Texte et photos Philippe Desmond.
Marciac, lundi 6 août 2018
Qui dit festival dit maintenant « in » et « off » termes anglais séparant avec sécheresse l’officiel du reste. Aspect un peu péjoratif du second à peine atténué par l’usage récent d’un autre mot, le « bis ». Et pourtant que de belles choses se passent souvent dans ce cadre ! Action Jazz est présent à Marciac pendant les trois semaines et vous propose régulièrement ses chroniques de concert du « in » dans cet immense chapiteau blanc installé sur le terrain de rugby ou encore à l’Astrada. Mais ce lundi et ce mardi AJ a envoyé un correspondant, ma pomme, pour couvrir le « bis » car certaines affiches sont bordelaises, des Néo Aquitains en Occitanie l’occasion était trop belle.
Ce lundi matin, quand après avoir roulé un bon moment dans le brouillard landais, j’arrive à Marciac on sent que la journée va être chaude, météorologiquement parlant, pas une surprise car les médias nous annoncent des records et nous inondent de messages infantilisants nous demandant de boire et de rester à l’ombre…
Halte au camping du lac où j’arrive à mendier quelques m² pour ma tente 2 secondes (à ouvrir, 2 jours à fermer…) et départ à vélo vers le vélum de la bastide toute proche.
Dom Imonk notre chroniqueur m’y rejoint, bénévole à Marciac où il est chauffeur – je le soupçonne de venir chaque année non pas pour le jazz mais pour tester la gamme BMW et Mini – c’est son jour de repos il est off lui aussi : on va pouvoir passer la journée ensemble à refaire le jazz et le reste et à s’hydrater le gosier.
C’est sous cette tente très esthétique que se déroule le « bis » officiel – car il y a un off officieux – et en fin de matinée c’est le trio de Roger « Kemp » Biwandu qui occupe la scène. Quel plaisir de le retrouver sur cette belle scène pour y proposer son dernier album « Three » . Roger joue beaucoup mais sur ce propre projet c’est somme toute assez rare. Ils étaient ici-même hier puis à la Péniche ; quatre concerts à Marciac, joli coup quand on connaît la difficulté pour jouer ici…
Comme sur l’album Irving Acao le saxophoniste cubain est là mais c’est Nolwenn Leizour qui remplace Jérôme Regard à la contrebasse et question regard on ne perd pas au change ; musicalement non plus évidemment. Les invités seront les mêmes aussi, Christophe Cravero au piano et Tutu Puoane au chant.
Cet album « Three » chroniqué l’an passé dans la Gazette est très percutant et c’est en public, comme souvent, qu’il prend toute sa valeur. Album de batteur évoquant ses collègues dans plusieurs titres, Vinnie, Tains, Fish, album de rugbyman rendant hommage à Florian Fritz. Un jazz tonique, tellement moderne, alternant prises de risques et une certaine tradition comme les roulements m’évoquant Art Blakey.
Comme au rugby offensif qui lui est cher, Roger propose dans ses compositions des attaques, des débordements, des esquives. Sa batterie est très en avant, sur scène et musicalement et on ne va pas s’en plaindre. Il en joue avec créativité, énergie, finesse mais ça on le sait depuis longtemps, il fait partie des meilleurs. Il est quasiment soliste, la rythmique pure étant assurée par Nolwenn Leizour. Grosse performance comme dans « A Train Named Fish » où la contrebasse est fondamentale, le train déboulant à vive allure avec les roulements de Roger. Lui et Nolwenn jouent très souvent ensemble et ça se sent, ça fonctionne tellement bien.
L’autre soliste, au sax est un tueur ! Le volubile Irving Acao au ténor en tire tout ce qui est possible en extrayant des aigus de soprano et des graves de baryton ; provocateur il est souvent sur le fil du rasoir comme un rugbyman à la limite du hors jeu. Quelle générosité ! Une biguine avec punch et tonic, un peu de quiétude pour une « Ballade à vélo avec Huyên » et l’arrivée de Christophe Cravero au piano.
