Texte et photos Philippe Desmond.

Le Thélonious, Bordeaux le 12 décembre 2019

Ce soir le Thélonious accueille un trio de jazz mais pas dans sa forme désormais classique, piano, contrebasse, batterie mais orgue, guitare, batterie. D’illustres précurseurs à cette configuration, en Europe Eddy Louis, René Thomas et Kenny Clarke, ainsi qu’Emmanuel Bex, Philip Catherine et Aldo Romano mais c’est au trio américain Larry Goldings, Peter Bernstein et Bill Stewart qu’ Hervé Saint-Guirons, Yann Pénichou, et celui qui en a eu l’idée Philippe Valentine rendent hommage. Je dois avouer que si je connais les deux premiers trios cités, celui dont il est question ce soir m’était assez étranger. Pourtant il est considéré depuis 25 ans comme la référence dans le genre et les trois musiciens qui le composent sont, au delà de cette formation, de sacrés sidemen, très demandés par les plus grands.

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Quand Philippe Valentine a eu envie de jouer ce répertoire et qu’il s’est tourné vers Yann et Hervé, ceux-ci ont de suite été emballés l’ayant joué il y a des années. Ils ont donc repris le travail de relevés et d’arrangements. C’est la première fois que le trio se produit et le résultat va déjà être parfait. Du talent et beaucoup du travail bien sûr, celui qui permet cette apparente aisance devant le public. Déjà quand on voit le matériel sur scène on comprend le sérieux de la chose, que rien n’a laissé au hasard. Mon œil de (piètre) batteur est de suite attiré par la somptueuse Craviotto mêlant acajou et érable moucheté, les fûts et les cerclages en bois étant finement marquetés. Cette marque américaine, pas si ancienne que cela, fait partie du haut de gamme des batteries et produit du matériel de toute beauté et surtout « qui sonne très bien » me confie Philippe Valentine. Je confirme.

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Côté cour, un ampli Fender Twin de 1965 chargé de mettre en valeur le son d’une Gibson ES 175 de la même année, LA référence des guitares jazz, un bijou récemment acquis par Yann Pénichou. Le couple Gibson Fender fonctionne à merveille.

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Côté jardin l’orgue, élément central du son du trio même si c’est la guitare qui est le plus souvent devant pour la mélodie. Un Mojo de chez Crumar, clone du Hammond B3 à roues phoniques avec bien sûr une cabine Leslie de diffusion du son raccordée. «Bien sûr » ? Pas tant que ça quand on sait que Laurens Hammond lui même n’a jamais digéré qu’on associe son orgue à la cabine inventée par Don Leslie, jugeant ses propres hauts parleurs suffisamment efficaces. Les revendeurs d’Hammond cachaient les Leslie au sous-sol pour ne pas perdre la concession ! (source : le remarquable livre de Laurent de Wilde « Les fous du son » chez Folio ).

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Donc ce soir, pas de soufflants, pas de contrebassiste, c’est Hervé qui se charge des basses avec son pédalier et sa main gauche avec ce son bien rond au timbre caractéristique. Dès le début on ressent cette musique qui vous enveloppe, qui ne vous agresse pas, cool, agréable , élégante et confortable comme un doux velours. La guitare domine pour la mélodie, cette mélodie si importante dans les compositions principalement de Bernstein (on dit Bernchtinn à l’américaine) et Goldings. Quand je dirai à Yann Pénichou que cette musique semble tourner toute seule avec facilité il me répondra « c’est tellement bien écrit ! ». C’est la musique de club par excellence, à la fois intime mais sachant aussi groover avec décontraction vers le R & B, Philippe en profitant pour allumer quelques pétards avec ses baguettes.

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Philippe Valentine a longtemps enseigné au Conservatoire, j’espère que ses élèves se sont rendus compte à qui ils avaient à faire. Son drumming, particulièrement dans ce répertoire est un travail de maître. Toujours à varier, à inventer, à faire de la musique, ses chorus soutenus par les deux autres ajoutant piquant et énergie. C’est sûr que la Craviotto sonne bien mais c’est surtout par ce qu’il s’en sert à merveille.

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Yann Pénichou a visiblement apprivoisé sa nouvelle guitare vintage, née bien avant lui. Ce répertoire leur sied parfaitement. Chaleur du jeu et des mélodies, un timbre simple et clair sans effet, des sons profonds ou intimistes, tout cela participe à l’impression de bien être à l’écoute de cette musique.

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Mais la personnalité si spéciale de ce type de trio vient de la présence de l’orgue , ce feulement des basses, ce miaulement des aigus, cette attaque dynamique. En rythmique ou en chorus c’est vraiment au autre monde que cet instrument et Hervé en est un des spécialistes, la présence du clavier pouvant laisser penser que jouer de l’orgue est à la portée de n’importe quel pianiste ; ça aide bien sûr mais il reste du travail à faire !

Et comme les trois s’entendent très bien et prennent visiblement du plaisir à jouer, celui-ci devient vite communicatif.

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Dommage qu’il n’y ait eu qu’une petite chambrée, la pluie battante ayant découragé les dits amateurs de jazz, ceux de la pop n’ayant pas eu la même timidité pour remplir à ras-bord l’Arena et le concert de M… Mais les amis étaient là, pas mal de musiciens qui auraient pu pallier la moindre défaillance d’un membre du trio.

Quant à moi, je dois remercier la grève de la SNCF qui a contraint Jean-Luc Ponty à annuler son concert « Atlantic Years » au Rocher ce soir (reporté au 13 février) où je devais officier pour Action Jazz et qui m’a ainsi permis d’assister à cette soirée ! Je me suis consolé de ce report dès les premières mesures de « Carrot Cake ».