Libres et culottés!!
par Annie Robert, photos Alain Ronteix
Rocher de Palmer / Cenon Bordeaux / 16 octobre 2018
Le salon de musique du Rocher de Palmer est la plus petite des trois salles, mais pas la moins intéressante.. Dans cet écrin vêtu de noir, les musiciens, au rythme de leur respiration, sont si proches qu’ils semblent ne jouer que pour nous et que l’on peut presque sentir leurs intentions et effleurer leurs neurones en plein ciel pour peu que l’on ait un peu d’imagination…
Hier soir, c’était le cas pour ces trois B ( Boltro/ Barbieri/ Battisti) qui nous ont laissé bouche bée (sans mauvais jeu de mots), enveloppés de musique et les yeux comme des soucoupes.
Et pourtant. Avec le premier morceau intitulé «Onirica», ce n’était pas vraiment gagné …
Commençant dans l’indécision volontaire et le chaos maîtrisé comme un conte étiologique de création de la musique, c’est un magma de sons légers ou puissants, agréables ou grinçants qui s’est déployé avec des renflements d’effets sonores, ( reverb, diley et pédales) remplissant la salle d’un coup. Un peu cueillis à froid mais la curiosité en éveil plus, plus, nous voici dans l’attente, les oreilles grandes ouvertes. Que cherchent- ils donc ces trois là? Où veulent t-ils nous emmener?
Ce trio sans instrument harmonique a fait le choix gonflé de s’en aller fouiller les couleurs de chaque instrument, la fulgurance ou les legati de la trompette, la sourde vibration de la contrebasse et son animalité boisée, les frappés et les sons de cloche de la batterie… Un univers de sons plutôt que de musique nous assaille jusqu’à l’os, là où on n’a pas l’habitude d’aller en oscillant entre lyrisme et âpreté. Le second morceau, enchaîné sans interruption va faire émerger petit à petit le rythme, l’harmonie, le groove, la mélodie en embuscade et redonner chair, épaisseur et respiration.
Et on découvre une musique issue du son, comme la poterie l’est du pain d’argile.
Une danse de village, sur le souffle léger de la trompette s’éloigne, les portes claquent, la nuit s’installe et le tic tac de la pendule s’égrène, seul dans le silence.
Ça y est l’écrin du salon de musique a disparu. On est avec eux, captés par ce trio non conformiste, non confortable, qui prend des risques quitte à manquer se fracasser dans les embrasures mais prêt à décrocher la lune en toute liberté.
Après une belle «Ballade pour Catalina» d’une lenteur majestueuse, poudrée de regrets défunts, le trio toujours soudé, toujours complice, passe au titre phare de leur dernier album «Spinning» tout en rythmes rapides, en contretemps, en arrêts brusques et réparties en spirales. La section rythmique y brille de toute sa diabolique inventivité !! Et elle est inventive !!
Ces trois là poussent la musique, leur savoir, leur culture jusque dans leurs retranchements. Explorer pour détricoter et retricoter ensuite, ensemble et autrement avec des ors rutilants et des coins sombres, du sucre doux et des amertumes brûlées.
Ils osent, improvisent en toute liberté, avec une complicité qui est patente passant de la complexité en apparence foutraque à la plus pure simplicité, sans attendus faciles, sans notes enfilées dans du savoir faire ( que visiblement ils possèdent) cherchant vérité et émotion... Libres et culottés!!
Les duos Mauro Battisti contrebasse / Mattia Barbieri, batterie sont des moments d’anthologie auquel se rajoute la trompette délicate et maîtrisée de Falvio Boltro créant ainsi un son circulaire étonnant, l’ électronique étant toujours utilisée à bon escient et pas pour elle même.
Un «Noël à Moscou» suivra. Les cloches de l’église orthodoxe s’élèvent de la batterie, les pas des fidèles résonnent dans la nuit, portés par la contrebasse. C’est un tableau impressionniste, une lente peinture du froid qui éveille toute notre émotion avec des accents de blues discret venu d’ailleurs.
C’est aussi ce qui caractérise ce trio: sa largeur d’esprit, sa capacité à embrasser une «humanitude» commune. Piémontais, certes mais grandement ouverts sur le monde et toutes ses musiques, pourvu comme le dit Flavio Boltro «qu’elles soient bonnes!!»
On termine le set avec «First smile» où la trompette tient une mélodie fluide et affectueuse de toute beauté. La salle est définitivement conquise.
Ils nous gratifieront d’un rappel généreux de deux morceaux: l’un de Peter Gabriel et l’autre de Mattia Barbieri dans lesquels boite à rythmes, batterie et contrebasse mèneront une danse amoureuse avec une trompette claire et pure terminant sur un cœur battant qui s’éteindra peu à peu… superbement.
Voici un concert novateur dont on ne ressort peut être pas revigoré à fond, retonifié ou éperdu de danses et de vertiges. On n’a pas sauté en l’air, on ne s’est pas installé dans un bonheur connu, on ne s’est pas gavé d’une avalanches de notes étalées, on ne nous a pas secoué devant les oreilles une virtuosité galopante comme une muleta devant le taureau… Mais on nous a permis de penser, de sentir, de voir la musique à l’œuvre, de deviner le savoir- faire sans nous l’étaler. BBB nous a sans aucun doute rendus plus perméables, plus affûtés au monde et plus intelligents.
Une création sincère, ouverte et surtout libre, libre , libre…..libre et culottée !!