Jazz en Mars 2023 #2

par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD

Déjà deux jours de festival Jazz en Mars avec de grands moments, place à la suite !

Vendredi 10 mars 2023

Aurore Voilqué et le trio de Benjamin Bobenrieth

Arnaud Labastie depuis deux jours se ronge le sang. Les grèves de transport compromettent l’acheminement de certains artistes. Depuis mercredi par exemple, Aurore Voilqué essaye de trouver un moyen avec son trio de venir à Tarnos. Elle finira par arriver seule après un périple compliqué, avion et voiture et des annulations de billets en cascades. Elle a perdu son trio en chemin et la veille du concert, elle a dû rechercher des musiciens qu’elle a trouvés à Toulouse, le trio de Benjamin Bobenrieth. Arnaud Labastie est inquiet, il ne connaît pas ces musiciens. Je tente de le rassurer, les ayant vus cet été au festival d’Andernos, c’est du solide. Elle et eux finiront par arriver dans la même voiture à 19 h, une heure trente avant le concert ; et ils n’ont jamais joué ensemble. Balance express en 30 minutes, dans un calme et une sérénité qui ne doivent être qu’apparents. Repas sur le pouce ou presque et à 20h30 le miracle va se produire : un concert magnifique, dopé certainement à l’adrénaline, un interplay vigilant et pour cause, les yeux qui ne se quittent pas, les mélodies, les harmonies, les chorus comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Aurore toujours impeccable au violon et au chant et Benjamin vont ainsi dialoguer pendant une heure, la rythmique manouche étant assurée par Ludovic Machane à la « pompe » et Vincent Hémery à la contrebasse. Aurore n’a pas perdu son humour et sa fantaisie en route, ni heureusement son talent. « Danse norvégienne », des titres de Django bien sûr dont le subtile puis enjoué « Vous et Moi », une version chantée, en Français s’il vous plaît, du « Whisper Not » de Benny Golson, un très sensuel « Why don’t you do right » repris à la bombasse – comme elle, dixit Aurore – Jessica Rabbit, pour finir dans les « Nuages ». Merci Aurore Voilqué de ce respect infini du public et des organisateurs, pourtant peu récompensée par l’annulation de son train retour le lendemain matin… Bravo au trio pour cette faculté d’adaptation au pied levé, ça c’est du jazz !

Terell Stafford & Jesse Davis quintet

Arnaud Labastie avait envie de faire venir le trompettiste américain Terell Stafford qu’il avait rencontré il y a quelques années ainsi que son complice saxophoniste alto, le costaud Jesse Davis. Encore fallait-il leur trouver ce qu’on appelle communément une rythmique, piano, contrebasse, batterie qui soit à la hauteur. Son choix s’est vite porté sur le pianiste Philippe Milanta qui a monté son équipe : Thomas Bramerie à la contrebasse, du très solide, et un jeune batteur, presque surpris de se trouver en si belle compagnie, Germain Cornet. Après avoir fait connaissance, et oui encore de l’impro jazz, les musiciens se sont attelés à une séance de travail, couplée à la balance, mémorable pour nous simples observateurs. Rigueur, soin des détails, écoute des arrangements de références sur le téléphone de Terell, précision des fins, organisation des chorus et surtout grosse rigolade. Un travail de pros dans une ambiance détendue, une séance qui aurait dû être publique, le public ignore en effet ces moments intenses de préparation, surtout ainsi dans une certaine urgence.

Le soir nous voilà partis dans un concert de be-bop d’un niveau inouï. La perfection dans le genre. Deux solistes incroyables, Terell Stafford qui joue straight, sans effet, sans sourdine, avec un son d’une grande pureté et tellement de choses à dire dans ses chorus ; quelle générosité, quel lyrisme, quelle musicalité, il est époustouflant. Son compère Jesse Davis, avec son sax alto paraissant minuscule devant son gabarit, n’est pas en reste ; lui aussi maîtrise son art et quand les deux se mettent à dialoguer, à bagarrer, on atteint des sommets. Mais s’il peuvent donner ainsi c’est que « derrière » ça file droit. Philippe Milanta a un toucher d’une grande délicatesse, ses chorus sont d’une grande élégance et rythmiquement il n’a rien à envier à ses collègues américains, McCoy Tyner par exemple avec qui a joué Terell. Le son et le swing de Thomas Bramerie nous ont enchantés, un grand lui aussi. Quant à Germain Cornet il a fait une fantastique prestation, certes au spectacle lui aussi, mais très vite en fusion avec les autres. Et merci aux deux leaders d’avoir souvent laissé de la place au trio, de grands pros très sympathiques ces deux américains. Pour le répertoire, des titres de Cannonball Adderley – Jesse en est un disciple – de Sam Jones, Randy Weston, des compositions de Terell et des tas de citations glissées par-ci par-là pour chatouiller les amateurs.

