par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Salle Didier Lockwood, Ambarès le vendredi 1er février 2019.

De par notre activité nous voyons beaucoup de concerts mais certains ont une dimension particulière, notamment quand l’aspect humain y a une place importante en plus de la qualité musicale. Ce soir les deux étaient réunis et à un niveau stratosphérique.

Pour les dix ans du Pôle Culturel Evasion, la mairie d’Ambarès souhaitait marquer le coup comme le souligne Monsieur le Maire dans son mot d’accueil. En septembre 2011, deux ans après son ouverture et après y avoir joué déjà deux fois dans la ville et animé une masterclass, Didier Lockwood a vu la salle de spectacle baptisée à son nom. Le thème de l’anniversaire du lieu allait donc de soi.

Comment faire revivre et célébrer ici ce grand artiste disparu brutalement le 18 février 2018 ? En faisant venir des personnes qui lui doivent beaucoup pour différentes raisons.

Musicien, Didier était aussi pédagogue et pour lui la transmission était une mission fondamentale, la venue d’anciens élèves de son CMDL, le Centre des Musiques Didier Lockwood s’imposait. C’est ainsi que David Bert du service communication de la municipalité et aussi photographe pour Action Jazz à ses heures, a pensé au Tom Ibarra Group qui compte trois anciens (!) du CMDL dont son leader. L’idée d’y associer un musicien ami, ayant joué beaucoup avec Didier et enseigné dans son école est arrivée ensuite. Aux élèves est donc venu s’associer le prof, pas n’importe qui, Jean-Marie Ecay.

Celui-ci va nous évoquer son ami qui, plusieurs fois, a influencé sa carrière, en allant le chercher en 1989 alors qu’il tournait en Espagne avec Paco de Lucia, puis lui a présenté Claude Nougaro avec qui il a joué 6 ans et enfin Billy Cobham où il a passé 12 ans et chez qui il fait des piges de temps en temps. Intervenant au CMDL, Jean-Marie a mesuré les qualités humaines de Didier au service des jeunes, ce besoin de transmission. Lui qui n’aime pas les hommages a néanmoins jugé important d’être là ce soir pour jouer avec ces jeunes justement.

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Quand il nous dit tout cela en arrivant sur scène, le public a déjà compris que la nouvelle génération comptait des valeurs sûres, le concert ayant démarré par le set du Tom Ibarra group.

On connait l’histoire de Tom, quasi autodidacte, qui a appris la guitare avec son grand-père, puis est sorti du lot à 15 ans. C’est un des poulains d’Action Jazz qui a mis sa petite pierre dans la construction de sa carrière. Ce qu’on sait moins c’est qu’à 13 ans il avait rencontré Didier Lockwood qui lui avait donné de précieux conseils notamment celui de travailler à l’école et de passer le bac « tu viendras me voir après ». Le violoniste a alors toujours gardé un œil sur Tom et n’a pas eu longtemps à attendre, ce dernier ayant eu le bac à 16 ans… Une histoire particulière et personnelle donc pour Tom qui était encore au CMDL à la disparition de son créateur.

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Dans le groupe deux autres sont passés dans cette école, le pianiste Auxane Cartigny et le saxophoniste Jeff Mercadié. Deux magnifiques musiciens aussi. Antoine Vidal le discret et efficace bassiste (un bassiste quoi) et Pierre Lucbert le batteur, autre prodige lui formé au conservatoire de Bordeaux après avoir démarré la batterie à peine sevré.

Dans le public, en plus des inconditionnels du groupe – une pensée à ceux qui n’ont pu avoir de place – beaucoup de gens d’Ambarès, c’est normal, pas forcément au fait de cette musique et qui vont d’un coup découvrir un univers fantastique ! Depuis deux ans que le groupe existe sous cette forme il a beaucoup tourné, en France, en Europe et sa musique a pris une épaisseur impressionnante.

Il faut dire que les compositions originales de Tom tiennent vraiment la route, ce qu’ils en font en live est tout simplement phénoménal. Et en plus sur scène ils s’amusent, se surprennent encore, se régalent, nous régalent. Ils vont nous proposer cinq titres de l’album « Sparkling » avec une verve étonnante. Dans la musique, comme dans le sport, les qualités individuelles ne suffisent pas toujours à produire un groupe cohérent. Ici c’est le contraire, cohésion, osmose, les talents ne s’ajoutent pas, ils se multiplient. Et avec leur ingé son fétiche Guillaume Thévenin aucune inquiétude de ce côté là en plus.

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C’est donc le moment où Jean-Marie Ecay est appelé sur scène pour un autre titre de Tom, « Moter ». Après les duels guitare/sax de Tom et Jeff voilà un compère de plus pour ferrailler ; ça va ferrailler !

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Après l’hommage de Jean-Marie, ils attaquent  « Good Luck Bro » un blues musclé de l’album Caron-Ecay-Lockwood. Pas de violon me direz-vous ce soir, non, gardons la mémoire du son de Didier, c’est le sax qui le remplacera souvent. Sur ces deux titres on a déjà remarqué les regards échangés entre les deux générations. Le courant passe c’est évident, la transmission est là.

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« Tip Tap » de Didier Lockwood, ça bastonne, les duels de guitares se font plus agressifs, le sax de Jeff s’interpose, Auxane calme le jeu ou pas, Antoine fait gronder sa basse avec ou sans effets, c’est le tonnerre, Pierre lui continue son mitraillage avec ses quatre bras et ses six jambes, on a décollé ! Le gros gros pied !

Mais attention pas de l’esbroufe, pas de riff ou de solo gratuit en mode dragster, non des chorus qui parlent, qui évoquent. Le son de Tom, bien à lui, caractéristique déjà, celui de Jean-Marie au phrasé détaché et qui finit par s’enflammer. Quelle chance d’être là, Didier doit apprécier de là-haut.

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Sa douce mélodie « Tiny Twins » enveloppe la salle, de l’énergie il y en a eu, il va y en avoir encore mais voilà de la douceur de l’émotion.

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« The Kid » et son gros groove qui pulse, encore des combats dans les cordes, de guitares. Rappel bien sûr, étincelant avec le bien nommé « Sparkling » en version longue, un chorus de sax de Jeff parti de nulle part et qui finit dans la galaxie, le piano au bord de l’explosion, les guitares atomiques, la basse en fusion et la batterie comme à la forge. J’exagère ? Demandez à ceux qui étaient là, ils vous diront au contraire que je minimise !

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Jean-Marie qui ne compte plus les concerts, nous a confirmé que celui là était spécial, le côté humain, le partage sur scène avec les jeunes, mais que cet aspect n’est pas suffisant pour lui qui a une exigence professionnelle, et il enchaîne « Je crois que si je revois et réécoute ce concert je le trouverai musicalement très bon » ; si même lui le dit…

Pour nous un de ces concerts dont on se souviendra longtemps, voire toujours.

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