Jazz en Mars 2023 #1

par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD

Mercredi 8 mars 2023

Au début du mois de mars, le jazz c’est à Tarnos que ça se passe et voilà la 18éme édition du festival Jazz en Mars. Cette année du 8 au 12, un concert ayant même été rajouté le dimanche alors que le festival avait commencé, on en reparlera.

Ce festival bien ancré dans la vie culturelle de la ville et avec son très grand soutien, financier, humain et logistique, affiche cette année complet pour tous les concerts payants, depuis trois semaines, preuve de sa légitimité et récompense de sa qualité. Il faut dire que la programmation bâtie par Arnaud Labastie le chef d’orchestre, aussi, de ce festival est toujours superbe.

Mais le premier jour c’est toujours une soirée solidaire qui ouvre le bal. Cette année elle est au profit de Cap Optimist https://www.capoptimist.com/ qui a pour objectif l’aide morale, physique aux femmes atteintes de cancer et désormais aux hommes et aux jeunes.

L’école de musique de Tarnos et son Big Band

Cette soirée d’ouverture est surtout l’occasion de montrer la vitalité de l’école de musique locale qui existe depuis 30 ans. Accompagnés du solide Swingin’ Bayonne d’Arnaud Labastie (p), Patrick Quillard (cb) et Jean Duverdier (bat) plusieurs élèves vont ainsi se lancer en public, Soan Lesca-Pastre, un tout jeune clarinettiste prometteur et une jeune chanteuse de 15 ans qui, quand elle a démarré son chant, a fait reculer tout le monde d’un mètre tant sa voix de blues est puissante. Un diamant à tailler que cette Justine Capdepont dont certains auront deviné le prénom du papa. Deux invités nouveaux habitants du coin, Manuel Casel un professeur de flûte venant de Suisse pour une magnifique Bossa Nova et un Omar Little, excellent trompettiste arrivant de New York s’il vous plait. On devrait les revoir avec le Swinging Bayonne à mon avis…

Mais ce que la salle attend c’est le big band de l’école de musique. Préparé par Txomin Duhalde, ce soir à la batterie, il est à cette occasion dirigé par Arnaud Labastie, chef d’orchestre du festival à tous les niveaux. Composé d’élèves, de professeurs, mêlant les âges et peut-être trop peu les genres, il va très vite nous montrer ce que peut produire une école de musique de qualité. Au gré entre autres, de « Chameleon », « Feelin’ Good », « Cantaloupe Island » la formation a plus qu’assuré, une idée à creuser pour les programmateurs de festivals de la région.

Dans ce type de festival le bénévolat tient une place fondamentale, ce sont les parents d’élèves de l’école de musique qui ces quelques jours vont tenir la buvette et la petite restauration.

Jazzary

Après l’entracte, place à un jeune groupe que la plupart d’entre nous découvrent, Jazzary – qu’ils écrivent J4zzary – venu de Dax et de son conservatoire. Ce quartet a une forme originale, sans vraie basse, sinon la main gauche de Martin Labat-Labourdette sur son synthé, avec deux cuivres, la trompette (ou le bugle) de Jon Caliot et le trombone de Charles Caup qui occupent le devant de la scène en écho, duels, dialogues ou bagarre constants et un batteur tonique Enzo Laidi. Pas vraiment de style bien définis sinon leur bel éclectisme qui leur fait jouer de tout, de Bill Withers à au St Louis blues (une version punchy – horny superbe) en passant par Norah Jones, Joe Zawinul (« Mercy, Mercy »), « Afro Blue » et leurs propres compositions. Une belle découverte que ces jeunes dacquois dont le nom du groupe fait référence à leur professeur emblématique trop tôt disparu, le grand Didier Datcharry . Ils lui rendent d’ailleurs hommage avec sa composition « Lydie ». Un groupe à suivre.

Une bien belle soirée pour lancer ce festival, ça promet !

Jeudi 9 mars 2023

Deuxième soirée du festival Jazz en Mars de Tarnos, la première des trois payantes. Pas d’inquiétude quant la fréquentation, c’est complet depuis longtemps pour les trois ! Les inquiétudes viennent plutôt des difficultés de transport que rencontrent les musiciens pour rejoindre Tarnos. La situation actuelle tendue socialement, complique singulièrement les choses. Aujourd’hui tout le monde sera là mais pour demain c’est l‘incertitude ; on le saura le jour même.

