Rocher de Palmer / Bordeaux- Cenon 10/03/2018
Par Annie Robert, photos Philippe Marzat

OREGON


De l’élégance avant toute chose

Ce soir, nous avons assisté à un retour dans le temps, un feed-back dont nous n’allons pas nous plaindre car ce fut un doux et délicat moment, une respiration florale.
Le groupe Oregon, accueilli ce soir au Rocher, a créé dans les années 70 un jazz précurseur de ce que d’aucuns ont appelé le jazz-world , un langage singulier et novateur, un son qui lui était propre à partir d’influences multiples, classiques, ethniques ou folkloriques revendiquées. Ensemble ils ont ouvert la voie à de nombreux groupes et continuent d’explorer un jazz raffiné, aérien, évocateur de climats aux couleurs denses, fidèle à son esthétique d’origine. Une belle musique transculturelle qui génère des univers sereins et aboutis dont on s’aperçoit vite qu’ils ont imprégné sans qu’on le sache nos petites oreilles et déverrouillé nos habitudes musicales.

RALPH TOWNER

PAUL MC CANDLESS


Plus de quarante ans
après, le groupe Oregon est toujours présent dans le monde du jazz, même si le «personnel» a quelque peu évolué depuis ses débuts. Du groupe d’origine demeurent le guitariste, pianiste et compositeur Ralph Towner et le multi-instrumentiste Paul McCandless (hautbois, cor anglais, clarinette basse, saxophone soprano, flûtes). Certes si les cheveux sont un peu plus clairsemés, les dos un peu voûtés, les pas parfois hésitants (ces deux messieurs avoisinent les 80 printemps tout de même!), leur musique reste bien vivante, les mains sont agiles et prestes, les cerveaux bouillonnants de groove et de pulsations.

Dans l’orchestre actuel la batterie et les percussions sont tenues par Mark Walker qui a rejoint le groupe en 1996. Expressif, souple, il sait ajuster ses interventions à la couleur de chaque morceau, parfois avec une discrétion d’arabesque, parfois en y mêlant rythmes cubains ou africains, présent sans envahir mais soutenu et puissant s’il le faut. Le contrebassiste italien Paolino Dalla Porta complète le groupe depuis 2013. Il apporte une ligne fraîche, mélodique, délicate et profondément jazz. Il forme avec le batteur une section rythmique impeccable, à l’écoute de leurs deux aînés.

MARK WALKER

PAOLINO DALLA PORTA

Lorsque s’élancent les premières notes de guitare nylon de Ralph Towner, fines, claires, émouvantes en diable, le ton est donné: une élégance mélancolique et raffinée, très écrite et pourtant très libre ne quittera pas le plateau, avec des couleurs peu courantes. Dans le jazz, rares sont en effet les guitares sèches et les cors anglais ( et non pas du haut-bois, merci camarade Francis de m’avoir expliqué la différence..)
Ces deux vieux messieurs sont des instrumentistes hors pairs
qui vont nous laisser pantois, capables de la délicatesse la plus profonde, sans perdre une once d’énergie passant du piano à la guitare sèche ou électronique pour l’un et aux multiples instruments de soufflants pour l’autre avec la même qualité de jeu.
Leur jazz est pourtant sans facilité aucune, il faut entendre le saxophone ou le cor anglais de Paul McCandless gravir les pentes escarpées et les croches suspendues de swing du piano pour savoir que leur fragilité n’est qu’apparente.

Chaque morceau est une carte postale, une aquarelle sépia ou sanguine selon les textures, ponctuée de chants d’oiseaux ou de murmures de coquillages dans laquelle on se glisse comme dans un nid douillet et chaleureux mais curieux du paysage à venir. Les deux co- capitaines tiennent la barre du world mais n’interdisent rien, la preuve une introduction très contemporaine d’un de leur morceau, étonnante et pertinente.
Les improvisations sont planifiées, concises et contenues dans le contrepoint de l’ensemble
, la construction formelle ressemble à de la musique classique mais les rythmes, les couleurs ressemblent à ceux du monde. «The Water is Wide» par exemple, un air traditionnel écossais désarmant de banalité et que chacun connaît par cœur ( la ballade nord irlandaise de Renaud ) va se trouver transformée par les arrangements de Ralph Towner et l’interprétation des quatre musiciens en un vrai petit bijou.

RALPH TOWNER


Ce dernier disque qu’ils nous donnent à découvrir ce soir porte un nom bien éclairant puisqu’il s’appelle Lantern. Mazette, c’est leur trentième..! On le savoure avec délices comme une madeleine saupoudrée de moléculaire.
Mais ce qui est étonnant là-dedans, ce n’est pas tant la longévité du groupe que la vitalité de leur musique,
ce plaisir qu’il nous donne en plongeant dans nos inconscientes racines musicales à tous.
Un retour dans le temps certes, mais un temps pas figé, une bibliothèque d’expériences et une avancée dans une sente fondamentale qui changera et évoluera sans doute encore.
Ils ont été de jeunes défricheurs, ils sont de constants inspirateurs, de vénérables créateurs pour les petits scarabées que nous sommes. Oregon est à la fois une trace, un sillage, un banc de brumes et une côte promise d’où sortent des frangipaniers et des sapins poudrés de blanc.
Franchement, des vieux messieurs aussi jeunes dans leur tête, dans leurs doigts, dans leurs recherches, dans leurs audaces, on ne peut que souhaiter en avoir longtemps encore dans nos mange-disque
s!!

OREGON

Par Annie Robert, photos Philippe Marzat