Le crooner sous les étoiles
Par Stefani STOJKU
Chanteur et compositeur anglais, le nom de Hugh COLTMAN se murmure sur toutes les lèvres. Rien de très étonnant. Après une carrière au sein du groupe de Rock- Blues, The HOAX, en Angleterre, Hugh s’empare du jazz et cela lui va plutôt bien.
Lui s’estime chanceux mais il n’y a pas de hasard à ce qu’il soit reconnu « voix de l’année 2017 » par les victoires de la musique Jazz :
« Shadows of Nat KING COLE » rencontre depuis plus de 2 ans un succès indéniable et marque une carrière déjà bien riche.
De l’élégance dans la voix et de l’ivresse dans les mots, ce So-British poétise chacune de ses interprétations, invitant à l’émotion.
Flirtant entre le jazz, le blues et parfois même la soul, il enlace les moments avec une délicatesse et une belle profondeur musicale.
Tandis que les ombres de Nat King Cole s’évanouissent sous les applaudissements, les lumières se tournent vers son nouveau projet « Who’s happy » enregistré à la Nouvelle Orléans.
A la table de son café de quartier, Hugh, dans une grande simplicité nous parle de ses projets et de sa façon d’aborder la vie avec un détachement terriblement touchant.
- The sun shines for you. Comment te sens tu en ce moment ?
Fatigué mais content. Tout est tombé un peu au même moment. C’est super. Il y a la sortie du prochain album en février, c’est une bonne chose qu’il y ait tous ces évènements, cela permet de mettre de la lumière sur ce projet. Dans quelques jours, je suis sur le Soldat Rose. C’est une opportunité de s’ouvrir sur un public qui n’écoute pas forcement les radios jazz et qui peut être susceptible de s’y intéresser.
- Il y a eu aussi le concert à la salle Pleyel « Jazz loves Disney »
Oui, le disque est sorti il y a 6 mois. Il y a quelques jours nous étions au concert à la salle Pleyel, qui est une salle fabuleuse. Il y avait 16 cuivres, The AMAZING KEYSTONE BIG BAND et un mini orchestre. C’était un peu des conditions de luxe.
En plus de « You got a friend in me » que je chante sur l’album, J’ai interprété la chanson des Corbeaux, de Dumbo, je l’ai fait en français, j’espère ne pas l’avoir trop massacré –rires-
- So, « You got a friend in me », Do we?
Yes, I should hope so…
©ThierryDubuc
- « L’artiste vocal de l’année » des victoires de la musique du Jazz 2017. C’est quelque chose quand même. Que ressens-tu ?
Je ne sais pas si le mot existe en français… « An Usurper ». J’ai un peu ce sentiment. Même si le jazz est une musique que j’ai beaucoup écoutée, je suis tombé dans ce réseau en France un peu par hasard. Je jouais avec Eric LEGNINI sur le projet d’une amie, krystle WARREN, et elle ne pouvait plus faire le reste de la tournée, j’ai pris le relai. Par la suite, j’ai refait un album avec Eric. Cette liberté que le jazz procure m’a tellement plu, que j’ai voulu faire un album. J’ai sorti l’album de Nat King Cole, pour ces raisons et pour d’autres raisons aussi -mais je ne vais pas t’ennuyer avec ça. Et en seulement 2 albums, je suis reconnu « la voix de l’année » ! Alors qu’il y en a qui sont là depuis bien plus longtemps. C’est pour cela que j’ai ce sentiment d’être un peu un usurpateur.
- Aurais-tu imaginé, dans ta carrière, « réussir » en quelque sorte dans la musique ?
Non.
En fait, Je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Chanter a toujours été quelque chose que j’ai adoré. Quand j’ai commencé à chanter « professionnellement » dans mon premier groupe en Angleterre, j’étais alors en fac de théâtre, le guitariste du groupe cherchait un chanteur et tout est parti de là. C’est arrivé naturellement mais pas du tout dans une volonté.
Chaque jour où je pars faire des concerts, je me dis « j’ai 45 balais et j’arrive à vivre de ça, c’est formidable ».
- Comment en es-tu arrivé là ?
