand à la basse électrique et Jean-Luc Di Fraya à la batterie, devenait septet, intégrant un quatuor classique des plus originaux : David Vainsot au violon alto, Claire-Lise Démettre au violoncelle, Philippe Hanon au basson et Nicolas Fargeix à la clarinette basse. « Adéo » septet, de l’expression latine signifiant « Aller vers ». Vers quoi, vers la musique classique donc.

Tout cela va-t-il nous expliquer est le fruit du premier confinement, cette chape de silence et d’inactivité qui nous est tombée dessus début 2020. Du temps qui se dégage, du temps pour se poser, réfléchir et donc pour lui, créer de la musique. Et une envie des sonorités de ces instruments assez insolites, pas un quatuor à cordes, mais quelque chose de plus rond, de plus enveloppant pour se marier avec sa musique de jazz et plus particulièrement son trio. Ces sons il les avait dans la tête me dira-t-il, il fallait passer à l’acte et écrire de la musique pour eux. Il y a donc plus d’un an et demi que le projet a été lancé avec les musiciens, que les premières harmonies ont pu naître en dehors du papier des partitions ; pas facile de mêler ces deux univers surtout pour les musiciens classiques, le fond de la musique restant résolument jazz.

Nous étions donc impatients d’entendre ça pour le premier concert du septet. Quel bel écrin que le Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan, certainement une des plus belles salles de la Métropole de Bordeaux voire de la région. Première bonne surprise, car il va y en avoir d’autres, l’assistance est assez nombreuse en cette période triste, tant mieux.

Tous en noir – concession à la musique classique ? – l’alignement des sept musiciens sur la scène, les classiques à jardin, les jazzeux à cour, est déjà visuellement très agréable.

Dès le premier titre on est surpris et surtout on est séduit. Si le trio mène le jeu, le quatuor apporte par légères touches une ampleur, une rondeur. Les arrangements à leur intention sont ciselés, deux notes par ci, deux autres par là pour comme un peintre qui par petites touches viendrait embellir son tableau. Puis les harmonies vont arriver enveloppant les mélodies originales d’Eric Séva. Le son du basson, inhabituel incongru presque et tellement beau, la clarinette baaasse moins rare en jazz, on pense à Michel Portal, l’alto plus posé que le violon, le violoncelle et sa tessiture humaine, quelle merveilleuse trouvaille que de les avoir associés à la basse électrique que Kévin fait ronronner de plaisir, à la dentelle de percussions de Jean-Luc et à la liberté du saxophone, ténor ou soprano, d’Eric. Trio et quatuor se mêlent très vite en un vrai sextet, on oublie leurs origines différentes, ils se fondent les uns dans les autres, quel bonheur musical ! Et ça reste du jazz ! Placé juste devant Jean-Luc Di Fraya j’aurai du mal à le quitter des yeux. Un spectacle à lui tout seul, un atelier d’orfèvre avec ses différents outils qu’il utilise avec délicatesse et une précision extrême, totalement habité comme son visage l’exprime, envoutant !

Le répertoire ? Sept titres originaux dont certains au nom évocateur, rappelez-vous la période où Eric Séva les a composés : « Temps suspendu », « Au jour le jour », « Danses essentielles » … Ah ce dernier adjectif marquant la frontière entre deux catégories d’activités… Une reprise aussi, pas d’un standard de jazz mais d’une danse populaire roumaine de Bartók, non pas arrangée mais dérangée, selon son propre terme, par le saxophoniste ; le septet est à son sommet.

Bonne nouvelle, un album est prévu pour le printemps, enfin si tout va bien, ou mieux. Mais un conseil, une fois acheté cet album ou même avant, ne les ratez pas en concert, les voir fabriquer cette musique en direct est une merveille.

Nous quittons le beau Théâtre des Quatre Saisons, dehors une seule, l’hiver…