Astrada / Marciac / 13 Avril 2019
Texte :Annie Robert
Photos : Jean Jacques Abadie
Voici un concert auquel il était difficile de résister dès sa déclinaison sur le papier. Une promesse alléchante et intrigante, excitante en diable. Comment ne pas aller jeter une oreille et puis les deux, comment ne pas attendre le meilleur, en se frottant les mains par avance ? De quoi s’ébulsiffier les neurones. Ne cherchez pas, ça n’existe pas ébulsiffier, mais ça convient tout à fait à cette proposition inattendue consistant à revisiter Moondog….. un compositeur fécond et prolifique, inclassable, tour à tour «clochard céleste», troubadour de rue, déclameur de vers, viking éternel, créateur d’une musique devenue iconique.
Ce personnage extravagant et étrange a composé des madrigaux, passacailles, musiques pour orchestres à vent, piano et orgue et environ 80 symphonies. Aimant à la fois la rigueur du contrepoint classique et les influences ethniques, répétitives et fortes, le jazz sous toutes ses formes, ce maître de la musique contemporaine est devenue un mythe dans le monde des musiques électroniques. Jouer son œuvre n’est pas une mince affaire (il fait peur à bien des musiciens). La réinventer est un défi de taille !!
C’est pourtant ce que la ville de Toulouse a proposé à divers musiciens et notamment à David Haudrechy et son initiative H. Même pas peur qu’ils ont dit!!
De cette commande, de ce travail collectif, cohérent et joyeux est né ce concert magnifique, qui donnera lieu, il n’y a plus qu’à le souhaiter, à un enregistrement futur. Car ce big-band audacieux, puissant, à la masse sonore impressionnante n’a pas renâclé devant l’obstacle. Mieux, il s’est glissé dans la musique de Moondog, l’a revisitée, se l’est réappropriée et faite sienne.
Pour preuve, un départ éclatant sur une grosse pêche de batterie ( Simon Portefaix, parfait et tonique) et un rythme cardiaque porté par les deux trombones éclatants ( Olivier Sabatier, Lionel Segui, impeccables ) sur un thème répétitif, tonique, décliné en petites variations. De quoi faire entrer immédiatement dans l’univers de Moondog sans esquive, un univers dans lequel les rythmes du jazz et les procédés extrêmement contraignants du canon et du contrepoint renversable à deux, trois, quatre ou cinq voix se mélangent.. Suivra un deuxième morceau intitulé Paris, plus lent, en majesté. Les cuivres montrent le pas, les sons électroniques se faufilent, le triangle fait entendre sa petite musique délicate en contraste avec les sons sourds de la grosse caisse. David Haudrechy joue, dirige, glisse ses machines et Ferdinand Doumerc déploie les volutes de son sax mélodieux et puissant jusqu’à la fracture. Une pulse d’enfer se propage et la puissance rassemblée des instruments fait le reste. Ruptures, marches à l’amble, contrepoints, réponses et tenues, et harmonique de cathédrale.
Sur tous les morceaux, le groupe alterne les engagements individuels ( solos magnifiques à la guitare de Florent Hortal , aux claviers d’ Amaury Faye, de Nicolas Gardel à la trompette) et les superpositions haletantes, entêtantes où la basse de Philippe Burneau fait merveille . Le décibel est parfois au maximum, mais pas pour couvrir tout, pas pour noyer le son ou le thème, au contraire pour le magnifier, le rendre encore plus vivant comme un feu d’artifice, chatoyant comme une fête. Rien ne se perd, rien n’est en trop. Ni la sensibilité des harmonies, ni la fureur des cuivres ( Cyril Latour à la trompette, Gaël Pautric saxophone clarinette basse formidables tous les deux) ni le groove des percus (Florent « Pepino » Tisseyre en génie sautillant).
Il faudrait citer tous les morceaux joués, Amsterdam, Single Foot , Bois de santal ou Tout de suite, tous traités de façon intelligente, fine, sans dénaturer le style musical de Moondog mais en utilisant les instrumentistes dans ce qu’ils ont de meilleur ( Et ils ont !! Et tous en plus!!) .. Un vrai bonheur que ce partage créatif, volontaire et accepté à l’image de cette petite miniature prévue d’abord pour un piano et détournée pour les cuivres, une merveille d’écriture pensée et délicate.
Initiative H c’est comme un jardin anglais, la quiétude en moins : coloré, étonnant, foisonnant, avec une surprise à chaque détour. Ça a l’air évident et naturel, mais c’est construit et pensé pour que l’oreille se régale, que l’harmonie baigne l’atmosphère, que la puissance rende la route vivante et drue. Le groupe a trouvé en Moondog un beau support à son talent collectif, à sa créativité individuelle.
Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier comme dirait Victor … Vivement le prochain concert, vivement le prochain défi…. Il va falloir assurer, la barre est haute !!
