Airelle Besson et Benjamin Moussay
« Ballade avec Miles »
Concert et interview
par Philippe Desmond
Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, vendredi 10 novembre 2023.
Depuis quelques années l’Opéra de Bordeaux a transformé son image. Longtemps « réservé » à un public d’initiés cet organisme culturel est allé au devant de nouveaux auditoires, ouvrant ses salles, le Grand Théâtre et l’Auditorium, à une politique de démocratisation par des programmations larges avec des tarifs accessibles. Des actions de solidarité et d’inclusion sociale ont ainsi vu le jour comme des collaborations avec les scolaires, le monde hospitalier, des associations humanitaires…
Depuis deux ans Action Jazz et l’Opéra de Bordeaux ont signé une convention de partenariat centré bien sûr sur le jazz. Ainsi de temps en temps nous vous annonçons les concerts et vous faisons partager les comptes-rendus. Pour les adhérents de notre association, deux places sont à gagner à chaque fois et déjà pas mal de personnes ont pu ainsi en profiter et découvrir pour certaines ce lieu magnifique qu’est l’Auditorium.
Ce soir c’est un concert de jazz un peu particulier auquel nous assistons, un concert commenté à destination des enfants et des familles, la « Ballade avec Miles » proposée par la trompettiste Airelle Besson et le pianiste Benjamin Moussay. Voilà deux noms importants de la scène jazz qui mettent leur talent au service d’un public différent de celui qu’il fréquentent par ailleurs notamment avec leur quartet. Dans l’après-midi déjà, ils ont rempli la salle avec des scolaires, une ambiance de Stade de France nous dira Benjamin Moussay.
Ce soir les familles sont conviées, parents, enfants mais aussi des spectateurs « ordinaires » amateurs de jazz, l’affiche est belle en effet.
Le thème est de retracer une partie de l’histoire du jazz à travers l’œuvre de Miles Davis. Celui-ci a en effet tout au long de sa carrière été à l’origine ou très proche de la création de courants du jazz. Be Bop, Hard Bop, Cool Jazz, Jazz Rock , il a joué et adapté des standards de Broadway mais aussi des tubes de pop music, toujours à la recherche d’innovation. Il n’est certes pas le seul mais en plus il est trompettiste et Airelle aussi !
« Donna Lee » pour commencer, attribué à Charlie Parker mais peut-être de Miles Davis débutant qui jouait dans son orchestre. Tout au long du concert c’est Benjamin Moussay qui va le commenter. Des explications précises, claires, pas trop techniques pour laisser de la place à la musique et ne pas perdre un public pas initié et comportant beaucoup d’enfants. Voilà « My Funny Valentine » pour illustrer les standards de Broadway que jouait Miles dès le début. Le public est de suite confronté à un élément majeur du jazz, l’improvisation. Ce ne sera que ça toute la soirée, un dialogue improvisé entre un piano délicat et une trompette feutrée comme sait le faire Airelle. Un concert qui va se révéler pointu par le choix de certains titres, intimiste par son déroulement et visiblement captivant tant l’écoute est attentive. Beaucoup d’enfants et pas un bruit, des graines de jazz se plantent ainsi dans la douceur et espérons-le en profondeur. « Walkin’ » sur un mode blues, style que le public questionné n’a pas identifié, les quelques connaisseurs n’osant pas répondre au début. Puis « Footprints » de Wayne Shorter paru en 1966 sur l’album « Miles Smiles ». Là encore une interprétation très libre, le thème n’apparaissant guère que par quelques touches ça et là. Très intimiste je le répète ; piano et trompette sans rythmique ça s’impose presque. Un extrait du mythique « Kind of Blue » avec « Blue in Green » de Joe Zawinul ; pas de sourdine pour Airelle, elle en utilise rarement ; minimaliste version, écoute parfaite de la salle.Idem pour « In a Silent Way » et le tonique « Directions » ces titres qui préfigurent un tournant dans la carrière de Miles et l’arrivée d’un nouveau courant. Benjamin nous explique tout cela.
Voilà la période pop de Miles avec « Human Nature » et « Time after Time » . Airelle lance les claquements de doigts et là miracle la salle est parfaitement synchro, ça va perdurer tout le morceau. Toujours pas de sourdine comme Miles. Airelle ne joue pas comme lui elle a son propre style fait de douceur et d’émotion.
Rappel bien sûr avec « Neige » composé par la trompettiste et cette mélodie qui vous reste entre les oreilles longtemps après. Lors de l’interview qu’ils vont m’accorder après le concert, Benjamin la fredonne toujours !
Tiens c’est le moment de vous parler d’Adèle, neuf ans et demi, assise derrière moi avec qui j’ai discuté avant le concert, pendant et après ! Je l’entendais parler du concert de l’après-midi auquel elle avait assisté avec son école et je l’ai questionnée. Elle avait aimé la musique et les interventions du pianiste et elle avait adoré le dernier morceau celui qu’ils jouent après être sortis et qu’ils reviennent jouer. Elle est intarissable. Et alors ce deuxième concert ? Moins endormissant que le premier !