Ma mère était assez passionnée de musique. Elle jouait l’alto dans un orchestre, mon père jouait du Cor Anglais. Ils étaient donc tous deux dans un orchestre et mon frère jouait du violon. Moi, j’étais le mouton noir comme on dit en anglais. Je commençais un instrument pendant un an, je m’ennuyais donc je ne le faisais plus. Je me disais que mon frère allait être un grand concertiste et moi un loser… Je pense que j’ai tout simplement eu de la chance. Il y a tant de musiciens qui sont superbes et qui n’arrivent pas encore à en vivre. C’est une confluence de chances et d’opportunités qui font qu’à un moment, tu es devant la bonne personne.
Quand je suis venu en France, après avoir quitté The HOAX, je redémarrais alors de zéro, et j’ai fait la rencontre d’un chanteur rappeur, SPLEEN, avec lequel j’ai monté un groupe. J’ai continué à faire des compositions et au fur à mesure les choses se sont faites. Comme ma rencontre avec Raphael CHASSIN (drums)- avec qui j’ai enregistré mon dernier album à la Nouvelle-Orléans. C’est un super batteur et un super être humain. Ce ne sont que des rencontres chanceuses qui m’ont mené ici.
- Justement, tu t’entoures de très bons musiciens. Quelle est la qualité chez un musicien qui te donne envie de collaborer ?
Une certaine ouverture. Par exemple, sur le disque Nat KING COLE, ce n’était pas évident, même si c’était un disque résolument jazz, il y avait quand même beaucoup de mes influences, c’est-à-dire BLUES. Il n’y a pas beaucoup de pianistes comme Gaël RAKOTONDRABE (piano) et Paul LAY (piano) qui sont capables de faire des trucs incroyablement techniques et en même temps être capables de faire des choses simples. Ils arrivent à revenir à ce qui est important, cette âme qui est dans le blues.
Beaucoup de musiciens sont à la recherche de virtuosité, de technique et laissent un peu de côté l’amour de quelque chose de simple.
J’ai retrouvé Raphael, le batteur-qui a joué 10 ans avec Salif KEITA, Vanessa PARADIS, TéTé – à un moment où lui avait envie de faire quelque chose de plus ROOTS et c’est ce que je lui ai proposé.
C’est l’écoute de l’autre qui est important chez un musicien. Quand on est dans un groupe, ce que fait l’autre change une certaine direction à un moment présent. Ce sont les oreilles ouvertes.
- Sur l’album “shadows”, on parle beaucoup de la façon dont tu as abordé certaines chansons comme « Are You Desenchanted» qui est marquée par une certaine tension dans les arrangements. Ton interprétation de « SMILE » a une approche plus douce, plus délicate, un peu comme John SCOFIELD l’aborderait à la guitare.
L’idée d’un enregistrement est venu à un moment où j’avais envie de faire un album dont la liberté que nous permet le jazz, soit très présente. A partir de là, je me suis dit que j’allais essayer de penser comment moi je voulais le faire. Puis j’ai pensé à Nat KING COLE -ma mère l’écoutait beaucoup à la maison.
Mais comment faire ? Comment l’aborder ? Il y avait tellement de versions des chansons. J’ai lu une biographie sur lui et vu un documentaire. Plusieurs chansons étaient basées sur le racisme de l’époque et quelque part, ça m’a ouvert une voie d’interprétation.
SMILE et quelques de morceaux de l’album, sont des chansons qui, aux premières lectures ont une simplicité dans les textes. Je me suis dit que Smile, ça pouvait être le genre de sourire que Nat King Cole avait quand il reçut une croix en feu sur sa pelouse ou lorsqu’il faillit être kidnappé dans le sud des Etats-Unis. Malgré tout, il rejouait devant une audience majoritairement blanche et restait professionnel, propre sur lui, souriant et très digne. C’est ce que j’ai voulu faire. Reprendre une chanson que l’on connaissait tous, d’une certaine douceur, suave voire mielleuse mais y ajouter une certaine tension, un malaise qui amènerait un peu plus à la réflexion.
- « Shadows of Nat King Cole » a rencontré un franc succès, une tournée de plus de deux ans se termine. Quels sont tes ressentis ?
On n’avait pas joué depuis 2 mois ce répertoire. On a fait deux concerts ce weekend et c’était génial ! Au lieu de se dire on tourne une page, au bout d’un ou deux morceaux, on a redécouvert ces morceaux, qui sont sublimes, en plus d’être joués par ces musiciens que j’évoquais tout à l’heure. C’est un plaisir humain, un plaisir musical. C’est un regret aussi quelque part.
