par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Le Rocher de Palmer, 29 novembre 2017.

Je n’avais jamais vu Tinariwen en concert et j’avoue ne connaître leur musique qu’au gré de leurs fréquents passages sur FIP. C’est donc avec curiosité que je me suis rendu au Rocher pour Action Jazz, délaissant un autre concert qui m’intéressait, celui de Maceo Parker au Krakatoa avec en plus en première partie le Bordelais Rix en trio soul/funk.

Tinariwen qui en Berbère s’écrit « +IO:I », calligraphie projetée sur le fond de scène, c’est la référence au désert, celui du nord du Mali faisant partie de cette bande géographique nommée Sahel qui traverse l’Afrique d’Est en Ouest. C’est la référence à ces peuples nomades du Sahel souvent rejetés, marginalisés, persécutés par les États, eux ne connaissant pas de frontières et résistant tant bien que mal. C’est tout cela qui nourrit leur musique que l’on rapproche dans ces luttes au blues. Du blues au bleu la transition est facile, ce bleu de leur costume plus précisément de leur chèche ou tagelmust en Berbère.

Le sens des chansons évoque ces luttes, cette vie quotidienne pas facile, ces troupeaux sans arrêt à la recherche de nourriture ou d’un endroit propre, les animaux n’aimant pas vivre dans leurs excréments. Malheureusement pour nous le berbère reste mystérieux et c’est donc la musique seulement qui peut nous transporter.

drapeau berbère

Ma première surprise est de voir la salle de 1200 places du Rocher archi pleine, je ne pensais pas la notoriété du groupe telle. Beaucoup de jeunes, ceux qui nous manquent dans les « vrais » concerts de jazz. Certes le Rocher a mis en vente un grand nombre de places à 2€ pour les étudiants, mais l’engouement est certain. C’est en quelque sorte rassurant de voir ce jeune public ouvert sur ces musiques encore un peu exotiques.

Ma deuxième – demi – surprise est de voir entrer en scène six musiciens en tenue touareg avec chèche et takakat de coton. Quelle est la part de folklore, quelle est la part d’authenticité je ne le sais pas mais déjà le dépaysement est total. De telles tenues contrastent avec les guitares électriques, ces guitares dont le son est une marque caractéristique du groupe. Groupe ou collectif car autour d’un noyau de base les musiciens et leur nombre peuvent évoluer.

Le nombre de guitaristes va évoluer au fil de la soirée mais il y aura toujours deux percussionnistes dont l’importance est fondamentales. Le public français est réputé pour taper dans les mains à contretemps même sur des rythmes binaires ou à 4 temps, mais là la difficulté est quasi insurmontable tant ils sont différents. Souvent guidés par le chanteur peu s’aventureront. Quelle richesse rythmique ! Les chants aussi sont caractéristiques, le chanteur se voit systématiquement répondre par le chœur des autres musiciens, dans une mélodie répétitive, parfois lancinante, toujours harmonieuse.

Les guitares électriques et leur son brillant sont les passeports vers notre culture musicale occidentale, évoquant le blues, le rock. Le « leader » du groupe, Ibrahim ou Abdallah, est d’ailleurs un sacré guitariste comme certains solos vont le montrer !

J’ai un petit regret quand même, j’ai trouvé les morceaux un peu courts, ne laissant pas la transe s’installer. J’ai vécu deux ans au Maroc et suis souvent allé dans le grand Sud où j’ai pu entendre justement ces mélopées lancinantes au départ mais qui par leur répétitivité et leur longueur vous embarquent vers des mondes musicaux excitants ; je précise que je n’ai jamais fumé quoi que ce soit !

Pour finir j’avoue que c’est la beauté des photos de Philippe Marzat notre photographe qui m’a décidé à relater ce concert. Il faut dire qu’il a des attaches fortes avec le Sud Marocains où il se rend régulièrement.

Anecdote : la fantaisie capricieuse des producteurs et/ou artistes est étonnante. Ce soir notre photographe avait droit aux « trois derniers morceaux », souvent c’est les deux ou trois premiers plus le rappel, ou pas, en ne dépassant pas le cinquième rang (Madeleine Peyroux) ; ou pas de photo du tout (Mélanie de Biasio) et deux portraits fadasses donnés par la prod. Philippe Marzat a donc dû être prévenu du compte à rebours pour activer son appareil ou alors a t-il triché ?

Ibrahim ag Alhabib, chant, guitare / Abdallah ag Alhousseyni, chant, guitare / Touhami ag Alhassane, chant, guitare / Eyadou ag Leche, chant, basse / Said ag Ayad, chant, percussions / Elaga ag Hamid, chant, guitare