Par Vince, photos Olivier Barau
Rocher de Palmer Cenon. Mercredi 20 novembre 2019
Le collectif Snarky Puppy est devenu est quelques 15 ans et 13 CD, un phénomène transgénérationnel. La preuve en est à chacun de leurs passages au Rocher de Palmer. Pour leur 3ème fois à Cenon on peut y voir une affluence record, une salle 1200 pleine à craquer et l’enthousiasme non dissimulé de spectateurs aux âges bien différents ; une bande de 46 gamins de 12 ou 13 ans était même là ce mercredi, pour apprécier les titres sur-vitaminés de ce « superband » d’origine texane.
De tous âges, de tous horizons, de toutes influences aussi à l’image du groupe devenu de plus en plus inclassable. Les racines, la présence des cuivres, le métissage de l’orgue Hammond et des percussions, les chorus débridés des musiciens permettent de résolument s’orienter vers la case jazz fusion/jazz rock, mais le classement à adopter désormais me semble être celle du Snarky Jazz.
Michael League et ses compères (une trentaine dans le collectif étendu du label GroundUp) ont défini, à mon avis, une nouvelle forme d’expression de ce vaste concept appelé « Jazz », en réussissant le métissage idéal entre performance et subtilité, entre styles musicaux typés et sonorités spectrales, entre excès et sobriété, entre classicisme et surréalisme.
Le concert proposé ce mercredi évoque tour à tour les sonorités expérimentales des années 70 et le « Return to Forever » de Chick Corea. Comment ne pas penser à Donald Fagen, maître du contretemps des années 80, dont Snarky Puppy fait un usage presque abusif ? Bien sûr, la présence de Zach Brock au violon rappelle aussi les audacieuses envolées de Jean-Luc Ponty, qui dès le milieu des années 60, exportait des Etats-Unis, un son électrifié sur un instrument sanctuarisé que l’on croyait seulement dévolu au classique. Cet apport sonore et stylistique très présent sur de nombreux nouveaux morceaux, a inspiré au toujours très inspiré Philippe Desmond (Vice-président / Rédacteur / Chroniqueur d’Action Jazz) le verbatim désormais célèbre « Snarky Ponty ». Merci cher Philippe, d’aider un jeune Padawan comme moi, dans la rédaction de ses modestes chroniques !
Les années 90 ne sont pas oubliées non plus lorsque sur le titre « Thing of Gold » (album Ground Up), une rythmique funky type « Prince », façon « Sing O the times » vient soutenir des thèmes et des mélodies sorties de nulle part. Toujours inspiré, toujours tendance et définitivement stimulant, le grand Marcus Miller pourrait aussi avoir donné quelques idées à ces apôtres du groove. Un des 3 claviéristes sur scène, Bobby Sparks a d’ailleurs été de nombreuses années aux côtés du maître de la basse (et du regretté Roy Hargrove).
Ces 10 extra-terrestres ne dépassant pas la quarantaine (sauf Bobby Sparks et Shaun Martin) se sont nourris de tellement d’influences et sont pétris d’un tel talent, qu’ils ont la capacité à synthétiser tout ce que la musique a de magique en une nouvelle magie. Du grand art.
20h30 précises, première partie. Comme à leur habitude, les Snarky Puppy ne viennent pas les mains vides et mettent dans leur hotte, des artistes « maison ». Comme en mai 2017, le premier set est remarquablement livré par la pétillante et francophile Becca Stevens. Les 7 morceaux qu’interprète la jeune chanteuse originaire de la Caroline du sud charme à nouveau le public du Rocher 1200. Elle débute avec le titre « Regina », extrait de son album éponyme et enchaîne sur de nouveaux morceaux extraits de « Wonderbloom » son nouveau CD sorti depuis le 16 novembre 2019. Tous chauds pressés, ces nouveaux titres étirent un peu le registre plutôt pop de la chanteuse. Le format sur scène aussi s’est étoffé. 5 musiciens des Snarky, dont Michael League, et Michelle Willis, chanteuse et claviériste canadienne (connue en France pour sa participation sur l’album Waxx Up d’Eric Legnini) l’accompagnent et proposent une formule musclée mieux adaptée à ces nouveaux titres, « I Wish, Between Me & You, I Will Avenge You, Good Stuff, Halfway, Be Still ». Passant du rock aux ballades, du funk à son ukulélé favori, le style de Becca Stevens fait la part belle à la mélodie que sa voix souple interprète avec une singularité inimitable. L’écouter c’est l’adopter.
