par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

Anglet Jazz festival, jeudi 16 septembre 2021.

C’est la quatorzième édition du festival de jazz d’Anglet , Jazz sur l’Herbe à ses débuts, la journée traditionnelle de concerts en plein air ayant été gardée le dimanche dans le magnifique parc des écuries de Baroja… quand la météo ne fait pas des siennes. Le reste se passe dans le très beau et moderne théâtre du Quintaou.

Programme particulièrement riche concocté par Marc Tambourindéguy (quel joli nom pour un musicien) et donc l’espoir pour son équipe d’organisation de l’association Arcad dirigée par Agnès Zimmermann d’une bonne affluence en ces temps quelque peu complexes pour le monde du spectacle. Ils seront ce soir vite rassurés.

Pierre de Bethmann trio

Au trio du pianiste Pierre de Bethmann d’ouvrir cette édition. Avec Sylvain Romano à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie, ils ont déjà enregistré quatre albums dans lesquels ils revisitent des standards et bien au-delà, du jazz de Broadway à Brassens en passant par le Chant des Partisans ou le Pull Marine de Gainsbourg. Le trio plus que rodé, est donc en parfaite osmose. On va vite s’en rendre compte sur le premier thème, « Think of one » de Thelonious Monk décortiqué à loisir. Quel plaisir de retrouver le jeu de Pierre de Bethmann, cette délicatesse foisonnante, cette complexité accessible, ces accords osés et sublimes. Ce thème et les suivants, il va les tordre, les étirer (5 titres seulement en près d’une heure trente) il a visiblement une soif de jouer, une joie profonde, retrouvant lui aussi la scène après tant de mois. A la contrebasse Sylvain Romano est exceptionnel, ses chorus mélodieux sont captivants, souvent pas chose facile avec cet instrument, un son rond, profond pas de ferraillage de cordes, un régal. L’explosivité teintée de finesse de Tony Rabeson, à l’écoute des surprises improvisées de son leader, réagissant, anticipant, est, elle aussi remarquable. Que ce trio est sublime de cohésion, d’écoute. Un titre du brésilien Ivan Lins se fondra dans une adaptation délicate de « Forlane » de Ravel , une fin qui n’arrive jamais alors qu’on la croit proche, un moment d’éternité tellement émouvant. « Beautiful Love » un grand standard dans une version d’un autre monde, puis en rappel fortement réclamé « I can’t help it » écrit par Stevie Wonder pour Michael Jackson. Diversité et beauté permanente. Que la santé de Pierre de Bethmann le laisse en paix pour vite retrouver ce trio prodigieux.

 

Nguyên Lê invite Leïla Martial

Nguyên Lê et sa guitare TAO du luthier Julien Gendre, un modèle unique.

Forte attente aussi pour la deuxième partie avec le « Streams Quartet » de Nguyên Lê d’autant que l’inclassable Leïla Martial est son invitée. On sera comblé. Le grand guitariste toujours aussi élégant partage la scène avec Illya Amar au vibraphone (il le connaît depuis que ce dernier avait trois ans) le Canadien Chris Jennings à la contrebasse et un batteur mexicain que nous découvrons, Israël Varela qui remplace quasiment au pied levé John Hadfield. « Streams » c’est avant tout un album sorti chez ACT, des compositions qu ramènent Nguyên Lê vers le jazz après des incursions vers notamment la musique de Jimi Hendrix et de Pink Floyd. Leïla Martial n’y figure pas, elle est arrivée là suite à une « commande » de France Musique pour un concert de confinement et aussitôt le miracle s’est produit. Sur cette musique déjà tellement riche et originale elle ajoute ce grain de folie, ces vocalises, ces bruitages de cette voix à la tessiture élastique. Le projet originel où devant une rythmique percutante guitare et vibraphone dans un équipage insolite dialoguent trouve ainsi une force supplémentaire. Que dire des unissons, guitare, vibra, voix sinon qu’ils sont d’un autre monde, d’un autre univers même. Un set passionné, passionnant. Quel guitariste que Nguyên Lê , trop rare à mon avis, ces réminiscences de rock progressif comme Soft Machine, de jazz rock comme le Lifetime de Tony Williams avec le regretté Allan Holdsworth. Certains évoquent  même Yes, d’autres Magma… Elégance, virtuosité, énergie tout est là, sans démonstration mais avec émotion, des climats aériens aux passages quasiment hard rock. Confirmation du talent et de la verve rythmique de Chris Jennings, de la pureté du jeu aux mailloches d’Illya Amar et révélation de ce batteur dynamitero (cliché) exceptionnel surtout pour son premier concert avec le groupe ; et tellement amusant de le voir s’extasier devant les interventions de Leïla Martial que visiblement il découvre. Je le comprends, la connaissant pourtant déjà, je me fais surprendre à chaque fois. Ovation d’un public médusé de bonheur.

Leïla Martial soufflant dans ses petits flacons

Et dire qu’il reste encore trois jours à souffrir ainsi !

 

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