Stefano Di Battista « Morricone Stories » – Un délicieux concert.

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Le Rocher de Palmer, mercredi 2/2/22 (jolie date)

En trente ans Stefano di Battista s’est fait une belle place dans le jazz européen et mondial. Ce saxophoniste – alto et soprano – a joué et enregistré avec d’autres grands, je l’ai personnellement mieux découvert en 2000 – l’an 2000 tant attendu, déjà près de 22 ans ! – dans son album chez Blue Note avec Jacky Terrasson, Rosario Bonnacorso et la légende Elvin Jones. Depuis il a enregistré des dizaines d’albums, sous son nom ou pour des collaborations prestigieuses. Ce soir au Rocher de Palmer il est venu nous jouer la musique d’Ennio Morricone, un échantillon de cette musique tant le Maestro a été prolifique. Musiques de film (plus de 500) , de variété, symphoniques, Morricone est surtout connu dans le monde pour les premières notamment ses collaborations avec Sergio Leone et les fameux Western Spaghetti, terme très péjoratif inventé par Hollywood pour dénigrer ces Italiens qui venaient leur piquer leur « culture ». Il a aussi illustré musicalement maints films français, citons bien sûr le Clan des Siciliens, Le Casse, Le Professionnel, La Banquière… et même La Cage au Folles !

Stefano a donc eu l’embarras du choix pour puiser dans ce répertoire et il n’a pas forcément retenu les thèmes les plus connus pour les arranger à sa sauce… italienne. Pas si italienne que ça d’ailleurs, Fred Nardin ayant eu une part importante dans les arrangements. Fred est présent ce soir au Steinway de concert ce qui est un satisfaction tant son talent est grand. Autre joie, celle de retrouver André Ceccarelli aux baguettes, le légendaire Dédé que tout le monde s’arrache. Le contrebassiste napolitain Daniele Sorrentino vient boucler le quartet. Une magnifique affiche qui a attiré…pas grand monde. Nous sommes une centaine éparpillés dans la salle 650 (places) du Rocher. Situation sanitaire ? Manque de com ? Alors pourquoi la semaine précédente pour le même quartet y avait-il 600 personnes à Châlon en Champagne et 800 à Bourges ? Inquiétant pour une agglomération de la taille de la métropole bordelaise. Patrick Duval et sa dynamique équipe du Rocher vont finir par se lasser…

Les absents vont-ils avoir tort ? Je peux affirmer que oui, c’est un concert délicieux que vont nous offrir ces quatre musiciens. A part le second extrait de la BO de « Peur sur la Ville », les quatre premiers titres me sont inconnus. Question mélodies Morricone était un maître et le quartet a ainsi une jolie trame pour broder. Il ne s’en prive pas, Stefano au soprano volubile avec un son pur et musical, Dédé papillonne aux balais, léger et précis, Fred accompagne pour le moment, prenant de courts chorus et Daniele assied le tout, sans bavure. Je commence à regretter que Stefano ne présente pas les morceaux, pour qu’on sache à partir de quelle matière il les a modulés, tordus. Et c’est justement à ce moment-là qu’il s’approche du micro pour nous renseigner. Ses interventions en Français avec cet accent exquis des Italiens, vont apporter une touche de sympathie et de fantaisie unique. Pleines d’humour, d’échange avec le public et ses complices et jamais ennuyeuses bien au contraire. Quant il se met à genou devant le légendaire Dédé comme il ne cessera pas de l’appeler, on est dans la commedia dell’arte ! Plus tard il nous racontera sa première rencontre avec le Maestro Morricone en 2007 lors du repas après la soirée des César où le compositeur a été récompensé pour l’ensemble de son œuvre. Vraiment intimidé devant ce monument, Stefano va sentir très vite le courant passer, Morricone lui composant au pied levé sur un coin de table une mélodie et lui proposant de la jouer ensemble – il avait amené son saxophone, on ne sait jamais – tout en s’excusant par avance des erreurs qu’il allait commettre au piano. Raconté dans le détail par Stefano c’est magnifico ! La photo de la partition écrite au débotté figure dans l’album Morricone Stories.

Et la musique me direz-vous ? Bella ! Voilà « Deborah’s theme » du film « Il était une fois en Amérique », Dédé l’a vu huit fois ! Mais hier c’était sept lui rétorque Stefano ; oui je l’ai regardé hier soir après le concert ! Quelle douce ambiance presque intime dans ce Rocher ce soir, on est vraiment entre amis. Magnifique arrangement de Fred Nardin, un peu inquiétant « mais n’ayez pas peur c’est juste de la musique » prévient Stefano pour « la Donna della Domenica » de Comencini (la Dame du Dimanche avec Marcello Mastroianni, Jacky Bisset et Jean-Louis Trintignant). Fred est vraiment un des meilleurs pianistes actuels, sensible et plein de swing quand il le faut. Dans ce titre résolument hard bop il régale de sa verve. Stefano passant de l’alto au soprano, lui aussi fait partie des tout meilleurs. Aussi bien classique que résolument libre, il enchante avec un son velouté, onctueux qui peut partir vers des aigus impossibles mais toujours musicaux. Dédé ? Toujours aussi à l’aise et varié dans son jeu, un orfèvre. Daniele très rond, métronomique et indispensable. Pour terminer « Il buono, il brutto, il cattivo » que vous connaissez comme « Le bon, la brute et le truand » précédé du jeu de rôle « qui est qui ? » sur scène, Stefano s’étant attribué bien entendu celui du bon.

Rappel obligé avec la mélodie extraordinairement belle de « The Mission » et rendez-vous dans le hall pour une rencontre dédicace avec les musiciens, sauf André, Stefano nous confirmant qu’il est un être délicieux.

Galerie photos de Philippe Marzat