Chroniques Marciennes 7 : Annie Robert
Photo de une : programme JIM
Astrada de Marciac 6 Aout 2018
Soirée en trios
C’est à une soirée trio – basse/ batterie/ piano – que nous convie ce soir l’Astrada de Marciac, à l’écoute de deux formations de structures identiques mais d’approches différentes.
Et c’est le trio de Macha Gahribian qui se jette en premier dans cette arène accueillante et ouverte qui lui tend les bras.
Elle vient défendre son nouvel album «Trans extended», un album intime, plutôt soyeux en tous cas, où les apports personnels de cette arménienne d’origine, parisienne de cœur, new-yorkaise d’adoption sont légions.
Autour d’elle au piano et au chant, le batteur Dré Pallemaerts dont on ne présente plus la mèche blonde et le jeu actif et subtil et le contrebassiste Nicolas Moreau simple et épuré, discret comme une primevère.
Les deux premiers morceaux rapides et vifs, toniques, sont structurés sur des répétitions de thèmes, avec transpositions sur le Rhodes, très centrés sur la pulse. On va s’apercevoir que la plupart des morceaux sont d’entame classique et romantique que l’excellente section rythmique va soutenir et tirer vers le jazz et que Macha Gahribian mènera par la voix et les mots aux confins de l’Arménie sans tomber dans une fusion world/ jazz déjà largement entendue. L’incursion vers l’Orient soit en solo piano pour une belle chanson d’amour issue du folklore familial, soit à trois, donnera de l’épaisseur au set et une envolée poétique alimentée par une voix chaude et des mélopées lancinantes. C’est un concert qui oscille entre rose et citron, poésie et groove pop, orient et occident, romantisme et jazz, joie claquante et mélancolie. Un joli voyage vers soi même.
Il m’a manqué cependant quelques brassages pour que la «tourniquette à vinaigrette» comme disait Boris Vian fasse monter l’émulsion de façon complète: des thèmes mélodiques plus inspirés et plus denses, une place véritable laissée à ses compagnons de jeux (la contrebasse en particulier est sous employée) et une variété des compositions et des approches ( les finales sont souvent identiques) à explorer encore davantage me semble t il.
Cependant,le cocktail est fort intéressant, l’engagement entier, la sincérité frappante et le sourire à décroisser la lune.
En deuxième partie Baptiste Trotignon trio pour un retour vers le passé, un flash-back de rêve. Il retrouve en effet ce soir, pour nous spécialement ( c’est dire si on a de la chance !!!) les deux acolytes avec lesquels il a sorti son premier disque en 2000.
On sait que Baptiste Trotignon a le goût des rencontres, il peut promener son piano dans tous les styles, de la musique des Antilles à celle de l’Argentine, en passant par la composition classique, la création pour le cinéma et autres douces chansons. Curieux de tout et sans a priori, il aime s’enrichir visiblement des collaborations et des passages entre les cultures et les lieux. Il semble continuer à se bâtir en permanence sans se reposer sur ses lauriers ( pourtant nombreux). Et puis de temps en temps comme ce soir, il se replonge avec délectation dans ce que le jazz a de plus «classique», une source d’eau claire qui l’irrigue en sous sol. Son jeu inventif, d’une grande liberté, capte rapidement l’auditoire. On détache difficilement les yeux du travail de ses mains sur le clavier et du regard attentif qu’il porte à ses partenaires de jeu. Le schéma est bien connu ( exposition, solos, reprise du thème, relance à 4 temps etc.. ) dans la grande tradition de l’impro et de l’écoute partagée. Mais on ne va pas s’en plaindre tellement la complicité entre les trois musiciens est grande, subtile et leur travail d’une variété infinie. Pas une redite dans la structure, pas un moment où ils baisseront la garde par facilité: la mélodie lancée conjointement par la contrebasse et le piano… miam.. la ballade coulante comme un nœud de soie… hum..les solos suffisamment longs pour l’expression de chacun mais pas trop pour garder la cohésion, la couleur du groupe….ouhhh…
Des compositions personnelles dont le très beau « La mer à boire » mélodiquement plus qu’intéressant mais aussi des reprises alimentent le set.
Tony Rabeson à la batterie est remarquable à la fois de tonicité, mais aussi de délicatesse souriante. Et que dire de Clovis Nicolas à la contrebasse sinon qu’il est parfait et que son instrument chante comme la lyre d’Orphée. Ces trois là ont tellement assimilé la musique, les musiques, que leur échanges semblent faciles et évidents. On a le sentiment d’un fluide palpable entre eux, de petits filaments neuronaux qui passent à toute vitesse de l’un à l’autre. Ils ont bâtis, heures de travail après heures de travail, notes après notes, rencontres après découvertes une culture musicale puissante et complice qu’ils nous offrent en partage ce soir. On la déguste, on s’en délecte. Pas du moléculaire, ni de la brasserie de gare mais de la grande cuisine où le produit est roi, le traitement délicat et les saveurs nombreuses.
C’est dire si on en a eu de la chance!!