par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
Cénac (33), samedi 20 octobre 2018.
A Cénac, au sein de l’association Jazz 360 on aime le jazz, on aime partager le jazz. Le festival de juin qui fêtera en 2019 son 10ème anniversaire nous le prouve chaque année. Festival mêlant formations régionales mais aussi nationales ou internationales, mais uniquement pour des répertoires originaux, c’est avec la convivialité ce qui fait sa signature. Mais une année à attendre le festival suivant c’est long, alors de temps en temps, pendant la saison creuse, pour entretenir la flamme et surtout se faire plaisir, Richard Raducanu et son équipe organisent des concerts Et c’est une très bonne idée.
Ce soir Jazz 360 accueille le Jazz Vibes quartet. Oh il ne viennent pas de New York ou de Paris mais de Bordeaux et ils en sont très fiers. Ils revendiquent le fait de faire une musique mêlant leur culture régionale et ainsi la musique gasconne et le jazz, « Un signe amical à Bernard Lubat » (le rencontrant le lendemain à Uzeste au Café du Sport je le lui ai transmis, il a souri aimablement…). Dans l’après-midi lors d’une conférence, disons plutôt rencontre, à la librairie bordelaise « La Machine à Musique » ils nous l’ont bien expliqué : « On revendique le fait d’aimer les huîtres du Bassin, le foie gras, les cèpes… » (là BL a ri). Ils nous l’ont de suite démontré avec des titres comme « Autumn in Pereire » ou « Gascoun Blues ». En trio l’après midi, Patrice Guillon (vibraphone), Jean-Patrick Allant (percus) et Aurélien Gody (contrebasse), ils nous ont proposé un avant goût du concert très prometteur.
Les voilà au complet le soir, Jacques Ballue (piano) les ayant rejoints. Jacques, Jean-Patrick et Patrice se connaissent depuis leur jeunesse.
Les deux premiers sont devenus professeurs au Conservatoire, le troisième est soliste à Orchestre National de Bordeaux, des « Messieurs ».
Aurélien c’est Jean-Patrick qui l’a rencontré lors d’une soirée ou ils faisaient chacun un « rempla » comme disent les musiciens et ça a matché de suite.
Comme chez les trois compères l’idée de monter un projet faisait son chemin, ils ont embarqué le jeune avec eux.
Ainsi est né le Jazz Vibes quartet. Jacques s’est mis à composer, sept titres, Jean-Patrick en a commis un. Le neuvième morceau qui figure sur le CD promotionnel* c’est un autre « Monsieur » qui leur a offert, Jean Courtioux celui par qui tout a commencé en 1955 au Conservatoire. Il est là ce soir faisant honneur à ses anciens élèves et à l’assistance, toujours aussi passionné à 87 ans.
Mais ici tout commence par une dégustation de vin et quelques gourmandises. Cela nous laisse une heure pour bavarder, se rencontrer, se connaître et c’est fort agréable.
Mais place à la musique. Le premier titre « Le Carillonneur » est un hommage – de son vivant – à une figure gasconne, un écrivain, conteur, inventeur de culture qui le dimanche allait carillonner à l’Eglise Saint-Michel de Bordeaux, Christian Vieussens. Quel instrument autre que le vibraphone se prête à cet hommage ? Cette sonorité tintinnabulante si agréable à l’oreille surtout quand c’est quelqu’un comme Patrice Guillon qui la fait naître.
Il a ce soir sa casquette jazz lui qui a plus souvent le smoking classique. Il nous a parlé l’après-midi de cette contrainte de jouer les partitions classiques avec précision sans interprétation possible. A ce sujet j’entends encore le directeur de l’école de musique de ma fille, Lucien Mora, se mettre à hurler quand un enfant avait le malheur de dire lors d’une audition « je vais vous interpréter une oeuvre de… » ! Là, Patrice retrouve la liberté, un contrepoint à ses habitudes professionnelles, cette liberté qui fait la signature du jazz, le vrai. Il s’en régale avec un plaisir évident mais surtout une maîtrise parfaite, fruit de 40 ans de travail.
Le jazz on est en plein dedans, comme le titre suivant « A pas de géant » hommage à qui vous savez, on reconnaît les notes, pas tout à fait dans le même ordre, le sax étant remplacé par le vibra et quasiment toujours à quatre mailloches.
La rythmique be bop est solide, très vive, malgré le flegme apparent mais efficace d’Aurélien Gody.
Jean-Patrick Allant n’est pas non plus exuberant bien droit sur son tabouret mais il est précis dans ses gestes, et très créatif. Magnifique solo aux balais, pas facile, puis plus tard un autre plus explosif aux baguettes.
Au piano électrique Jacques Ballue est en roue libre, c’est du moins l’impression qu’il donne, il pourrait certes marcher sur les plate-bandes du vibraphone, les deux instruments proposant des harmonies, mais Patrice Guillon nous a expliqué qu’il utilisait davantage son instrument à la manière d’une guitare plutôt que d’un piano d’où une absence de conflit ; et oui c’est simple la musique !
Il va s’effacer l’espace d’une ballade en trio « classique » pour une merveille de délicatesse. Des compos mais aussi des standards, ils aiment ça nous aussi, voilà un titre résumant l’histoire du jazz le traditionnel « Indiana » enchaîné par sa version tordue par Charlie Parker « Donna Lee ». Quel beau quartet vraiment, une interaction permanente, des regards échangés qui en disent long, le jazz. « Dans un grand orchestre classique chacun a le nez sans sa partition et on peut aussi bien jouer à côté d’un musicien avec qui on est fâché, en jazz ce n’est pas possible » me dira Jean-Patrick.
Pause. Il reste du vin et des pâtisseries à déguster et en plus on a tous des choses à se dire après ce premier set.
Jacques Ballue avec sa verve chaleureuse nous commente les titres, un hommage à Jean Courtioux avec « Waltz for Janice » que ce dernier a écrit, « Tango Tzigane » suivi par « Oblivion » la mélancolique pépite d’Astor Piazzolla. « Have you met miss Jones ? » à Cénac pas encore, voilà qui est fait. Un tour à Arcachon avant de se quitter avec « Autumn in Pereire », les quatre premières notes d’« Autumn Leaves », nos « Feuilles Mortes », une plage hors saison, vide, à la Lelouch, ça donnerait envie d’y partir de suite.
Soirée chaleureuse grâce aux musiciens (« Ils sont de New York ? » « Non de Bordeaux on vous dit ! » ) , aux organisateurs, au public. On en veut encore !
* CD enregistré au studio Berduquet par Jean-Christophe Dignan
