par Philippe Desmond

l’Inox, Bordeaux jeudi 27 juin 2019.

 

Le 26 janvier dernier alors qu’allait se dérouler le 7ème tremplin d’Action Jazz nous apprenions la disparition de Michel Legrand. Jacques Pailhès , pianiste, chef d’orchestre pendant 20 ans aux Folies Bergères, accompagnateur de nombreux artistes,  et qui avait souvent travaillé et joué avec le grand compositeur nous proposait alors en introduction de la soirée un hommage musical de quelques minutes. Ce qui fut fait avec une certaine émotion. Un rapide tour d’horizon avec quelques mesures des plus grands succès du musiciens. De là l’idée d’aller plus loin certainement et ainsi la genèse du spectacle de ce soir.

Nous voilà donc à l’Inox, anciennement l’Onyx, haut lieu pendant des années du café théâtre bordelais sous la houlette du légendaire Guy Suire. Minuscule théâtre de 90 places avec ses fauteuils rouges et sa petite scène sur laquelle se sont créées des pièces d’anthologies et même joués des classiques, je me souviens d’un Cyrano de Bergerac mélangeant acteurs et marionnettes !

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Drôle de lieu pour un concert de jazz ? Justement, si ça va être en partie du jazz, ce ne sera pas un concert ou pas seulement un concert, un vrai spectacle de cabaret. Ils sont trois, Jacques Pailhès (e-piano,chant, narration) , Michel Mondou (sax ténor, soprano, flûte, accordina) et Richard Scotto (chant et narration) pour nous résumer la carrière prolifique de Michel Legrand. Un spectacle écrit autour de ses plus grandes œuvres et retraçant son parcours très riche. Pas la peine de vous détailler sa biographie on trouve tout sur lui sur le web, depuis sa naissance dans une famille de musiciens jusqu’à sa fin de vie et sa dernière histoire d’amour. Une des clés de sa carrière réside certainement dans son apprentissage, notamment auprès de Nadia Boulanger qui a eu entre autres comme élèves George Gershwin, Astor Piazzola, Daniel Barenboim, Lalo Shifrin, Vladimir Cosma, Quincy Jones… Du classique (deux opéras et des concertos), du jazz, de la chanson, des BO de films… Le jazz il le découvre à 15 ans lors d’un concert de Dizzie Gillespie. Il jouera avec lui quelques années après comme avec tant d’autres grands, John Coltrane, Miles Davis, Bill Evans… dans le fameux album de 1958 « « Legrand Jazz » ; il a alors 26 ans. Tout cela Jacques et Richard nous le racontent entre des passages musicaux qu’on aimerait encore plus longs. Mais une nuit n’y suffirait pas !

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Plus qu’un hommage nous dira Jacques Pailhès c’est une déclaration d’amour, mais sans complaisance, le caractère difficile et très exigeant de l’artiste avec les musiciens n’étant pas un secret dans le milieu. Ce compositeur capable d’écrire des partitions pour orchestre d’un seul jet tel Mozart à son époque avait du mal à admettre que le cerveau des autres ne fonctionne pas aussi vite que le sien. Un des intérêts de ce spectacle est que Jacques Pailhès a travaillé avec Michel Legrand, en studio et même sur scène à la salle Pleyel, tenant le piano de son grand orchestre le maître à la baguette. Vouvoiement de rigueur et une certaine distance intimidante de sa part. Des anecdotes viennent ainsi fleurir cet hommage.

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Musicalement c’est un régal, retrouver ces mélodies souvent écrites pour de grandes formations et ainsi réarrangées pour deux instruments et une voix parfois. Au piano Jacques Pailhès a la palette de son idole, capable d’improviser sur du jazz ou d’interpréter à sa façon mais fidèlement des airs connus. Une de ses propres compositions se référant à Erik Satie, objet d’une anecdote aigre douce avec Michel Legrand, et qu’il enchaînera avec deux Gnossienne, nous en dira encore plus sur son talent. Quant à la voix c’est assez surprenant, le même timbre et du scat à gogo comme Legrand aimait à en mettre partout.

A ses côtés Michel Mondou que le milieu du jazz bordelais connaît très bien. Qu’il soit au ténor, au soprano, à la flûte ou à l’accordina il est un vrai régal de musicalité et de précision. L’Orchestre de l’Armée de l’Air a bien de la chance de l’avoir comme leader du pupitre de saxophones ! L’accordina justement, instrument qu’on voit peu mais souvent utilisé dans les BO de films des années 70, on pense à Francis Lai, ce son aigrelet caractéristique d’une époque qui vous fait remonter des souvenirs. Riche idée.

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Richard Scotto est lui le narrateur et chanteur, plus à l’aise me dira t-il dans le second rôle. Richard qui grâce à son métier, il vendait des instruments de musique, a côtoyé les plus grands est l’acteur important de la réalisation de ce projet.

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Après le final très émouvant sur « la Valse des Lilas » la première chose qui me vient à l’esprit c’est que ce projet, joué deux soirs consécutifs ici, doit vivre. Alors organisateurs n’hésitez pas, c’est un spectacle de qualité et grand public au sens le plus noble du terme.