Par Philippe Desmond.
Café du Sport, Uzeste (33) le dimanche 11 mars 2018.
Nous vous parlons souvent sur ces pages de ces fins de dimanches à la campagne au Café du Sport d’Uzeste, longtemps chez Marie-Jo et désormais chez Betty sa fille qui a repris l’établissement. Et comme souvent avec les enfants, ça bouge. Pas de panique ça change quant à l’agencement du café, les cloisons sont tombées et le bar va bientôt changer de place mais ça ne change pas au niveau de l’organisation des concerts ! C’est donc encore un chantier qui nous accueille mais comme on dit l’activité continue pendant les travaux.
Et en attendant l’organisation définitive, le bar faisant aussi petite alimentation, c’est dans un décor insolite que vont évoluer les musiciens. Au rayon épicerie Thomas Bercy et son piano,
au rayon confiserie Jonathan Hédeline à la contrebasse
et au rayon crémerie Tom Peyron aux baguettes.
Et devant, à l’accueil, l’invité du soir le saxophoniste Bertrand Tessier. L’esprit du lieu n’est vraiment pas près de changer, les habitués sont là et l’ambiance est toujours aussi sympathique. Et il y a du monde !
Musicalement ce soir c’est un hommage au saxophoniste Dexter Gordon, grand sideman mais surtout immense leader. C’est Bertrand Tessier qui a choisi à l’invite de Thomas Bercy qui lui a donné carte blanche ; deal conclu, titres choisis, chacun a travaillé dans son coin et une balance a suffi pour encore une fois un concert magnifique de spontanéité et d’engagement. Le propre des bons jazzmen, l’adaptation, l’écoute, la réactivité mais grâce à beaucoup de travail caché derrière…
On connait davantage Bertrand pour son jeu New Orleans avec le Jazz River trio ou swing avec le Hot Swing Sextet on le découvre ici excellent dans un registre be bop voire hard bop. D’ailleurs Dexter Gordon gardait toujours lui aussi ce fond de tradi et ne flirtait guère avec le free. C’est donc avec son sax ténor que Bertrand joue ce soir avec ce moderne bec bleu en résine imprimée 3D de chez Syos. J’entends déjà des puristes râler… un bois en cuivre avec du plastique !! Et pourtant ça sonne très bien et ça donne la liberté au musicien d’adapter son bec selon le son à atteindre.
Belle volubilité bourrée d’énergie pour Bertrand qui peut donner libre cours à ses impros grâce aussi au tapis que lui proposent les autres m’avouera t-il.
L’osmose entre Thomas Bercy et son fidèle Jonathan Hédeline n’est plus une découverte mais c’est une confirmation à chaque concert. Le premier finira le concert épuisé et la tête vide tant il s’est engagé mentalement et physiquement. Les gouttes qui perlent de son front sur le clavier en témoignent. Quant à Jonathan en plus de la texture rythmique du tapis évoqué il nous propose toujours des chorus variés et inspirés avec ses cinq cordes.
A la batterie un pigiste de luxe ce soir en la personne de Tom Peyron lauréat d’un tremplin Action Jazz avec Isotope et installé désormais à Paris où il ne cesse de jouer notamment avec d’autres titrés du tremplin, le vibraphoniste Alexis Valet et le trompettiste Olivier Gay. Un drumming sec et puissant, des virgules rythmiques qui ponctuent parfaitement les mesures et balisent le chemin et un bel engagement lui aussi.
Quartet de circonstance, qui s’en douterait sans les connaître ? Dans cet environnement ça pourrait tourner au vinaigre ou pédaler dans la semoule mais non, c’est au contraire bien assaisonné juste ce qu’il faut de sel et de piquant, c’est bien huilé et la mayonnaise prend bien. Arrêtons là ces métaphores oiseuses, leur musique mérite mieux que ça. En voilà la set list :
Pour le rappel arrive Thomas Boudé compère de Tom dans Isotope ; il est chez lui le guitariste uzestois formé dans la galaxie Lubat et avec sa guitare rouge sang il va vite s’intégrer ; d’ailleurs le rappel va en appeler un autre, tant mieux. Une citation discrète au piano de « Happy Birthday » m’a mis la puce à l’oreille et il se confirmera après le concert que c’est ce jour l’anniversaire du jeune guitariste.
Mais voilà que le voisin immédiat a fait irruption dans le bar et en général dans ces lieux c’est mauvais signe. Vient-il se plaindre du bruit ? Non au contraire il en veut davantage et s’installe à la batterie où il va tout fracasser sur ce qui est donc le troisième rappel. Pas manchot le voisin, ben oui c’est Bernard Lubat. Thomas a été averti par un petit mot déposé sur son clavier par Cécile Royer la cheville ouvrière du Collectif Caravan qui organise ces événements. Tant qu’on y est un quatrième rappel avec l’obligatoire « Caravan » mais en version punk jazz voire destroy ; j’en ai les poils comme on dit maintenant. Ouch !!!
Prochain concert ici le 20 mai avec pas moins qu’Ernest Dawkins ! Les travaux seront finis mais peut-être qu’enfin fera t-il beau et que la tonnelle sera accueillante…