Un concert magistral

Samedi 11 mars 2023

Les concerts de la veille sont encore dans toutes les oreilles mais déjà il va falloir passer à autre chose.

Uros Perry

Uros Perry la dernière fois que je l’ai vu il s’appelait Uroš Perić, mais c’est toujours cette troublante réincarnation de Ray Charles ce qui lui vaut le succès à chaque fois. Lui non plus n’a pas été regardant sur le transport, il a passé la journée entière la veille dans les avions et voitures pour rejoindre Tarnos depuis sa Slovénie natale ; et c’était son anniversaire ! Sur place l’attend un trio qu’il connaît, Guillaume Nouaux à la batterie, Bruno Rousselet à la contrebasse et Pierre-Louis « Pilou » Cas au sax ténor. D’ailleurs la balance va se faire en trente minutes, tout sera très vite calé.

Le solide « Rockhouse » pour lancer l’affaire, « Georgia on my mind » bien sûr, « Unchain my heart », « All of me », « Mess around »… « What’d I said » évidemment, juste une heure pour nous remémorer le grand Charles, Ray, pas l’autre. Pilou au taquet pendant tout le concert, comme d’habitude et une rythmique grande classe pour accompagner ce clone vocal de Raymond Charles Robinson et excellent pianiste. Une attraction certes mais du vrai jazz avec aussi des fulgurances improvisées, du swing et une qualité musicale incontestable. Grand succès bien sûr.

Swing Bones & Nicolas Gardel

Personnellement j’adore cette formation, leur dernier album écrit par Nicolas Gardel tourne souvent dans mon lecteur et sur scène c’est toujours un spectacle que ce mur de cuivres. Les arrangements sont superbes, ces contrechants du trombone basse, ces harmonies, ces retentissants unissons qui vous traversent le corps sont magnifiques. Ils vont nous jouer les titres de « La Part des Anges » donc, dont le thème est un hommage à toutes les boissons réglementées par la loi qui empêche d’en faire la promotion, ou du moins avec modération. Ah ce « Wine pocket » à l’intro titubante et aux remugles chargés ! Et cet « Ethanol Express » enjoué, cette « Valse du vieillard maniaque » (vous l’avez ?) ou ce délicieux « Rhum à ranger » ! Citons tous les musiciens, ils le méritent. Invité donc Nicolas Gardel (tr et présentation pleine d’humour) avec Jérôme Capdepont, Baptiste Techer, Jérôme Laborde (tb), Hugo Alfos (tb basse et qui remplaçait Olivier Lachurie), Thierry Gonzalez (p), Julien Duthu (cb) et Guillaume Nouaux (dr).

Pour le rappel, un cadeau que nous attendions tous, ayant vu Terell Stafford roder dans le coin, sa montée sur scène pour une joute avec Nicolas Gardel. Guillaume Nouaux et Julien Duthu sont aussi restés et c’est Arnaud Labastie qui a pris le piano ; en cette (presque) fin du festival le voilà libéré, délivré, comme crie l’autre, et il peut se permettre ce plaisir ; il le mérite surtout. Il va arbitrer ce duel de trompettes, aussi engagé qu’amical et qui va atteindre des sommets de swing ; deux trompettistes en totale liberté, extraordinaire moment !

Voilà le festival est (presque) fini, il reste à remercier Arnaud, la ville de Tarnos, les techniciens (son et lumières au top) , les bénévoles et le public qui a répondu présent ; c’était complet, plus de 300 personnes chaque soir.

Bonus : dimanche 12 mars 2023

Quand dans une organisation l’amitié, l’aspect humain sont présents, voilà ce qui arrive, un concert non prévu dans la programmation offert au public ! Et pas avec n’importe qui, avec Terell Stafford, remarquable de gentillesse et de disponibilité lors de ces quelques jours. Pour l’accompagner, le trio local de Laurent Aslanian (cb) avec Antoine Gastinel (bat) et Arnaud Labastie (p). Dans la salle d’audition de l’école de musique nous allons ainsi avoir droit à la cerise sur le gâteau du festival, une heure de be-bop flamboyant avec Clifford Brown, Dizzy Gillespie et d’autres, on ne voudrait pas que ça s’arrête. Merci, tellement !

Galerie photos

CS et PhD

Aurore Voilqué et Benjamin Bobenrieth trio

Terell Stafford, Jesse Davis et Philippe Milanta trio

Uros Perry

Swing Bones et Nicolas Gardel

Rappel Nicoalas Gardel & Terell Stafford

Concert bonus avec Terell Stafford et le trio de Laurent Aslanian