Daniel García trio – un concert sublime
Texte et photos par Philippe Desmond
Le Rocher de Palmer, jeudi 23 novembre 2023.
En septembre 2022 au Anglet Jazz Festival, nous avions découvert, pour son tout premier concert en France, le trio du pianiste espagnol Daniel García Diego (son nom complet) et cela avait été un choc émotionnel. Nous étions donc impatients de le revoir ici au Rocher de Palmer, dans la salle plus intime du Salon de Musiques qui ce soir affiche complet. Déjà une satisfaction en ces temps où la fréquentation des salles de concert ne brille pas par son ampleur.
Reiner Elizarde « El Negrón » le contrebassiste cubain et Shayan Fathi le batteur d’origine iranienne complètent ce trio.
On prête à juste titre au jazz des racines africo-européennes, le mélange de l’apport culturel bien involontaire des esclaves à celui de leurs maîtres (!) blancs souvent émigrés de notre continent. Mais certaines de ces racines européennes sont longtemps restées cachées et ont fini par donner des pousses, les musiques venues d’Espagne comme le Flamenco musique gitane andalouse, mais aussi d’autres folklores ibériques. Daniel va nous en parler ce soir.
Mais avant de nous en parler c’est dans leurs compositions et la manière de les jouer que cela va très vite transparaître. Claude Nougaro aurait dit que l’Espagne poussait sa corne. Quand Daniel sur le premier titre se lance seul au piano, Rainer ne peut s’empêcher de proposer quelques palmas de ses mains immensément longues. Le trio a commencé par un titre de Cameron de la Isla « Potro de Rabia y Miel » (le poulain de rage et de miel) à l’origine une buleria. De suite vont se dévoiler tous les éléments qui vont faire de ce concert un véritable joyau, la virtuosité de chacun, leur osmose parfaite pour une musique pleine de nuances, de fulgurances, de beauté. El Negrón (troublant de pouvoir l’appeler ainsi mais comme il se définit lui-même…) se lance dans un de ses solos incroyables de la soirée, musical, osé, plein de fantaisie, très inspiré. Ceux qui ne connaissaient pas Daniel García découvrent un pianiste magnifique, sensible et énergique à la fois comme cette musique l’exige, il a l’Espagne et le jazz dans les doigts. Mais un qui va être une révélation c’est Shayan Fathi, plus percussionniste que batteur dans le sens où il n’accompagne pas rythmiquement mais qu’il participe à la fabrication de la musique avec une grande créativité ; remarquable à voir ainsi travailler.
Voilà « La Comunidad » un tango flamenco, rien à voir avec son cousin argentin. Rythme syncopé, rebondissements sur une mélodie légère alerte et joyeuse ; on retrouve ces accents, ces breaks caractéristiques du Flamenco habituellement marqués par les claquements de talon. Solo magique de Shayan.
Je l’attendais, la voilà, « La Leyenda del Tiempo » une ballade à la mélodie bouleversante, elle aussi de Cameron de la Isla. Daniel la dédie à tous ceux qui osent malgré les critiques, en référence à Cameron qui en 1981 a introduit les instruments électriques dans le Flamenco au grand dam des puristes qui l’ont agoni ; l’album est depuis devenu une référence dans le genre. Comme quoi… Que ce trio est beau, la salle est en lévitation !
Daniel nous parle de sa ville, Salamanca et de cette rue qui n’a pas changé depuis 500 ans, la « Calle Compañia » ; je me surprends, comme un vilain touriste débarquant sur la Costa Brava, à vouloir parfois crier Olé ! On est ici dans le folklore castillan, il n’y a pas que le Flamenco nous glisse Daniel. Tiens, à propos il s’adresse à nous un peu en Français, il n’a pas encore trop confiance, mais surtout en Castillan ; il a demandé si on préférait en anglais ? Non ! L’Espagne est si proche de nous et puis restons dans cette ambiance jusqu’au bout.
Plus tard, dans un final étincelant, tourbillonnant, planant parfois, Daniel fera quelques clins d’oeil à la musique américaine (il a été formé au Berklee College de Boston) en citant musicalement Miles Davis avec « Jean-Pierre », Juan Pedro pour l’occasion, et, plus surprenant, « Oh Suzanna ».
Rappel réclamé debout spontanément avec une valse et toujours ce plaisir de jouer et cette interaction, cette connivence entre ces trois merveilleux musiciens. Rainer nous proposera son dernier et long solo en y introduisant une mélodie que nous rappelle quelque chose… Quand après le concert je parlerai de ce solo avec lui en lui disant que j’avais reconnu le thème de « Nature Boy » il me dira que non. Daniel à côté en riant, me dira si tu as raison mais il ne connait même pas le titre il l’a dans l’oreille sans savoir d’où cela vient ! Ah oui car il faut que je vous dise à la fin du concert après la razzia faite sur les CD (quel succès) ils sont venus nous rejoindre au bar et ont longuement discuté avec les uns et les autres et pas mal de musiciens venus écouter, notamment des pianistes avec qui Daniel a parlé boutique. Ainsi encore épaté par le concert, le pianiste bordelais Loïc Cavadore, à la question de savoir si le trio répétait souvent, a eu la surprise et moi aussi, d’entendre la réponse de Daniel : jamais! Chaque concert est différent, on se surprend on s’amuse. Bluffant.
Un sublime concert terminé en chantant avec le trio, magique.
Liens :
Anglet Jazz Festival : https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/anglet-jazz-festival-2022-1-daniel-garcia-diego-trio-raphael-pannier-5tet/
Album « Via de la plata » :https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/daniel-garcia-trio-via-de-la-plata/