Texte : Annie Robert
Photos : Christian Coulais

Mas Ladapt Camblanes ( 33) / 17 mai 2019

Au départ, on pourrait croire qu’il s’agit d’un concert comme tant d’ autres…
Il y a des musiciens qui balancent, une scène un peu ventée mais à l’abri de ce frisquet mois de mai, des éclairages discrets, un ingé-son attentif, des notes espérées, des sourires naissants, des bénévoles empressés, la perspective du beau, du généreux et du plaisir et puis des chaises et une buvette … Un simple moment de musique, niché au creux d’un parc feuillu, rien que de très banal en somme….

Seulement voilà, le lieu, lui, n’est pas banal et le public encore moins….
Nous sommes à la MAS ( Maison d’Accueil spécialisée) de Camblanes, une structure neuve et moderne qui accueille des patients handicapés, cérébrolésés, des histoires de vies singulières et douloureuses, en repos après le fracas. Peu ou pas de possibilités pour ces malades d’entrer en contact avec la vie extérieure, d’aller au concert, de se ressourcer auprès de la culture sinon au sein de la structure d’accueil elle-même.
C’est pour cela qu’un partenariat est né, réunissant l’association Jazz360 à travers le contrat de filière du conseil régional et la MAS….. L’idée de départ est simple: si tu ne peux aller au monde, le monde viendra à toi; si tu ne peux aller à la musique, la musique fera elle même son chemin jusqu’au cœur, jusqu’à l’âme…. Du spectacle vivant, en direct, en prise avec la chaleur de l’échange et la respiration commune.

Et ce fut un beau et singulier moment de partage, un beau et singulier mélange de public: les patients d’abord ( y compris ceux de Handivillage tout proche, venus en voisins) , mais également leurs familles, les soignants et puis aussi des amateurs de jazz, étonnés d’abord du lieu et des circonstances et puis ravis de cette émulsion peu courante.
Le groupe choisi ne fut pas pour rien non plus dans le sentiment profond de plénitude qui a envahi pendant plus d’une heure tous les spectateurs présents. Christophe Maroye à la guitare accompagné de Didier Ottaviani à la batterie, Xavier Duprat aux claviers et Marc Vullo à la basse, a présenté son album «No turning back », un album où la guitare est reine bien sûr : acoustique, électrique, avec ou sans effet, déployant des climats variés, flirtant avec la pop, le rock, le blues, le jazz. On s’est tous laissé  porter facilement par ces mélodies aériennes qui nous enveloppent sans mièvrerie, nous transportant dans différents univers musicaux, à la fois une invitation au voyage et une histoire presque cinématographique. Christophe Maroye se sert de sa guitare comme on se sert d’un stylo, ou d’une caméra avec des pleins et des déliés, des griffures et des caresses. C’est comme un roman qui se déroule, du Jack Kerouac sur la route, un bout de West Coast, un soupçon de Pink Floyd. Les impros fiévreuses et engagées du clavier, la pulsation inventive de la batterie, la solidité sans faille de la basse ont fait bien plus que soutenir son propos. Des musiciens tous attentifs et généreux.

Pour le public habitué au jazz, une bulle de nostalgie tonique et un délice croquant et doux.
Pour les résidents, fragiles dans leur capacité d’attention et de résistance, pas de signes d’ennui ni de lassitude. Enveloppés de la sollicitude des soignants, de l’amour tendre de leurs proches, des sourires de tous et du flot caressant des notes, ce fut sans doute une parenthèse enchantée, un moment important, ancré dans leurs peaux et leurs sensations, une rupture avec la douleur, la peine ou le renoncement. Rien n’était flou et tout était en place.
Ce soir là, à Camblanes, pour tous, valides ou pas, loquaces ou silencieux, musiciens, amateurs ou découvreurs de sons, remplis de mémoire ou de brume, ce fut la vie tout simplement, forte et pleine, un rendez vous à renouveler sans aucun doute.

NB : Jazz360 organisera un concert du même type en partenariat avec Handi- Village le 14 septembre prochain.