Luca Filastro

La première partie est assurée par le pianiste italien Luca Filastro, en solo. Le voilà qui arrive sur scène avec cette élégance italienne et ce sourire qui, instantanément, fait se pâmer mes voisines ; il va étendre sa séduction à tous avec son talent. Débutant en douceur, en lenteur, comme un pianiste classique, il nous emmène petit à petit vers le jazz quand commence à poindre les accords de « On the sunny side of the street ». Très vite une connivence s’installe avec le public, ces sourires taquins, cette grande classe qui va éclater dans un « Tea for two » qui me donnerait presque le goût de cette boisson, une version pleine d’enluminures. Tous les standards que Luca interprétera ne seront d’ailleurs que des prétextes à partir loin dans des improvisations délicates ou carrément Stride, à toute allure. Il a les mains pleines de touches comme le confirme un retentissant « Hands full of keys » introduction à un hommage par quelques titres à un de ses musiciens préférés, Fats Waller. Une autre de ses références est Willie « The Lion » Smith dont voici « Echoes of Spring ». Il ne restera plus qu’à achever ces dames avec la promesse « I can’t give you anything but love » quant aux hommes, ils auront pris une leçon de piano qu’ils ne sont pas près d’oublier. Un pianiste éblouissant et molto simpatico ! Tout cela n’est bien sûr pas dû au hasard, la méticulosité, le perfectionnisme et l’exigence – avec tact – dont il a fait preuve aux balances auxquelles j’ai pu assister, montre que l’aisance se travaille en amont.

Rhoda Scott feat. Terell Stafford

Place maintenant à une habituée des lieux, déjà la quatrième fois qu’elle vient à Tarnos dont elle vient d’ailleurs de recevoir la médaille de la ville, la grande Rhoda Scott. Elle est venue présenter sa formation en duo avec le batteur Thomas Derouineau . Ils jouent ensemble depuis dix ans dans cette configuration, celle qui l’a suivie toute sa carrière, mais qui depuis quelques années est un peu éclipsée par son Lady Quartet et son Lady All Stars, que tout le monde se dispute. Pourtant cette conversation orgue batterie est d’une efficacité terrible, un duo donc mais dont on réalise vite qu’il est en fait un trio, Rhoda jouant à la fois du clavier avec les mains et de la basse avec les pieds, nus bien sûr. Elle mène bien sûr la cadence avec une joie qui pourrait paraître étonnante après toutes ces années. Loin d’elles les préoccupations d’âge légal pour prendre sa retraite, elle l’a dépassé depuis plus de vingt ans, multipliant encore les concerts, les voyages (plus de 600 kilomètres en voiture avec son équipe pour arriver ici et repartir deux jours après…). Tout cela avec un sourire et une gentillesse extraordinaires ; et aussi pas mal d’humour. J’ose le dire, cette femme est belle, rayonnante. Et une fois lancée sur son orgue Hammond, le vrai, le B3, rien ne l’arrêterait. Ca groove, ça swingue avec ce son si particulier et si riche de ce meuble instrument, destiné à l’origine aux églises. Quelle bonne idée que l’en avoir fait sortir ! A ses côtés Thomas Derouineau ne se contente pas de tenir le rythme, il fait vraiment lui aussi partie de la musique, il ponctue, souligne, surligne, dialogue avec une précision musicale exceptionnelle. Et quel solo va-t-il nous offrir lors d’un « Caravan » arrosé de « Tequila », éblouissant ! Rhoda mêle des titres de l’album « Movin Blues » où le Duke est très présent (le plus grand compositeur du XXe siècle selon elle) à certains de ses classiques comme « Valse pour Charlotte ». Et dire, on ne le sait pas encore, que le concert va encore monter d’un cran !

En effet le trompettiste américain Terell Stafford rejoint le duo et aussitôt enflamme la salle d’un son mêlant finesse et puissance ; il est brillant. Aucun effet, aucune sourdine, de la pure trompette qui parfois monte haut, très haut avec un lyrisme étincelant. Le jazz c’est quand même magique. Rhoda et lui, m’a-t-il dit, n’ont joué qu’une fois ensemble, il y a longtemps à New York avec le Vanguard Jazz Orchestra et aux balances il a suffi d’un quart d’heure pour définir un répertoire et le régler. Et ça tourne à fond leur affaire ! Les impros de trompettes, riches, musicales se succèdent, tout y est.

Et tant qu’on nage dans le bonheur musical pourquoi ne pas faire revenir le chéri de ces dames, Luca Filastro ? Le trio devient quartet pour un final éblouissant et totalement improvisé, rien ne s’était décidé lors des balances et ils ne se connaissaient pas avant aujourd’hui. Un blues en fa, pas de risque pour une première, sauf qu’il va partir dans tous les sens ! Et en rappel un « Perdido » ébouriffant. Le premier qui me dit qu’il n’aime pas le jazz… retenez-moi ou je fais un malheur !

Un concert unique et exclusif à plusieurs titres cette formation ayant peu de chance d’exister à nouveau. Merci Arnaud Labastie de nous bâtir de telles affiches.

Galerie photos

de CS et PhD