Sam 30 mars 2019, Rocher de Palmer, Cenon

  

 

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier

Ça serait dans un océan lumineux, la transparence de la musique qui se déplace au gré des sons, des entrechoquements de coquillages : les fonds marins sont à peine soulevés par cette douce houle. Emile Parisien, la somptueuse anguille, soulève le sable fragile ; le piano de Michael Wollny frémit en l’accompagnant puis enlève le tempo : tempête en sourdine. Pensez bien qu’on frissonne face à la beauté chaude de ce Préambule. Emile Parisien pousse à une plus intense spiritualité ; solo profond, batterie, contrebasse, violon et guitare l’entourent.
Allons, après ce premier enchantement, vers plus de langueur ; électrifions le temps avec la guitare de Manu Codjia volubile et la contrebasse volontaire de Simon Tailleu. Les Dieux sont sans doute présents… Théo Ceccaldi suit, habité par la même frénésie. Autant en emporte le son, l’instrument explose sous la verve ; bien sûr, le piano prend la mesure, mais je crois bien que les touches sortent de leur orbite ! Génie de la création, liberté du tempo qui n’en finit plus de gazouiller de joie. Joachim Kühn rôde ici avec son Missing a page… Lâchez tout !
Le clown tueur de la fête foraine est de retour. Les jazzmen sont à l’écoute de l’accordéon aux pieds nus, dont chaque note livre sa sensibilité, enchantant l’espace, fabriquant une sorte de rêve éveillé de l’enfance soudainement réapparue : Vincent Peirani déploie le temps comme son instrument ; la fête continue, ici, lancinante, fascinante, un peu dangereuse. Le clown risque-t-il de tuer les souvenirs ? On entend cette inquiétude, quelques pas d’une valse éphémère où le décor s’est effacé, un peu fellinien quand les comédiens se suivent à la file indienne, espérant inventer une ronde qui se désagrège enfin. Pourtant, le piano, toujours délicat et sûr, s’y mêle et les sept musiciens déambulent ensemble sur le muret de la vie. Soudain, ils ralentissent : Théo Ceccaldi a pris la main d’un fantôme, un univers étrange apparaît, une sorte de fissure qui s’agrandit, abîme des sons. Le piano pulsionne, émulsionne.


Manu Codjia trouve là son domaine, aigu, incisif, sur les crêtes de sa guitare. La batterie de Mário Costa et la contrebasse assurent. Eclater le tempo, lui donner tous ses échos.
Et puis, la faille se ferme, range la folie. Emile retourne à l’envoûtant bruissement de son sax soprano ; il emporte avec lui le piano impétueux de Michael Wollny : que l’homme soit musique, que les mains, les poumons, les cerveaux deviennent transcendance.
Épuiser encore le son, même en douceur jusqu’au souffle simple, entendre la musique dénudée, la guitare en appui aérien, et puis batterie, contrebasse, piano, accordéon en rang de bataille, presque apprivoisés. Le piano aquatique, on retourne dans le liquide. Manu Codjia nous swingue la balade : hypersensibilité, sensations, délices, mer azur ; on la dégusterait. Le pianiste partirait sur la pointe des pieds, en équilibre. Et pourtant non, il reste et l’agitation des doigts fébriles, telluriques libèrent définitivement le tempo de scories inutiles, les coudes et les ongles griffant les cordes : tout peut devenir musique, à condition que…


Arrive le pianiste Roberto Negro qui remplace Michael Wollny. Cinq instruments jouant en cathédrale, symétriques si l’on préfère avec une batterie très soutenue, la contrebasse toute proche. Théo part dans une sarabande effrénée, fabuleuse ; des lucioles éclairent la Voie lactée, enfin, la scène, enfin, on ne sait plus. L’accordéon entre dans le conciliabule. L’air est saturé de parfums. Je crois bien aujourd’hui que la joie est un arôme… La batterie rigoureuse de Mário Costa les entraîne, et c’est une farandole folle, folle, des étés ! Le piano tempo-rise. Chaque musicien fait une fête de son instrument !

Cette joie énergique a contaminé le public !!

Rappel : Sfumato est une technique picturale moelleuse, qui de près laisse de l’incertitude, mais à distance s’impose avec précision.

Émile Parisien, saxophones / Manu Codjia, guitare / Simon Tailleu, basse / Mário Costa, batterie / Michael Wollny, piano / Roberto Negro, piano / Théo Ceccaldi, violon / Vincent Peirani, accordéon