Capbreton Jazz Festival 2022 – jours 3 et 4

par Philippe Desmond

Samedi 9 juillet 2022

La ville de Capbreton mitoyenne d’Hossegor est elle aussi réputée pour ses vagues crées par la dépression marine qu’est le Gouf, une faille abyssale qui commence pas très loin au large de la station. C’est sans doute ce qui a prévalu pour le choix du jumelage avec la ville de Nazaré au Portugal dont la vague gigantesque est mondialement connue des surfeurs et même du grand public. Depuis l’an dernier ce jumelage est musical, Adelino Mota directeur du Conservatoire de la ville et de plusieurs festivals de jazz au Portugal était venu avec le big band qu’il dirige impressionnant l’assistance par la qualité de sa formation. Il revient cette fois avec le Dixie Naza Jazz Band  de sept musiciens qui va déambuler dans les rues, au marché pour ensuite animer le pique-nique au jardin public. Le jazz, langage universel de l’Amérique à la France passe donc aussi par le Portugal. Formation classique impeccable dans le style, séduisant le public de non spécialistes (et eux aussi) pour qui le jazz s’arrête souvent aux années trente. L’association locale le Circus se charge d’alimenter les ventres le Brass Band s’occupant lui des oreilles . On remarque même quelques danseurs de charleston.

Déambulation au marché de Capbreton

Mais tout le monde attend la soirée avec impatience. Au programme rien moins que le tout récent gagnant de la Victoire du Jazz 2022, catégorie « Révélation », le batteur Arnaud Dolmen venu en quartet.

Mais le grand public a lui remarqué une autre attraction « Ali Baba et les 40 batteurs, version de poche ». C’est quoi cette affaire ? Un spectacle musical et théâtral de l’ « Agostini Drumming Club » mais on va y revenir.

Bernard Labat n’est donc pas peu fier de son coup, la venue d’Arnaud Dolmen auréolé de son succès aux Victoires du Jazz, ce qu’il ignorait à la signature du contrat. Déjà émoustillé par la nomination, il a la semaine dernière, sauté de joie à l’annonce du palmarès. Quartet original sans piano – d’ailleurs où l’aurait-on mis, la scène étant envahie de batteries, ne laissant que le rectangle d’un tapis à nos quatre musiciens – mais avec deux sax et ténors qui plus est. Arnaud Dolmen a bâti son répertoire sur les rythmes complexes de son pays, la Guadeloupe. Cela donne une musique originale, très riche où le jeu chaud et tendu de la contrebasse de Samuel F’hima associé au groove polyrythmique d’Arnaud permet une liberté aux deux soufflants. Ricardo Izquierdo et Francesco Geminiani, loin d’être en concurrence, dialoguent se complètent, se relaient pour des chorus flamboyants. Un jazz à la fois moderne et ancré dans les traditions antillaises, ces danses à la métrique insolite, si difficiles à maîtriser. Alors bien sûr, noyés dans les vivas du public, on va entendre râler certains, les mêmes qui se pâmaient devant le brass band du matin. Eternelle querelle alors que le jazz est tellement pluriel ! Belle découverte que ce quartet qu’on peut retrouver dans l’album « Adjusting ».

Mais place à la curiosité du soir, une découverte pour moi alors que cette formation existe depuis 14 ans et a joué dans des lieux prestigieux. Elle débute par une entrée des musiciens fendant la foule tout de blanc vêtus, petit gilet compris. Pour cette soirée ils ne sont « que » 29, jauge quasi maximum pour cette scène qui a tout de même dû recevoir des extensions dans la journée. Un pari de Daniel Dumoulin le chef d’orchestre de ce projet, lui-même capbretonnais et jusqu’à cette année professeur à l’école Agostini de Toulouse ; c’est lui qui a appris à jouer à… Arnaud Dolmen (qui viendra un moment faire le trentième) et facilité sa venue au festival. Un pari car la partition musicale et les arrangements – et oui certains ce soir vont découvrir que la batterie est un instrument de musique – sont très précis et les dix batteurs en moins obligent à certaines adaptations. Et l’effet produit par cet élevage en batteries, oserais-je dire, est manifeste très loin des tambour du Bronx par exemple. Ici il y a la place aussi pour les nuances, un « atelier » de caisses claires, des chorégraphies, des « disputes » autour d’un tom, des claquements de baguettes et aussi un comédien à l’humour bien perché et décalé. Pas sûr que cet humour très second degré, voire même au delà, ait atteint toutes ses cibles, personnellement je l’ai trouvé excellent. Le tout donne un spectacle extraordinaire, insensé, toute cette énergie, cette maîtrise, cette précision sont remarquables. Bravo de cette audace Daniel Dumoulin ! Et réel succès avec 1500 personnes sur le site ce soir !

Dimanche 10 juillet 2022

Les musiciens du Dixie Naza Jazz Band sont allés à la rencontre du public, sur le front de mer, avec ce temps c’est là que ça se passe en ce dimanche midi.

Soirée de clôture, déjà, au jardin public. Apéro animé par le Mondeo’s Organ Trio où je retrouve un ancien lauréat du tremplin Action Jazz, l’organiste Julien Bouyssou. Ils ont monté ce trio pour tourner l’été autour de musiques de jazz accrocheuses comme le « Alligator Bogaloo » de Lou Donaldson ou l’univers de Jimmy Smith et ça marche !

Premier concert du soir avec le trio du grand pianiste Philippe Duchemin qui invite Timothée Isnard un jeune guitariste chanteur, une excellente idée ! Avec la joviale contrebassiste Patricia Lebeugle qui chante chaque note jouée, Antoine Gastinel appelé au dernier moment pour remplacer Jean-Pierre Derouard – souffrant, rattrapé par vous devinez quoi – ils vont mettre en valeur ce jeune musicien plein de talent. Avec un répertoire varié allant de Sinatra à Stevie Wonder en passant par Bireli Lagrène, la composition de Philippe Duchemin « Take Bach » en hommage à Jean-Sébastien ou le « Dansez sur moi » de Claude, Timothée va nous montrer l’étendue de son talent vocal et instrumental avec déjà une belle présence scénique. En parfaite entente le guitariste et le pianiste qui visiblement se régale, vont nous proposer quelques dialogues improvisés de belle tenue. Les deux de générations bien différentes, s’entendent parfaitement ayant même étiré le concert au delà des limites horaires, ne permettant pas de faire le rappel réclamé. Merci à Philippe Duchemin de faire profiter des jeunes de sa notoriété, comme il l’a déjà fait avec Lucienne Renaudin-Vary et ainsi de nous faire découvrir la relève. Un très très bon moment.

C’est le moment du concert final avec comme d’habitude une programmation festive, aujourd’hui Ah Kwantou, un groupe régional mené par le guitariste chanteur ghanéen Kyekyeku qui réside tout près d’ici. Afro beat, rythmes caribéens, des pointes de reggae et de latino, tout pour enflammer le paisible public qui va enfin finir par se lâcher et danser. Rythmique folle, cuivres en feu, cocottes de guitare autant de fusées pour le feu d’artifice final de cette très belle édition 2022.

Il reste à nouveau à remercier toute l’organisation du festival pour ce magnifique travail collectif auquel nous avons été aimablement associés. On reviendra !

Galerie photos : 

Daniel Dumoulin initie le public à la batterie sur le front de mer

Mise en place épique des batteurs :

Arnaud Dolmen quartet :

Ali Baba et les 30 batteurs

Philippe Dumoulin trio