Mais je repars avec quasiment la même équipe sur la prochaine tournée, plus quelques cuivres, ce n’est que partie remise.
- Nouvel album « Who‘s happy », sortie prévue pour Février 2018. Comment un tel projet prend-t-il forme ?
La grande rencontre pour moi, ça a été Freddy KOELLA, un grand guitariste, qui est devenu un bon ami. Nous sommes partis ensemble à la Nouvelle-Orléans. J’ai découvert Freddy sur un disque qu’il avait fait « UNDONE ». On s’est contacté très simplement.
J’avais envie de faire ça avec un réalisateur et tant mieux si le réalisateur est aussi guitariste !
Nous avons d’abord travaillé les morceaux en amont à la maison. A l’opposé de ce que j’ai fait précédemment et sur les conseils de Freddy, je n’ai pas fait de maquette. J’ai enregistré les chansons très simplement sur téléphone. Nous avions les « squelettes » des morceaux et tout prenait vie en studio avec les musiciens d’ici et de là-bas.
- Pour « SHADOWS », l’enregistrement s’est fait dans des conditions live pour retrouver ce grain et cette ambiance des enregistrements de l’époque. As-tu suivi le même processus pour ce nouvel album ?
OUI, pour la plupart. L’enregistrement s’est fait au Studio de Misha KACHKACHISHVILI, dans une cathédrale presbytérienne qui a été complétement détruite par Katrina. Tout a été refait sans être dénaturé. La salle est juste magnifique. La batterie et les cuivres ont été enregistrés dans la même pièce, la guitare acoustique et les voix isolées dans les cabines. Ce qui donne ce résultat, enregistré dans des conditions Live.
- C’est aussi plus de place à L’écriture et à la composition sur cet album, n’est-ce pas ?
C’est moi qui ai composé les chansons et les paroles de « Who’s happy ».
J’ai pris du plaisir à interpréter de sublimes chansons telles que celles de Nat King Cole ou encore l’album de reprise en hommage à B.B. KING réalisé avec mon ancien groupe, sans pression véritable.
Mis à part ça, j’ai toujours composé. Là, je suis content de reprendre un peu les rênes et de faire mes propres chansons.
Il y a cependant une reprise, Charles SHEFFIELD, « Voodoo Working » qui est une pure merveille, que j’ai découvert ici, dans mon petit café du coin.
- Chanteur à texte. On reconnait une certaine nostalgie dans ta musique. D’où vient ton inspiration créative ? et que pourrons-nous découvrir dans cet album ?
Ça peut l’être…
Mon inspiration… humm…un peu de tout. C’est assez varié.
Il y a une chanson sur mon nouveau disque qui est pour mon fiston, c’est joyeux mais il y a un côté très nostalgique dû faite de le voir grandir et être amener un jour à quitter la maison.
Une autre chanson est inspirée par mon premier voyage à la Nouvelle-Orléans, en Mai. Etre baigné dans cette atmosphère m’a inspiré une chanson plus orientée politiquement, qui remet en question le mouvement populiste. Une autre parle d’un film, plus particulièrement d’une scène qui m’a été donnée de travailler. Cependant, c’est sûr que ce n’est pas forcément un album à mettre un samedi soir.
- Quelles seront les Couleurs de l’album ?
J’espère bien qu’il y a une couleur Nouvelle-Orléans !
C’est ce que j’avais en tête mais je n’ai pas cherché à faire une « carte postale ». Je voulais faire ma musique, inspirée par les gens avec qui je travaille et inspirée par les lieux.
Il y a du coup un coté jazz mais peut être plus Ragtime que Brad Bred down. On y retrouve aussi des influences de groupes que j’écoutais il y a longtemps comme FABULOUS THUNDERBIRDS ou des groupes de Blues texan.
Je pense que je suis arrivé à un moment dans ma vie où je peux faire ce que j’ai envie, sans avoir certaines appréhensions. Juste ce qui me ressemble le plus. Je suis content des chansons, je suis content des paroles et je suis content des rencontres que j’ai pu faire.
- Que voudrais-tu que les gens retiennent de cet album ?
Un moment qui transperce. Que ce soit un disque d’un moment. La manière dont le disque a été enregistré. On entend beaucoup de choses humaines, musicales et autres. Des rires. J’ai voulu garder ces moments vrais, capturés. Un moment privilégié, partagé comme si l’auditeur était dans le studio, avec nous.