par Philippe Desmond, photos Jean-Michel Meyre.
Le Rocher de Palmer, jeudi février 2022.
Belle série de jazz dans la programmation en ce moment au Rocher, après Tigran, le Hypnotic Brass Ensemble et Stefano di Battista, voilà dans la même semaine Henri Texier et son trio. Trop à la fois peut-être pour pouvoir remplir la salle comme elle devrait l’être ? Mais ce soir l’assemblée est assez importante pour accueillir une des légendes vivantes du jazz en France. Jamais à court de projets depuis toutes ces années, le contrebassiste au bonnet bol se présente donc en trio avec son fils Sébastien Texier au sax alto (surtout) et à la clarinette (un peu) et aux baguettes Gautier Garrigue. A 77 ans, âge limite pour lire Tintin mais pas pour jouer du jazz, Henri Texier poursuit une carrière protéiforme, de l’orchestre de Jef Gilson au free, en passant par la variété avec Sacha Distel, la pop avec Total Issue, des sessions avec Stéphane Grappelli, avec Catherine Ribeiro, avec Phil Woods, le Unit de Michel Portal et tant d’autres. Qui ne connaît pas son « tube » de 1976 « Amir », du jazz-folk comme il le qualifie lui-même. Une constante, l’authenticité et la liberté. Une autre constante, un son de contrebasse reconnaissable entre mille.
Se soir dans un éclairage minimaliste – l’ingé lumière a passé une soirée tranquille – la musique se suffisant à elle seule, dès les premières mesures on sait que c’est bien lui qui est là devant nous, même les yeux fermés. Intro aérienne, free, déstructurée pour lancer le premier vrai titre « Laguna Veneta », près de trente ans, son riff répété, et déjà les chorus qui s’enchaînent, Sébastien voltigeur à l’alto, lui bien sûr faisant corps avec sa contrebasse et la faisant chanter, chaudement, de bas en haut, de haut en bas du manche, une guitare entre ses doigts, puis Gautier très fin batteur, créatif et innovant.
La suite va reprendre le dernier album en trio « Heteroklite Lockdown » , le confinement hétéroclite, écrit pendant cette sale période et puisant dans divers domaines comme son nom l’indique, pour jouer avec son fils ce dont ils avaient envie. Un hommage au splendide acteur et à ses humeurs « Bacri’s Mood », « Forest forgive them » une ballade élégante de Gautier, un certain « Round about midnight » dans lequel Sébastien nous montre ce qu’il sait sortir de son alto. Et toujours cette contrebasse qui domine, frottée, pincée, avec ces riffs d’accords comme à la guitare et ce son Texier. Une contrebasse qui frémit d’aise en bas ou qui gémit en haut. La voilà seule qui brouillant un peu les pistes nous ramène enfin vers un thème familier « Besame mucho ». Cole Porter est de la fête avec « What is this thing called love ? ». « Fertil dance » sur un tempo très gaillard Henri Texier coupant littéralement la chique à son batteur en plein solo avec une boîte à musique jouant l’Internationale. Facétieux et engagé l’autre Monsieur Henri. Pour terminer voilà « Cinecitta » composition de Sébastien Texier, morceau très riche où chacun peut placer ses idées musicales. Trio en osmose, mélodieux, sans fioriture mais chaleureux, la personnalité de son leader y étant bien sûr pour beaucoup.
« Merci d’être venus, ça nous touche » conclura t-il preuve que même les plus chevronnés ont eux aussi souffert, et souffrent encore, de ces deux années terribles.
Rappel bien sûr, salut, re-salut pour remercier un public comblé.