par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD

Le Rocher de Palmer, jeudi 12 mars 2020.

Déjà cinq ans qu’Action Jazz suit Tom Ibarra ainsi proposé au grand public de Bordeaux sur notre scène de la place du Palais lors de la Fête de la Musique en juin 2015. C’est au Caillou peu de temps avant qu’il avait fait sa première scène bordelaise.

Seulement cinq ans pour trois albums de ses propres compositions et avec trois formations différentes du Tom Ibarra Group

Des années passées aussi à parfaire sa formation, scolaire au lycée – il est bachelier – et musicale au CMDL de Didier Lockwood qui l’avait pris sous on aile bien plus tôt, mais qui suit sa carrière depuis là-haut désormais. Et Tom Ibarra, la tête sur les épaules et pas grisé par ce succès naissant (il a déjà sa page Wikipédia !), continue de travailler avec sérieux et méthode. Ne vient-il pas une fois par mois au Thélonious de Bordeaux pour y jouer en duo ou en trio, travaillant les standards en petite formation ou les improvisations libres, une sorte de mise en danger, conscient qu’il est d’avoir encore beaucoup de choses à apprendre.

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Mais bien sûr tout cela n’est que complément par rapport à son projet, désormais en sextet. Le concert de ce soir est le premier, correspondant à la sortie à l’automne de l’album, son troisième. Une résidence discrète a eu lieu il y a deux semaines en ce même Rocher de Palmer, Tom est perfectionniste ses copains musiciens aussi. Ils sont tous très jeunes et si cela n’est pas forcément un gage de qualité ou une condition suffisante, dans ce cas là c’est surtout un beau gage d’espoir, tant ils sont tous excellents avec un potentiel déjà bien exploité.

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Dans le climat actuel la crainte d’une salle trop vide est présente, mais elle finira par bien se remplir. A une heure près, le Président de la République annonçant en même temps à la Nation les mesures sanitaires très contraignantes… Mais ne boudons pas notre plaisir avant cette dure période qui nous attend. Ils sont donc six sur scène avec pas mal de matériel. Tom Ibarra (compositions et guitare), Jeff Mercadié (sax ténor), Auxane Cartigny (clavier Prophet) et trois nouveaux venus, Lilian Mille (trompette et synthé), Noé Berne (basse et Moog), Tao Ehrlich (batterie). Une jeune garde extraordinaire.

Mais comme les Trois Mousquetaires qui étaient quatre eux sont sept, inséparables de leur ingénieur du son Guillaume Thévenin qui a un boulot de ouf à la console, on va voir pourquoi.

DSC04096Tom nous a annoncé du changement (bientôt la parution d’une interview dans la Gazette Bleue) on va en effet vite s’en rendre compte. Sur le premier titre (pas encore baptisé et qui fait partie du futur album qui sortira en septembre, sans titre lui non plus pour le moment) on sent une forte influence électro. La guitare jouée à l’octaver, le sax plein d’effets qui sonne comme une trompette, la trompette trafiquée elle aussi à travers un synthé, les infra-basses du Moog et un gros son porté par une rythmique phénoménale. Belle maîtrise du groupe qui n’a pas choisi la facilité dans sa musique et qui malgré cette débauche de technique sonne avec authenticité.

32-IMG_8662Ils ont visiblement des messages à faire passer, leur jeunesse, leur créativité, leur culot. Electro et pop, cette pop moderne élégante et souvent enjouée. Et le jazz dans tout ça, allez-vous me dire ? Il est là dans cette fusion, ces improvisations bien libres, ces chorus surprenants dont on ne sait pas un instant d’où vient le son. La guitare sonne clavier, le sax trompette, la trompette guitare… Ils s’amusent bien avec leurs jouets électros. Et tout cela est en parfaite cohésion grâce à des mois de travail et des individualités exceptionnelles dont l’aîné, Jeff, n’a que 30 ans. Du haut vol.

DSC04105La structure des titres est dans la veine de ce que compose Tom, des mélodies simples, des variations, des passages minimalistes parfois,  peut-être à raccourcir ou étoffer, qui annoncent des explosions ; je les aime tellement que c’est pour ça que je m’impatiente dans les passages tranquilles ! La batterie légère déboule tout à coup escortée par une grosse basse, les cuivres s’enflamment, les solos de guitare partent vers des sommets sur des tapis volants de clavier. Les ballades finissent presque toujours en courses effrénées au groove puissant. La joie est là sur scène comme vers la fin dans cette sorte de samba déjantée jouée à mille à l’heure, on les sent vivre, s’épater mutuellement mais sans surenchère, la musique reste toujours là.

30-IMG_8659Pour le rappel il joueront « Sparkling », le seul titre connu de la soirée, issu de l’album précédent, totalement réarrangé autour d’une mélodie accrocheuse. Tom et Jeff tireront chacun leur bouquet final devant un public médusé puis bruyant devant une telle énergie positive.

Merci à ces musiciens de renouveler le genre, d’oser des choses innovantes, des sons actuels. Des puristes vont peut être rechigner mais des jeunes vont j’espère tendre l’oreille, c’est ce qu’on leur souhaite pour être vraiment reconnus à leur juste valeur. « Il nous faudrait une chanteuse pour les attirer» me confie en rigolant Jeff Mercadié quand je lui parle de ça. Une bonne part de ma génération n’a t-elle pas découvert le jazz grâce à un courant nouveau et donc décrié à l’époque, le jazz rock.

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PS : ce que nous ne savions pas c’est que nous assistions au dernier concert au Rocher (et ailleurs) pour un bon moment. La liberté, tout comme la santé et le bonheur, c’est vraiment quand ils ne sont plus là qu’on réalise ce qu’ils représentent…

Carte AJ