Vincent Peirani/Emile Parisien – Abrazo – Rocher de Palmer – 26/11/2021

par Anne Maurellet, photo Christine Sardaine

Vincent Peirani, accordéon

Emile Parisien, saxophone soprano

Juste le tempo du tango, mais les reins se creusent déjà. Vincent Peirani et Emile Parisien nous ont à peine tendu la main que nous tanguons. Un long rideau rouge appelle la passion. Emile pousse tendrement le son pour dessiner de douces collines où ses mains savantes enlacent les notes. On le sait qu’il danse lui aussi autour et avec son saxo soprano.

Vincent fait vibrer son accordéon, lui aussi entoure d’affection chaque tourbillon provoqué… Ils entraînent plusieurs danseurs sur une estrade fantomatique.

Evidemment les touches et les basanes du soufflet de l’accordéon épousent sensuellement les formes du tango de Piazzolla. La pointe du pied de la dame s’élance, et monsieur la fait glisser. Les deux tournoient comme Vincent et Emile en totale symbiose, mais les deux musiciens ne partent pas du tango classique pour le laisser sur le bord de la scène. Des premiers pas tenus de la rencontre, la danse se sophistique et les jeux des deux brillants artistes se mêlent. La dextérité sert ici la fluidité. On reconnaît leur doigté habituel qu’ils mettent intelligemment et finement au service de ce genre. Faire tournoyer Astor Piazzolla, se médler à lui, belle idée. Nos danseurs ont décollé et la musique aussi, entraînante, hallucinante. Quand Vincent Peirani ouvre son éventail, c’est un arc-en-ciel qui s’étend sous nos yeux couleurs, nuances, teintes qui progressivement se superposent. Les sons s’allongent comme une jambe frôle le sol pour se relever et entourer l’Autre : mouvements alanguis, brusques replis, trouvant toujours le mouvement qui roulera vers le prochain.

Les doigts d’Emile Parisien vibrent sur les touches de son soprano : ils restituent cette énergie, la passion parfois un peu violente de la scansion du tango. Le saxophoniste ne respire plus, c’est son corps qui maintient le son jusqu’à plus soif parce qu’il extrait de son soprano tous les éclats possibles. L’accordéoniste tape parfois sur les notes comme un talon gourmand appellerait le son. Emile Parisien en demande autant à son sax, il faut être deux pour virevolter.

Il y a quelque chose d’une nature sincère chez ces deux-là comme les pieds nus de Vincent Peirani, sorte de vérité simple. Pas d’artifice. Il s s’approchent au plus près du chant de leurs instruments, cherchent à en extirper les richesses. Emile Parisien s’envole de temps en temps, oiseau voletant dans les brises multiples de l’accordéon de Vincent Peirani.

Par endroits, ils laissent la musique devenir esquisse, gestes à peine dansés, mouvements filigranés, le presque silence de la musique, encore écho de celle pleinement entendue peu avant, comme une fin de bal où les corps fatigués imitent encore à la marge la passion dévorée ; mais c’est là que l’épure devient l’essence même de la musique.

Alors ils repartent, relancent la mesure, attirent la démesure, encore un tour, oui, encore un tour. Oui, emportez-nous !