Lors des dédicaces de disques Airelle se verra invitée par une petite fille pour jouer à son anniversaire ; pour elle un compliment beau et touchant . Elle a visiblement fait des émules chez ces filles qui veulent jouer de la trompette maintenant. Allez les filles foncez ! Mais conseil d’Airelle : tu as encore tes dents de lait alors attends un peu.
C’est chouette des concerts comme ça ; pédagogique dit-on et initiatiques aussi ; que les graines plantées puissent germer, nous on commence à ne plus se faire tout jeunes…
- Prochain concerts de jazz à l’Auditorium :
Vendredi 24 novembre : Rolando Luna
Lundi 27 novembre : Jacky Terrasson en solo
Samedi 16 décembre : Abdullah Ibrahim
- La saison jazz 2023/2024 à l’Opéra :
https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/le-jazz-a-lopera-de-bordeaux-saison-2023-2024/
Interview d’Airelle Besson et Benjamin Moussay
A l’issue du concert et d’une séance de dédicaces très sympathique avec de nombreux enfants et parents, Airelle Et Benjamin ont bien voulu m’accorder une interview tout en bouclant leurs valises en loge.
Action Jazz : Comment est venue cette idée de proposer un concert commenté autour de Miles ? C’est un projet qui tourne ?
Airelle Besson : ça tourne une ou deux fois par an depuis quelques années
Benjamin Moussay : la première fois c’était à Coutances à Jazz sous les Pommiers je crois
AB : non, à la Médiathèque de Montrouge suite à l’idée d’un ami. Tu ne voudrais pas faire un concert pédagogique sur un musicien, un compositeur ; il avait aussi pensé tout de suite à Benjamin et voilà.
AJ : Miles est venu naturellement alors, la trompette, le compositeur, le créateur de courants
BM : la trompette bien sûr et donc Miles qui s’est imposé
AJ : c’est annoncé comme un concert jeunesse à partir de 6 ans et pour les familles
BM : oui maintenant on fait en général deux concerts, un pour les scolaires dans la journée et l’autre le soir pour les familles
AJ : vous envisagez les deux différemment ? J’avais une petite fille derrière moi qui avait beaucoup ri de vos dialogues cet après midi et a trouvé le concert de ce soir moins endormissant !Je pose la question car j’ai trouvé le répertoire très pointu, intimiste souvent et il y avait une attention incroyable. Vous avez fait la même chose cet après-midi ?
AB : oui, les mêmes morceaux
BM : oui mais on les a joués un peu plus court, moins développés. Et peut-être qu’on parle un peu plus comme ce sont des enfants
AB : c’est plus didactique, on explique, on rentre un peu plus dans des explications sur le jazz, l’improvisation
AJ : c’est vrai que ce soir ça faisait plaisir de voir des familles avec des enfants car le public des concerts de jazz ne rajeunit pas trop !
AB : oh oui, quel bonheur
AJ : en quoi pour vous est-ce différent d’un concert « normal » ?
BM : on parle, d’habitude on ne parle pas trop, il y a toute la dimension explicative
AJ : ça ne coupe pas l’élan musical ?
AB : ça fait partie du jeu, c’est un concert commenté
BM : c’est agréable à faire et en plus le répertoire n’est pas le nôtre, celui de nos autres projets où on joue nos propores composition. Là ce qui est intéressant c’est de se plonger dans le répertoire qui est super beau, qu’on a tous travaillé un jour ou l’autre. C’est l’occasion de le mettre en perspective avec la formule du duo. « In a Silent Way » en acoustique c’est marrant.
AB : c’est trouver un moyen de faire sonner cette histoire sans effets, sans sourdine
BM : c’est jouer cette musique avec notre manière, on invente des intros, on fait des trucs bizarres. Comme ce sont des standards on peut partir n’importe où à partir d’eux.
AJ : j’ai vu que vous sous surpreniez de temps en temps
AB : tout le temps !
AJ : oui c’est le principe de l’improvisation
BM : à part le fait de ce parti pris de suivre un ordre chronologique, on ne sait pas si c’est Airelle ou moi qui va développer le thème ; en duo on a cette souplesse
AJ : c’est en tout cas, bravo, c’est l’occasion de planter des graines auprès des enfants mais aussi des parents pas forcément amateurs de jazz. Parlons de vos projets en cours ou à venir.
BM : j’enregistre en décembre pour ECM avec Louis Sclavis, un duo piano clarinettes. On a écrit un nouveau répertoire, on est chaud, on est très chaud ! Il y aura aussi un titre de Sarah Murcia.
AB : j’ai le quartet sur le feu, ça continue et j’ai enregistré un disque en trio à Cologne avec deux musiciens allemands qui sortira bientôt,
AJ : merci à tous les deux au nom de nos lecteurs