Quel beau musicien lui aussi – Roger s’entoure toujours très bien – qui nous offre son titre « Elegant Elephant » et son merveilleux toucher. Voilà ensuite le chanteuse Tutu Puoane, à cinq le trio est enfin au complet. La sud africaine est une perle, magnifique voix, nuancée aux discrets tremolos, elle chante dans sa langue et en anglais bien sûr, scatte avec légèreté. Cadeau, elle fait deux titres de plus que dans l’album en supplément du « Black or White » de Michael Jackson, bien sûr repris ici à la grande joie du public qui retrouve un repère.
Tiens parlons du public, malgré la chaleur intense sous le vélum il est là et il reste , il découvre, il approuve, belle tribune que ce « off » ; et croyez moi il faut du courage pour ne pas aller se terrer dans une ombre plus profonde que celle de cette toile blanche tendue sur nos têtes, c’est donc très bon signe. Sur scène les musiciens aussi sont accablés par la chaleur mais seule Tutu peut utiliser un éventail, tout en chantant.
Bravo à tous les cinq, allez vous reposer vous rejouez à la Péniche à 17h15 il fera peut-être encore plus chaud !
Comme pour chaque concert, un peintre a immortalisé la scène. Un travail remarquable.
Un petit rosé du coin en grignotant du jambon de magret et des toasts de foie gras, bel endroit aussi pour ça… Un petit tour à la salle wifi de l’office de tourisme car question réseau par contre Marciac n’est pas au top, les octets ne swinguent pas beaucoup eux !
Et retour sur la place avec le trio « Three Blind Mice » de Sébastien Girardot (cb), Malo Mazurié (tr) et Félix Hunot (g) qui a invité Aurélie Tropez la clarinettiste. Jazz tradi des années 20, 30, le son vraiment dans l’esprit, des standards originaux, malheureusement devant un maigre public le thermomètre affichant maintenant 41°sous le vélum !
Comme on ne sait plus où se mettre, une halte pour se rafraîchir…dans la très belle église où certains font la sieste sur les bancs. Allez un petit effort et d’un coup de vélo direction la Péniche à l’extérieur de la bastide où le trio à cinq de Roger Biwandu joue au bord du lac. C’est toujours aussi énergique malgré la fournaise.
Retour sur la place écouter le Ton Ton Salut Jazz Unit quintet, mélange réussi, autour du batteur chevronné, de musiciens confirmés et de jeunes loups toulousains. Les pauvres souffrent aussi !
Un tour à Bulles de Jazz, un bar qui ne sert quasiment que des bulles, de champagne ou d’eau où de jeunes toulousains font le bœuf.
Pique nique dans un parc avec nos amis photographes d’AJ en mission ici,Thierry Dubuc, Fatiha Berrak et aussi une des références en la matière Didier Jallais. Allez voir leurs sites ou leurs pages FB. Un moment sympathique illustré musicalement par trois jeunes, deux jumeaux de 11 ans au saxophone et à l’euphonium (un tuba) et un copain au cornet à piston. Ils répètent et demain seront dans la rue à faire la manche, c’est ça aussi Marciac ! D’autres jeunes en sextet jouent des standards d’Herbie ou Miles, premiers pas en public.
Mais c’est l’heure d’aller au chapiteau. Ce soir Eric Truffaz quartet avec en invité Guillaume Perret. Une musique réjouissante, gaie, énergique, moderne à partir de son disque de 1999 « Bending New Corners ». Élégance toujours, mais surprise le chapiteau qui finit pas se lever pour danser malgré la chaleur, insolite avec Truffaz plus feutré d’habitude ! En deuxième partie un quartet prévu à l’origine pour jouer avec Didier Lockwood à qui sera rendu hommage dans le répertoire : Mike Stern, miraculeusement remis de son accident lui ayant cassé bras et mains l’an dernier – sa main droite en garde de graves séquelles, il ne peut que pincer le médiator avec – Richard Bona, Manu Katché et Niels Lan Doky. Rappels en folie, enfin, mais au final le chapiteau ce n’est pas ce que je préfère, trop grand, trop agité et ce soir trop chaud !
En repartant, un passage à la jam de l’Entracte où notre ami Curtis Efoua, aux baguettes, éclabousse tout comme d’habitude, puis retour à vélo vers mon minuscule palais de tissu. Il est 1h30 du matin, depuis 11h30 j’ai ma dose.
Demain ça recommence sur la place avec des Bordelais, très nombreux même, on en parle dans la prochaine chronique.
A suivre….