Texte et photos Philippe Desmond.

Café du Sport, Uzeste dimanche 21 octobre 2018.

Il y a de temps en temps des semaines fastes pour le jazz du côté de Bordeaux, voyez plutôt : Rémi Panossian trio mercredi à Sortie 13 en même temps que Flavio Boltro au Rocher, Laurent Coulondre jeudi à Créon, Gordon Webster tout le week-end au Rocher pour le festival Bordeaux Swing, le duo Corneloup/Tortiller samedi après-midi à la Bibliothèque de Bordeaux, le Jazz Vibes quartet chez nos amis de Jazz 360 à Cénac le soir, sans parler des soirées au Quartier Libre, au Caillou, au Django, au Molly Malone’s, au Centro do Brasil, à l’Orient de Libourne … Action Jazz sur tous les fronts ou presque et le besoin de se mettre au vert. Mais la passion étant ce qu’elle est, c’est vers la campagne d’Uzeste que me voilà parti en ce dimanche après-midi, plus exactement au café du Sport, à exactement 210 km* des Pyrénées comme l’indique un panneau peint.DSC00206

Pas pour une rencontre sportive mais pour un concert pour ne pas changer. Le pianiste Thomas Bercy y rode son nouveau spectacle dans le cadre du projet « L’art révolution ».

 

Il est en quintet avec son fidèle Jonathan Hédeline (contrebasse), ses « vieux » potes Mickaël Chevalier (Flumpet) et Guillaume Schmidt (Sax) et un « petit jeune » Nicolas Girardi (Batterie). L’idée, retracer par un raccourci musical l’histoire du jazz ! Fistre, rien que ça ! Cet été déjà à Andernos, mais avec 15 musiciens et durant 3 heures Thomas avait réalisé un exercice de ce style autour des 50 ans du festival et des artistes qui s’y étaient produits. Une réussite absolue.

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En arrivant au café du Sport beaucoup de changement, Marie-Jo la patronne a passé la main à sa fille Betty et vous savez ce qui se passe dès que les parents ont tourné les talons, les enfants n’en font qu’à leur tête. Ainsi Betty a tout chamboulé et refait à son goût mettant un sacré coup de jeune – pardon Marie-Jo – à l’endroit. Mais l’esprit est toujours là, le bistrot et l’épicerie mêlés, les habitués, la cheminée…

L’histoire du jazz prend ses lointaines racines en Afrique avec la traite des esclaves dont les descendants seront à l’origine. C’est ainsi que le concert débute par les tambours et les rythmes africains de Nicolas Girardi, glissant petit à petit vers des tempos plus jazz et l’entrée en piste des quatre autres.

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Remarquez le portefeuille qui fait office de sourdine…

Une évocation du Gospel avec une belle version de « God Bless the Child » et nous voilà déjà à New Orleans Mickaël Chevalier enfilant les habits de Satchmo ; époque de « l’invention » du solo ou chorus.

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On glisse vers le Swing puis très vite vers le Be Bop cassure brutale avec l’image trop « Oncle Tomiste » d’Armstrong dans une Amérique minée par la ségrégation selon Thomas. Jazz plus violent, plus politique que ce courant ; à l’époque pour certains ce n’était déjà plus du jazz, éternelle querelle entre anciens et modernes toujours d’actualité dans quelques chapelles.

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Titre choisi tout simplement « Be Bop » de Dizzy Gillespie. Le quartet donne toute sa puissance dans ce titre, duels sax trompette, rythmique sauvage. Place au 50’s au Cool Jazz avec « Nardis » de Bil Evans enchaîné avec « Africa» de John Coltrane. La césure est faite par Jonathan Hédeline avec un très sensible chorus de contrebasse grossissant vers le tempo plus tendu. Quel silence, quelle écoute pendant ce solo, on entend même le clocher de la Collégiale voisine sonner six heures, les cris des enfants dans la cour, un gros tracteur passant dans la rue venant rompre cette quiétude. Quiétude définitivement rompue avec la composition pleine de violence de Coltrane, une énergie folle, le sax et la Flumpet enfiévrés, la rythmique sur les dents, la batterie mitraille, du cool on est passé au hot, c’est prenant. « Pas mon répertoire préféré » confiera Guillaume, son saxophoniste favori restant Eddie Harris, mais j’apprécie de le jouer pour son aspect technique difficile.

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Changement de style radical avec le jazz électrique d’Herbie Hancock époque Headhunters. C’est « Actual Poof » de l’album « Thrust » le premier que j’ai acheté d’Herbie en 1974 avant de le voir en concert à Bayonne deux ans plus tard sur ce même répertoire. Toute une époque là aussi, le jazz rock, l’électricité, l’électronique qui arrivent, déroutant encore une fois les tenants de la tradition, celle-ci évoluant d’ailleurs au fil du temps… Pas facile à jouer en acoustique justement mais quelle belle version malgré le piano un peu fatigué loin de sonner comme un synthé ! Mais pour évoquer Paul Jackson, Jonathan a quand même sorti sa basse électrique Bird faite sur mesure pour lui par le luthier François Payen.

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Nous voilà en 1986 avec « Black Codes » de Wynton Marsalis en référence à ce terrible « Code Noir » inventé en Louisiane par les Français – et oui – et trop longtemps en vigueur, laissant la place après l’abolition de l’esclavage au désenchantement de la ségrégation. Musique engagée, émouvante, violente.

La boucle du concert est bouclée mais un rappel s’impose ! C’est « Computer G » de Kenny Garrett avec dans son rôle Schmitie au sax alto, superbe. Grosse bagarre entre Nicolas et Jonathan celui-ci combattant à la contrebasse wah-wah avec un archet !

On vient de balayer l’histoire du jazz ici dans ce troquet de campagne, dans la cour Marie-Jo dépiaute des piments, des enfants jouent, la vie ici est simple, authentique. Authentique comme ces musiciens, passionnés, artistes.

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Merci au Collectif Caravan d’animer ainsi et toujours avec des projets intéressants ce Sud Gironde et au-delà maintenant.

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* précision : les symboles d’unité ne se mettent pas au pluriel et celui de kilo s’écrit en minuscule donc 210 km et non, comme peint sur le mur en face du café, 210 Kms. Merci Action Jazz !

PS : vous aimez le jazz, venez nous rejoindre au festival Jazz à Caudéran les 8, 9 et 10 novembre prochain, nous co-organisons avec la Mairie de Bordeaux. Vous y retrouverez Nicolas Girardi avec Robin & the Woods ainsi que Guillaume Schmidt avec Saxtape.

Bienvenue

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