jeudi 23 novembre – Rocher de Palmer (Cenon)

par Alain Flèche, photos Alain Pelletier.

 

Héloïse Lefebvre : violon / Paul Audoynaud : guitare / Liron Yariv : violoncelle / Johannes von Ballestrem : claviers / Paul Santner : basse / Christian Tshuggnall : batterie, steel guitare

Très séduit par le CD, dont nous avons déjà dit tout le bien que nous en pensons dans ces colonnes… voyons voir (entendre) si le passage sur scène confirme l’impression de la 1ère écoute. Je vous livre de suite le résultat de cette attente ( pour nous), de ce challenge ( pour eux) : épreuve réussie, haut la main !

Nos six jeunes talentueux musiciens, multi-européens Français, Autrichien, Allemand, répétant à Berlin, où la plupart résident) occupent largement le plateau, et bientôt, nos oreilles. Héloïse arrive avec son violon et un doux sourire qu’elle ne quittera pas de la soirée. Les autres semblent plus réservés, mais prouverons que leur concentration n’est pas feinte. Le répertoire de ce concert fera la part belle aux morceaux exposés sur le CD, mais pas que. Début de la prestation avec le premier titre du disque. C’est un résumé holistique des influences  et orientations de ce magnifique ensemble.

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Ensemble, ils le sont, de bout en bout, cohérence totale du groupe, écoute permanente du tout par chacun. Morceau attachant s’il en faut, casse-gueule mais fort mélodique. Tout en décalage : syncopes, notes retenues, quart de soupir dans tous les coins . Morceau de bravoure qui donnera le ton à la suite. Avec, bien sûr, la choriste principale : Héloïse qui s’envole sur les cordes de son violon. Elle nous hisse à des hauteurs d’où le sol (mais pas le la) disparaît, nous perdant dans ses rêves imaginaires, de poésie et de folie (douce). Mon voisin, notre très cher Philippe Desmond, sent l’hommage à Mahavishnu Orchestra. Oui, un Jerry Goodman parfaitement assimilé, une technique sans défaut dont on peut souhaiter que cette jeune violoniste n’a pas fini de peaufiner, pour nous emmener encore plus loin sur ses chemins oniriques dont les balises, toujours mouvantes, servent cependant de repère, et ramènent au centre du sujet qui ne peut se perdre dans les méandres jalonnés de beauté éclatantes des soli majestueux de cette artiste accomplie, dont le sourire, jamais feint, serait beauté du diable, si ses doigts de fée nous faisaient partager ses intentions de s’échapper de l’ambiance parfois sombre des compositions, par une grâce qu’elle ne doit qu’aux anges qui l’inspirent.

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Son compagnon, Paul Audoynaud à la guitare, n’est pas de reste. Co-leader et compositeur, bien que très discret (trop ?), à un son bien personnel. Ça gratte comme du rock, chatouille en jazz, assure classique, écarts folk-world. À l’aise dans toutes les nuances de style. Jusqu’à nous proposer un tango-rock (réminiscence d’enfance passée à Buenos-aires), composition de jeunesse qui a mûri avec son auteur, pour s’inscrire élégamment dans le répertoire commun. Jusqu’à s’approprier un air de gros rock (Queens of the Stone Age) qui ne détonne nullement dans cette ambiance plutôt ancrée dans la culture européenne évoquant la lande de Canterbury, le romantisme allemand, l’impressionnisme, voire le surréalisme des expressions du siècle passé. Mais nous sommes bien en 2017, ère des rencontres, des mélanges, des nouveautés qui seront les classiques de demain. Peut-être le côté décalé de ce titre, cassures de ton, de rythme Zappien (?) . Paul a cet humour, ce sérieux aussi. Rien ne le gène, ni ne le freine, pas question de s’arrêter ! Avec un son légèrement « grunge » pour réveiller celui plus classique de Johannes et de Liron.

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Piano efficace. Vagabondage sur synthé et bidouilleries diverses. Solides références, tentatives souvent réussies de s’évader d’un formatage d’années de conservatoire encore proches. C’est, toutefois, une belle couleur qu’offre ces claviers au son global du groupe, dépassant déjà largement l’approche scolaire, pour faire sonner juste les différents claviers, leur attribuant un juste rôle à chacun, efficace dans chaque choix. Il faudra tout de même attendre le rappel pour l’entendre sortir de sa gangue et sentir le « swing »… nous y reviendrons. Classique? Liron l’est. Quoique d’aucun lirons d’elle, c’est une hirondelle. Fermement attachée à sa partition qu’elle interprète avec grande grâce. Robe de noires et de blanches, longues ou courtes, posées ou passionnées, aucune note, nuance, incident, n’échappe à ce caractère trempé dans le feu de joie de jouer. Jamais faux, laid. Que le bonheur d’apporter sa perfection de toucher à l’oeuvre en cours. Une sensibilité qui lui permet de se fondre dans la construction en devenir. Elle en serait presque transparente si elle n’en était de toute évidence indispensable au son général généré. Banale comme le soleil ou la pluie, mais imaginez le ciel sans soleil ni pluie !? D’un coup, duo avec le violon. Chorus à 2 voix. Putain, pourquoi elles ne font pas ça plus souvent ! Génial. Petit bout de femme cachée derrière l’archet de son large instrument qui se lève, se révèle, grandit, s’épanouie, sourie presque, nous remplie de joie, de bonheur. Le sait-elle ? Comme une pierre brute qui ne sait encore qu’un chef-d’oeuvre l’habite. Liron sait aussi converser avec la basse. Parfait doublage, mélange de cordes unies pour un son de tanker que rien ne peut arrêter tant qu’ils ne l’auront décidé. Là où Paul Santner montre que sa technique n’a rien à envier aux plus grands. (il suffit de changer une lettre à son nom pour devenir l’homonyme du célèbre guitariste du fameux « Jefferson Airplane », ouais : rien à voir, sauf la justesse, l’élégance, la présence, l’indispensabilité !). Rien à dire de la section rythmique. Tout simplement : en place. Complicité impeccable. Rien n’échappe à l’autre. Symbiose. Base idéale où l’ensemble repose. On les oublierait presque dans cette évidence, si ce n’est qu’à l’occasion de break, chorus, solo, ils ne se mettaient à ostensiblement exister, resplendir de bois, cuivres, peaux, occuper le terrain d’un art consommé, maîtres de temps et d’espace. Supports rêvés de toutes tentatives audacieuses, avec l’assurance de ne jamais se perdre. Classique, rock, contemporain, improvisation, tout leur va, et bien.

Sun Dew. Un son, leur son. Alors, le jazz là-d’dans ? Pour ceux qui en doute, qui n’auraient été sensibles au ‘swing’ permanent de leur exposé, le morceau du rappel va leur expliquer. Y a aussi du blues chez nous, et tout, tous, l’expriment, ils connaissent l’histoire. Chopez le beat, balancez des pieds, de la tête (alouette), snapez. Yeap, savent le faire. Compris ? Alors ré-écoutez (réécoutez) depuis le début, ça ne parle que de ça. Aussi. Sun Dew. Ils reviennent quand ? On y sera ! Ne loupez pas.