Chroniques Marciennes 8 : Annie Robert, photos Thierry Dubuc
Marciac 8 Aout 2018
Afrique hier, aujourd’hui, demain
Comme disait une dame qui sortait du spectacle juste derrière moi : «Marciac ça devient n’importe quoi … C’était pas du jazz tout ça !!»
Ben non, c’était pas du jazz (quoique l’affirmation puisse rester en suspens) mais ce n’était pas grave car c’était l’Afrique, une des sources du jazz qui était à l’honneur, ses valeurs, sa culture, sa richesse, mais aussi ses multiples difficultés et ses douleurs. Lorsque Fatoumata Diawara arrive sur scène, on a l’impression de voir surgir devant soi en chair et en os la belle sorcière de Kirikou, même allure de tanagra, même beauté svelte de déesse, cette bonne sorcière devenue terrible par ce qu’une épine s’était plantée dans son talon et la rendait folle de douleur. L’Afrique est peut être à cette image, remplie de douleurs et d’épines qu’il faudrait extirper.
La musique qu’elle nous propose est faite pour cela : extraire, tirer vers le haut et interpeller, une musique militante, une musique de combat qu’elle développe aussi sur sa guitare électrique. Elle ne s’encombre pas de fioritures inutiles même si les quatre musiciens qui l’accompagnent sont à la hauteur et si la partition est prenante. Yacouba Koné à la guitare, Arecio Smith aux claviers, Sekou Bah à la basse et JB Gbadae à la batterie vont nous offrir quelques beaux solos durant tout le concert, avec force et qualité.
La voix de mélopée de Fatoumata Diawara, très timbrée, puissante, inspirée, portée par le rythme et une pulsation sanguine continue, un flux qui cogne dans les veines, réinvente le chant africain de façon très moderne. L’utilisation de boucles, de saturations sur les instruments, les échanges entre musiciens, le traitement rock des arrangements, sur une base de sonorités africaines, rendent le set percutant, et électrique. Il va le devenir de plus en plus, s’engager dans une crescendo, tirer vers la transe. Ce n’est pas une musique de récit, de nostalgie, mais une musique d’interpellation, spectaculaire dans son énergie, démonstrative dans sa plainte et sa chaleur et le chant crié, jeté, lancé, roulé, parlé s’envoie au ciel comme un poing levé, comme une offrande ou comme un excès de rage. Ni rondeurs, ni facilités. Les épines d’acacias nous transpercent les talons. On en prend plein les yeux, plein les oreilles et plein le cœur. De plus en plus haut, de plus en plus dansé. Et lorsqu’elle retirera sa coiffe africaine, ses longues nattes colorées, serties de coquillages vont se mettre à voltiger et emporter avec elles tout le chapiteau dans une joie contagieuse. Elle danse alors comme on se perd, comme on se retrouve à soi et aux autres, comme on partage la joie et la colère. La transe devient de plus en plus forte, le chant de plus en plus interpellant et incroyablement moderne.
Fatoumata Diawara héritière non nostalgique mais brûlante, nous démontre que l’Afrique n’est ni perdue dans son passé, ni rongée en totalité par son présent mais projetée dans la modernité et le futur, pour un combat de liberté et de lien. Voilà une femme forte, une puissante voix, à la fois libérée et respectueuse, ce que j’ai vu de plus original en matière de chant africain depuis pas mal de temps. Indispensable pour porter la voix moderne de l’Afrique.
L’ambassadrice est une sorcièèèère !!
En deuxième partie voici las Maravillas de Mali …
enfin du moins la reconstruction de cette formation. Créée en 1964, à la suite d’un échange entre des étudiants musiciens maliens tout justes sortis de la colonisation et des artistes de la Cuba de Fidel Castro, elle avait disparu ensuite lors des multiples soubresauts de l’Afrique. Un pan d’histoire de cette musique qui ne ressemble à aucune autre était née avec cette formation, un pont véritable entre les deux continents et qui a influencé de nombreux artistes actuels.
Menée par Boncana Maïga (direction et chant) seul rescapé de la formation d’origine, la voila qui renaît de ses cendres. Les partitions d’origine ont été ressorties, réaménagées pour dix instrumentistes, et quatre voix harmonisées dont celle bien connue de Mory Kanté en invité de choix. Un big band caraibo-malien orchestré, cadré avec relances, renvois, solos et passages de rythmes.
Entre «Afrique, mon Afrique» nostalgique tango en langue espagnole, «Mamousso» une ode aux grands mères et à leur sagesse en bambara, et le fameux «Rendez vous chez Fatimata» c’est à un florilège de musique afro-cubaine propice à la danse, qu’ils nous invitent. Changements de tempos, pianiste qui fait sambader ses doigts (Pepe Riviero), trilles de flûte endiablée (David Reicer), solides percussions (Abraham Mansfaroll / Inor Sotolongo), échanges chantés avec la salle, pas moyen d’échapper à l’envie de tortiller des hanches et de frapper des mains, de relancer «la clave» avec chaleur.
Parfois cela sent un peu la poussière, l’impression d’une musique sous cloche, assez datée (il faut dire qu’en 60 ans, la musique afro-cubaine a évoluée …) Mais cela reste sympathique, joyeux, dansant et les jeunes et les moins jeunes qui envahissent les allées ont bien senti l’appel de la danse et le plaisir du rythme.
Rumba, rumba quand tu nous plais !! Afrique Afrique quand tu nous tiens !!
Et si c’était pas du jazz.. on s’en fout !!