par Annie Robert, photos Christine Sardaine
Rocher de Palmer / Cenon Bordeaux / 31 janvier 2020
Il y a des concerts comme ça où l’on sait à l’avance que la jouissance (intellectuelle, non mais et c’est déjà pas si mal ….!!) sera au rendez vous.
Faut dire qu’on les connaît ces trois galapiats là ( c’est dur à dire..), les uzestois de la collégiale, les co-legs d’Uzeste, et on sait bien qu’ils ne sont pas capables de décevoir même s’ils le voulaient. Le remue méninges, le dézingage, l’étrange et le réfléchi, les jeux de mots laids et autres facéties sont leurs marques de fabrique. Ils en usent, en re-usent, en a-busent parfois mais peu nous importe. Ils savent comme pas d’autres et ça depuis longtemps nettoyer les esgourdes, casser les certitudes, secouer la rythmique bref sortir du banal. On apprend et on rit, on rit en apprenant. On se délecte en pensant. On pense en se délectant. On se panse et on se tape sur la panse.. Et surtout on se musique !!!
Un vocalchimiste, un malpoly-intrumentiste, un patati papata-bruitiste, voici donc le trio d’Uz. Comme dit Bernard Lubat, un vieux, un autre un peu moins vieux et le dernier pas encore trop vieux, certains étant jeunes depuis plus longtemps que d’autres. Et ça nous fait un concert assez irracontable ( c’est bien pour cela que je m’y colle et m’y englue!!) où débordent l’imagine-action, la folie, la philosophie, la philosotrie, les fracassements, les surprises, les incongruités, l’improvisation et l’humour potache qui tâche et fait tâche d’huile… détachez vos ceintures, ouvrez vos pupilles et laissez aller vos tympans dans le swingrapatoisgascon des trois lurons….
Le spectacle prend la forme de trois solos « tuilés » suivis d’une prestation d’ensemble.
Et c’est Fabrice Vieira qui s’y colle en premier. Rythme et voix, machines et scats, de l’émotion aussi quand il parle de l’Estaminet où tout a commencé pour lui. Il suit sa voie lactée, sa voix parlante, chantante, dépliée et repliée, des slaps et des frappés. Ce sera à l’image générale du concert, la recherche du rythme et des mots, les passages entre les deux et l’ étayage qu’ils se donnent. Les mots et les rimes, les rimes et les rythmes, les rythmes des mots, les mots en rythmes, les mots en maux.
André Minvielle prend le relais avec un morceau presque conté, initiatique, une comptine triste remplie de grelots de favelas, de chants de griots, de ritournelles gasconnes, de sambas uzestoises pour enchaîner ensuite avec son iconoclaste « Beau vélo de babel » que l’on connaît bien mais que l’on a tant plaisir à retrouver chaque fois différent ( cette fois ci il s’accompagne avec une tôle en forme de plateau à thé en sib paraît il?! ). La lettre Y de son abécédaire, le Yaourt de paroles fait son apparition. C’est à la fois virtuose et rieur, sérieux et décalé.
Avec Bernard Lubat, c’est l’harmonie qui fait son entrée ensuite avec le jeu du piano- jazz. Le morceau intitulé « Depuis tout petit » nous résume avec grâce et émotion son approche vivante, familialement historique de la musique.
Bernard Lubat, c’est un monument, un pan du jazz ( un paon du jazz?) toujours une idée en plus, toujours un à peu près en supplément, toujours un aphorisme au bout de la langue, mais c’est aussi un musicien du feu de dieu, et l’interprétation qu’il fait d’un morceau de Monk nous le rappelle s’il en est besoin.
Il passe ensuite aux tambours pour un poème parlé/chanté de Manciet avec l’appui ses deux autres complices, le texte et la musique doucement enlacés.
Ils sont à trois de formidables assembleurs de mots, de syntaxes froissées et même les silences se laissent écouter.. d’ailleurs ils n’ont peur de rien, ils osent tout c’est aussi leurs caractéristiques. Ils se marrent et nous font marrer mais pas seulement. C’est la musique qui est au centre, une musique « politique » au beau sens du terme, avec ses postures de création, une musique à vivre et pas à vendre …
Ils finiront avec l’iconique « La vie d’ici bas » cette indifférence en valse musette et flots de joie roulée.
Et nous , nous aurons passé une belle soirée, intense, intelligente, jubilatoire. On aura été secoués, émus, ou agacés c’est selon mais loin du ron-ron, loin des conservatoires appliqués, des pensées formatées. Ces musiciens là sont tout sauf simplistes, tout sauf asséchés, même si les contradictions font partie du lot. A trois ils ont un jeu soudé, ils parlent à l’amble d’une même main, d’un même rythme , d’une même création à multiples visages.
Bref, voir les Oeuvriers au turbin c’est bon, très très bon. Leur musique militante fait respirer et croire à la divagation comme à un art joyeux !!