par Annie Robert
photos: Fabien Maigrat et de Patrick Peyroutet.
Festival Jazz à Oloron / 29 juin 2018 / Salle Jelliote
On avait le souvenir bien présent de Sandra Nkaké en princesse de la soul, flirtant avec le funk, d’une générosité éclatante, dansante et secouée, à travers ses deux premiers albums. Une tornade explosive, avec un engagement total qui pouvait communiquer toute sa fougue à une salle entière. Ces concerts ne s’oubliaient pas comme ça! On en ressortait bien revivifié, heureux et chamboulé, prêt à dévorer la vie à belles dents. Sandra en passeuse de vie, dans une empathie chronique…
Ce troisième opus qu’elle nous offre dans le concert de ce soir, nous la révèle à la fois identique, l’énergie est toujours là, le plaisir de la scène aussi et pourtant un peu différente…
On ne lui fera pas l’offense de dire les banalités d’usage, que c’est l’album de la maturité, qu’il est plus intellectuel, plus solaire ou plus tellurique, plus onirique ou plus fragile ou plus sage. Il est autre tout simplement et nous invite à découvrir une facette nouvelle de l’artiste, quelques confidences plus intimes, une certaine tendresse peut être… pour elle même et pour les autres. De la fêlure certainement.
La constante c’est la voix, bien sûr: une voix grave, ample, en pleine majesté avec un tout petit voile qui la rend si reconnaissable. Elle en fait ce qu’elle veut: elle percute, soupire, joue, s’éteint doucement, piaille, hurle ou caresse, nous attrape par le bout du pied et le creux du ventre. Et puis il y a son sens incroyable du rythme, et cette facilité avec laquelle elle peut passer du chant plein, au souffle, au cri et au rire.
Le concert démarre avec un son simple de flûte, très épuré, dans un faisceau blanc de lumière dévoilant en contre jour, une tanagra radieuse… très vite on comprend que l’on va voyager de l’aube ( le 1° morceau ) jusqu’au soir où se lèvera la lune rousse ( presque pour de vrai!) en passant par de multiples étapes: la rébellion, la sagesse,
la tendresse délicate ( un duo voix/ flûte magnifique), la poésie ( bonjour Arthur Rimbaud et son dormeur du val) et le combat, qui vont soutenir et nourrir les différents morceaux.
Le chant se fera en réponse parfois au sien, en forme de quatuor vocal, pour souligner les mélodies. Implorant, priant, ou tonitruant, couplé de rock ou de prière soul. Des harmonies vocales piquées de plénitude.
L’orange sanguine du costume est à l’image du propos: ronde, solaire, attrayante et sucrée, mais amère aussi mettant la bouche en transe. Elle dessoiffe mais laisse la salive plus rare. Elle rayonne mais pleure aussi des perles de sang.
Sandra Nkaké a choisit une enveloppe musicale pop/folk, voire protest-song, enrobée de rock, laissant un peu de côté ses influences jazz. Pas d’impros d’ailleurs, (sauf Jî Drû à la flûte qui peut se permettre d’être parfois minimaliste, parfois aussi volubile qu’un oiseau. )
Le concert est un cadre tiré au cordeau, avec une démarche bien spécifique sans doute et rien n’est laissé au hasard. La lumière est travaillée de belle manière, le son est efficace, sans fioritures excessives. Tatiana Paris , à la guitare est centrée sur des effets prolongés d’accords, Mathilda Haynes à la basse et Matthieu Penot à la batterie tiennent un tempo dispensant un rythme cardiaque qui, parfois, s’emballe et s’électrise.
Ce côté sans filtre, un peu brut musicalement est sûrement une volonté de l’artiste dans un souci d’authenticité. J’avoue que moi, il m’ a parfois déconcertée, voire dérangée. A certains moments, j’ai rêvé de d’avantage de risques instrumentaux, d’un peu plus de grain et d’épaisseur pour accompagner cette voix grandiose et ce propos ambitieux de délivrance et de combat. Mais ce fut un beau moment de partage, une vraie communion que ce concert sincère, engagé, puissant.
Il se terminera dans le décor et l’atmosphère très psychédéliques de «Lune rousse», terme provisoire du voyage, qui permet enfin de dire: «Je suis libre, nous sommes libres» invitant donc à repenser le monde, «à panser les blessures de l’immonde.» devant un public debout et ému.
Sandra Nkaké n’a pas fini de nous étonner, le chemin est vaste et elle sait marcher!!!
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