Dock in Absolute

[RE]FLEKT

Par Christine Moreau
Label Cam Jazz
Le Grand-Duché de Luxembourg est un vivier de musiciens de jazz plus que talentueux. Nous avons récemment eu l’occasion de chroniquer dans ces colonnes le très bel album Living Organs de Shauli Einav Quartet. Autre pépite, Dock in Absolute est une formation composée de Jean Philippe Koch au piano, Arne Wiegand à la basse électrique et Victor Kraus à la batterie. Leur troisième opus [RE]FLEKT est édité sous le label Cam Jazz. Le trio propose une musique que l’on peut qualifier de jazz- néo progressif, au son très moderne et personnel. Hormis deux titres, tous sont signés par Jean Philippe Koch. Fragnolia est l’œuvre de Arne Wiegand et Kintsugi de David Kintziger. Ce dernier était bassiste sur les deux albums précédents. Compositeur, musicien, artiste plasticien, il est aussi l’auteur de la pochette du CD. Il a conçu une photo d’inspiration minimaliste : grand angle sur un couloir dépouillé qui ouvre une perspective très géométrique, un long mur rouge se détache sur la partie droite et suggère une invitation mystérieuse à pénétrer dans l’univers de Dock in Absolute.
De par sa formation classique, le pianiste Jean Philippe Koch accorde une grande importance à la mélodie sans pour autant négliger la complexité des arrangements et la rythmique des compositions. Son travail est empreint de l’influence de musiciens comme Rachmaninov, Brahms ou le contemporain Tigran Hamasyan. Il envisage la création comme l’expression de sensations profondes et d’émotions riches. Ses œuvres ont également des connexions avec la musique minimaliste et répétitive dont les représentants emblématiques sont Tom Riley, Philip Glass et Steve Reich. Tous ces métissages sonores donnent naissance à des morceaux composés sur une structure classique mélodique dynamisée par des boucles répétitives. Les changements de tonalité impulsent fraicheur et singularité à l’ensemble.
Avec une formation classique : piano, basse, batterie, le propos est créatif et contemporain. Il est difficile de comparer Dock in Absolute aux trios actuels tant les compositions sont originales. [RE]FLEKT est le fruit d’un travail collaboratif où chacun trouve pleinement sa place et le dialogue entre musiciens se fait avec une grande fluidité. Si l’on cherche des références et des repères, on peut retrouver les mélodies de Keith Jarrett, l’esthétisme de Bill Evans dans la richesse harmonique que Jean Philippe Koch trouve dans sa main gauche et l’intensité du jeu de Paul Bley. Les idées foisonnent et les trois compères, dans un bel équilibre et une écoute mutuelle, créent une musique qui convoque tout à la fois rock et romantisme.
Sur les boucles répétitives du piano du premier titre Heartbeat, viennent se poser des grooves percussifs variés et inspirés qui meurent sur une pulsation, un battement de cœur. In your steps, comme le reste de l’album est très mélodique tout en proposant un rythme plus enlevé avant Rolling aux sonorités plus pop ; les notes du piano y coulent telle une eau cristalline descendant une cascade claire. Interstice fait la part belle à une ligne de basse captivante, transcendée par la partition dépouillée du piano et le jeu de Victor Kraus qui s’emploie à faire de ses percussions un métronome précis.
Avec Swell, le phrasé très mélodieux et véloce de Jean Philippe Koch s’enroule en longues nappes harmonieuses et lumineuses. Morceau riche en nuances, il propose une palette musicale qui oscille entre lyrisme et impétuosité.
L’écoute de [RE]FLEKT est si intense en émotions que la tentation est grande d’évoquer chaque titre. Dans le somptueux Tears for peace, la main gauche du pianiste est éloquente, le toucher aussi dense que celui de la main droite. Jean Philippe Koch fait sonner une succession d’arpèges magnifiques ; la gravité des accords prépare à la mélodie sur laquelle se greffent immanquablement des images cinématographiques. Les larmes, justement, ne sont pas loin, dépassés que nous sommes par cette intensité émotionnelle. L’influence des classiques est prégnante et sublime l’inspiration.
Ascension est également un titre parfaitement équilibré, organisé en deux séquences : la légèreté et la gravité sont incarnées par la ligne de basse et les accords du piano entremêlés. Rise in the east témoigne de la rencontre entre le lyrisme et l’orientalisme : une basse entrainante accueille la voix musicale des paumes qui tambourinent et les notes claires qui s’échappent crescendo du piano. Arne Wiegand déploie tout son talent sur Fragnolia : en soliste averti, il délivre une prestation où se développe avec gravité toute une palette de rythmes et ressuscite de ses cordes des harmonies superbes et surprenantes. Dans le dernier titre Kintsugi, de David Kintziger, le clavier et les balais offrent un écrin magnifique à la basse pour créer une composition remarquable. Il faut souligner la belle cohérence de tous les morceaux de cet album original et brillant.
A écouter sans modération.

Tracklist :
– Heartbeat
– In your steps
– Rolling
– Interstice
– Swell
– Tears for peace
– Ascension
– Sofia
– Rise in the east
– Fragnolia
– Kintsugi

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