par Philippe Desmond

La Réole, dimanche 16 janvier 2022

Déjà que le dimanche la ville paraît quasiment déserte, en cette après midi hivernale enveloppée de brouillard elle paraît fantomatique. Face au vieux pont suspendu fermé à la circulation et à la perspective inquiétante, des notes de jazz venant d’une vieille bâtisse rassurent sur la présence de vie.

C’est le Café de la Gare, tournant le dos aux rails et faisant face à la Garonne encore bien haute. S’y déroule une jam dominicale après la première en décembre, désormais les deuxièmes dimanches de chaque mois, même si exceptionnellement nous sommes aujourd’hui le troisième. On le doit au dynamisme de Bouchra et Khalid qui veulent faire un peu bouger leur ville. Bouchra n’est pas une inconnue dans le monde du jazz elle tenait avec sa sœur le bar la Demoiselle d’Honneur quartier Saint-Pierre à Bordeaux dans les années 2000 où de nombreux concerts ont eu lieu. Roger Biwandu, Olivier Gatto, Camélia Ben Naceur et bien d’autres y ont joué.

La salle n’est pas très grande et des chaises ont dû être ajoutées pour satisfaire aux ubuesques mesures sanitaires en vigueur… Parfum de thé à la menthe, visiblement la boisson du lieu, mais que certains incorrigibles se rassurent, des pintes dorées et mousseuses y circulent aussi, avec bien sûr modération.

Une jam c’est d’abord un noyau de musiciens, les titulaires ici sont David Muris et ses baguettes plus couteuses que celles qui font l’actualité à 0,29 € , François Mary qui a laissé sa « grand-mère » chez lui et utilise ce soir sa basse électrique et Xavier Duprat qui n’a pas perdu le Nord puis qu’il l’a devant lui et en joue.

Ca démarre avec la jolie mélodie de « Mo’ Better Blues » de Branford Marsalis, puis une composition de Valentin Foulon-Balsamo qui attend la jam pour rejoindre le trio, un autre titre et le bœuf est lâché.

Une jam c’est avant tout la possibilité de se lancer pour certains et ici certaine, comme cette toute jeune trompettiste Shana, la fille de Valentin encore toute timide mais qui a franchi le pas. Un fort à propos « Song for my father » partagé avec le sien, fera suite à l’inévitable « Cantaloupe Island » présent dans beaucoup de jam ; tellement réussi ce titre d’Herbie ! Voilà un guitariste puis deux qui viennent étoffer le plateau, Jean-Michel Achiary s’étant lui installé dès le début derrière ses congas. Arrive « Autumn leaves » bien lancé par la verve au sax ténor – un magnifique Conn vintage restauré, aux reflets gris bleus – de Valentin, rejoint par le sax alto de Grat Martinez qui débarque juste. Ils enchaînent par « All Blues » lui aussi un dénominateur commun pour ce genre d’exercice. Oh bien sûr le répertoire reste « classique » ce n’est pas dans ce genre de concert qu’on y prend des risques mais ce qui en est fait, l’interprétation, l’improvisation, le partage, est toujours nouveau. Cette musique réchauffe ce lieu roots et sympa, qui au printemps avec son jardin et sa terrasse sera très agréable les dimanches après-midi. Voilà un nouvel endroit de musique vivante, ce n’est pas si fréquent en ce moment, alors n’hésitez pas à y aller faire un tour ; rien que pour le thé à la menthe ça vaut déjà le coup et il parait qu’on y mange très bien.

En attendant il fait toujours aussi froid dehors et avec la nuit tombée le brouillard n’en est que plus opaque…