par Anne Maurellet, photos Julien Caumon

Respire Jazz – vendredi 25/06/2021

V.E.G.A.

Lauréats du Tremplin Action Jazz 2019

Félix Robin, vibraphone

Mathis Polack, saxophones

Paolo Chatet, trompette

Louis Laville, contrebasse

Nicolas Girardi, batterie

A pas menus, nous entrons dans la maison de Francette. Attentifs, le saxophone et la trompette rythment l’arrivée en atmosphère tendre. Francette, c’est la douceur et la nostalgie. La contrebasse raconte son histoire, le son bienveillant du vibraphone du compositeur, Felix Robin l’accompagne. Eventail camaïeu d’une vie entière qui se livre au petit-fils ; force du propos et fascination de l’enfant qui sait aujourd’hui traduire cela en musique d’émotion et donc affleure puis monte ne crescendo. Quel amour entre ces deux-là !

Mathis-Rudolph, du nom des chaussettes. Ils savent s’amuser ces cinq-là. Je les vois les chaussettes, glissant sur l’eau tranquille, sensibles, miroiter dans la lumière entre les feuilles des arbres. Et puis, on est absorbés par les tourbillons des courants inattendus.

Mathis Polack et Paolo Chatet se parallélisent. Elles sont en velours ces chaussettes… Fantaisie, vous dis-je. La trompette de Paolo swingue, switche, se développe en maintenant le tempo, assuré aussi en arrière-garde par la batterie, la contrebasse et le vibraphone. Elle est puissante et gourmande, on aime l’entendre s’étendre, s’épaissir. Le son déployé nous caresse les oreilles.

Mathis a déniché le chat Chanti qui, dans sa crise de folie, explose les objets de leur colocation musicale. C’est une musique complice qui leur permet de coudre cette dentelle du quotidien avec des jours variés, infinis. Quelle jolie patte !…C’est tonique, joyeux, brillant.

Felix déploie l’irisation de son vibraphone pour que trompette et saxo nous emportent dans une ballade, une balade sucrée, celle de Momo , composition de Paolo Chatet. Le vibraphone séduisant emprunte les sillons dessinés. Bien sûr que le tempo s’élève peu à peu, beauté du mouvement qui se structure toujours plus.

Avec Capotage, trombone et saxo se répondent. Un réseau inextricable de fils s’entrelacent, se chevauchent, se défient avec respect. La batterie de Nicolas Girardi fine et épurée équilibre l’ensemble. Qui aura le dernier son ? Capoter ainsi ? On veut bien !

Opus 1000 ? Ex Octopus 1000 de Mathis Polack. Je ne sais pas si le morceau est tentaculaire, mais ils avancent par tous les côtés, lentement. Les accords de Louis Laville scandent les déplacements. Le vibraphone choisit de nous hypnotiser, la trompette frotte les sons contre la rocaille subaquatique. On plonge en eau trouble. Il y a du remous là-dessous, des trésors d’anfractuosités dans la roche. Felix Robin nous a pris la main, on ne peut pas avoir peur parce qu’au fond, on voit le coffre aux rêves. Ils sont tous à l’intérieur. Pas besoin de respirer dans cette eau. Prenons-là à plein poumon, les yeux embués de larmes de bonheur grâce à ce conte initiatique.

Le point commun de ce quintet, c’est l’élégance du jeu de chacun. Ils soignent le son de chaque accord, ils caressent la musique avec brio et sensualité à la fois. Je ne sais si cela provient des madeleines, mais ça se déguste.

Pour finir, Pivo , la bière en polonais, c’est comme le slapping, ça attaque la tête, mais c’est festif. Saxo et trompette ont pris le parti de s’amuser. Quelques gammes répétitives font une composition, le tout c’est d’avoir l’art de les composer, d’y attacher un à un les instruments, et de cette scansion, tirer progressivement une mélodie, certes déjantée, aux vapeurs d’alcool sinueuses. La trompette de Paolo Chatet les saisit et les transforme en volutes libérées. Le saxophone ténor en fait de même et l’imite magnifiquement, que vient friser la trompette.

Ifriqiya 4tet

Didier Fréboeuf, claviers

Fayçal El Mezouar, Oud, violon, chant

Emile Biayenda, batterie, percussions

Jérémie Arnal, sax, flûtes, Xaphone

Voleur de nuages, musique de la mixité, des mélanges et des atmosphères. La voix de Fayçal El Mezouar ondule sur les vagues de sable. C’est une traversée qui s’impose d’emblée. Le son s’enroule autour de la mélodie comme un serpent cherchant la fraîcheur à quelques centimètres sous le sol. Les accords du clavier dramatisent la scène. L’occident traque dans les touches la structure rythmique qui flirtera avec celle du monde arabe. Le mariage a lieu.

La flûte de Jérémie Arnal est hypnotisante. Les courbes infinies d ‘une danse lancinante. Rencontre du corps et de l’esprit, pas d’attribution à l’un ou l’autre. « Fais confiance à ce que tu ressens, pas à ce que te disent les autres » explique Fayçal. Comment écouter les voix extérieures, quand la musique – le jazz – nous façonne à notre véritable image, celle de la sensibilité, de l’authenticité. Ifriqiya avance avec ses atours. Les moucharabiehs sont posées au sol pour unique but de diffracter la lumière, pousser le regard à devenir kaléidoscopique. Oui, les couleurs se déplacent. La batterie d’Emile Biayenda amène le morceau vers une transe. La tessiture du quatuor est une quête.

Avec Les personnes de la personne sont multiples dans la personne, le clavier traduit la multiplicité des êtres : cherche-t-il à la traquer ? Les trois autres s’engagent aussi.

Le marchand de maracas est passé, répartissant les graines de son pour décomposer le jeu du clavier. Touche à touche, Didier Fréboeuf poursuit cette ronde poétique et impitoyable du sens des vies. On sent la volonté de ne rien laisser au désordre de la raison et d’atteindre l’ordonnancement du grand univers. On se sent interrogatifs. Lâcher les apparences, se déplacer dans une pensée cosmique incarnée. Sorte de spiritualité fouilleuse, exigeante . Ils avancent de front, sensibles à l’importance de la beauté du détail, de la scansion, de la répétition d’où apparaît la beauté, simplement. Le djembé en expurge la force prodigieuse, celle de notre « petite » planète: saxo, violon et clavier se livrent les mêmes mesures obstinément.

Fayçal chante un poème sur l’amour pur. Il accompagne la flûte traversière de Jérémie Arnal qui raconte la délicatesse du sentiment. L’oud donne les harmoniques du transport amoureux et batterie et clavier les encouragent avec discrétion. Une enluminure pour décrire la transparence: intéressant…

Au bout de la traversée, la vérité ! une vérité ? La lumière !