21h30 : le temps de se rafraîchir et de se désaltérer au bar du Rocher, car la température intérieure est bien élevée malgré la froidure de novembre, et (re)voilà les musiciens sur scène. Les choses sérieuses commencent avec « Coven », un des 8 nouveaux de l’album « Immigrance », le plus récent opus studio du collectif. Sur un mid tempo à la rythmique très marquée les cuivres entonnent le thème et les claviers s’envolent en chorus.
« Intelligent Design » extrait de « The World is Getting Smaller, 2007 » débute sobrement sur des basses puissantes. Tour à tour violon, guitare lead et trompette cisèlent la mélodie avant l’explosion des chorus de Shaun Martin aux claviers et de Keita Ogawa aux percussions. « While We’re Young » extrait de l’album « Immigrance » montre un nouveau visage des Puppys, assagis, presque sobres… mais j’ai parlé trop vite. Le titre phare d’Immigrance « Bad Kids to the Back » envoie du bois et des cuivres sur un rif funky farci de breaks écœurants et de ralentis scratches, comme sur une platine de DJ… mais comment font-ils ça en live ? Pour votre sécurité, n’essayez pas de reproduire cela chez vous.
Après le mot du patron, Michael League, « Gemini », titre extrait du précédent LP en studio « Cucha Vulcha » est l’occasion de faire écouter au public une nouvelle palette de sons improbables comme seuls les Snarky peuvent réussir à les faire sonner ! Bobby Sparks, moue boudeuse toujours de rigueur, caché sous sa capuche, n’avait pas gardé ses moufles en tout cas. Le solo à l’orgue Hammond qu’il envoie à la fin du morceau est certainement le plus monstrueux que le Rocher ait pu ouïr depuis son ouverture. Les applaudissements de la foule explosent.
Sur le très rythmé et très latino titre « Tio Macaco » (We like it here), le batteur Jason « JT » Thomas et le percussionniste japonais Keita Ogawa se livrent une joute rythmique de tous les diables. Après le funky « Thing of Gold » (Ground Up), « Chonks » et en rappel « Xavi » tous deux extraits de Immigrance, donnent à Michael League l’occasion de faire participer le public dans une séance de clapping ambitieuse, mélangeant rythmes binaires et ternaires… et bien ça a marché ! pour le plus grand bonheur de tous. Ceux qui y étaient se souviendront du mnémotechnique « pass the f… butter » qui nous a permis d’exécuter cette expérience rythmique, à la (presque) perfection.
On sort de ce genre de concert un peu KO, en refaisant le match, tant il faut laisser échapper l’excès d’excès proposé par Snarky Puppy. Comparé à leur dernière tournée passée par le Rocher de Palmer (17 mai 2017), le son, les arrangements et les titres laissent quand même penser qu’une sorte de sagesse s’installe, disons une certaine maturité.
Signé : Vince
1. Coven
2. Intelligent Design
3. While We’re Young
4. Bad Kids to the Back
5. Gemini
6. Tio Macaco
7. Thing of Gold
8. Chonks
Rappel : Xavi
Line-up :
Zach Brock – violon
Chris Bullock – sax ténor, flutes
Mike « Maz » Maher – trompette et bugle
Justin Stanton – trompette et claviers
Shaun Martin – claviers
Bobby Sparks – claviers
Chris McQueen – guitare
Michael League – basse
Jason « JT » Thomas – batterie
Keita Ogawa – percussions
Pour ceux qui auraient eu la malchance (ou le mauvais goût) de manquer ce rendez-vous, il est possible de vous rattraper en téléchargeant (moyennant quelques €) le live du concert mixé par Neil Macintosh au Rocher, sur le site officiel du groupe.
https://store.snarkypuppy.com/products/november-20-2019-bordeaux-france-mp3