Andernos Jazz Festival 2023 #2
Texte Philippe Desmond et Martine Omiécinski (soirée) , photos Philippe Marzat.
Samedi 29 juillet
Mouvements Infinis
Action Jazz est partenaire du festival et en cela un des lauréats du Tremplin Nouveaux Talents est invité chaque année. C’est Mouvements Infinis qui avait tapé dans l’oreille d’Eric Coignat. Les voilà en cette fin de matinée sur la scène de la jetée à un horaire inhabituel pour eux, sous un grand et très chaud soleil qui repousse le public à l’ombre du pin immense qui trône sur l’esplanade. Jérôme Masco (sax), Frédéric Renoux (claviers) et Valentin Poulet (batterie mixte) vont ainsi faire découvrir leurs compositions originales, une musique très écrite pour un discours engagé en phase avec le monde difficile que nous vivons. Trois excellents musiciens en interaction parfaite pour un set assez grave aux montées énergiques puissantes, aux ostinatos enivrants. Je retiendrai ce beau titre venu de l’univers de Philip Glass et soulignerai l’audacieux choix de ce trio de proposer une musique personnelle profonde et sincère.
Félix Robin et un hommage à Milt Jackson
Félix Robin est lui aussi un lauréat du Tremplin Action Jazz, c’était avec Capucine pour des créations originales. Mais Félix connaît aussi l’histoire du jazz et de son instrument de prédilection, le vibraphone. Il a ainsi monté un quintet autour de la musique de Milt Jackson, un des maîtres de l’instrument et un personnage majeur du jazz des années 50 avec le Modern Jazz Quartet. « Bags », surnom donné pour ses poches sous les yeux dues à un mode de vie assez détonnant, a ainsi animé le jazz be-bop de son swing : « Tout le monde veut savoir d’où vient mon style et bien il vient de l’église » déclarait-il. C’est donc à l’heure de l’apéro du soir que le quintet se lance sur la scène de la jetée : Félix au vibraphone donc, Aniel Someillan le cubain à la contrebasse, Valentin Pommeray le prof du CNR de Bordeaux remarquable au piano, le saxophoniste polonais Dawid Toklowic souvent vu au Quartier Libre et un « ancien » à la batterie l’excellent Didier Ottaviani qui m’avouera s’être bien amusé. Nous aussi. Quoi de mieux en jazz pour un vibraphoniste que de jouer du Milt Jackson, cette liberté d’improvisation que cette musique suscite, cette mise en valeur de cet instrument si particulier que maîtrise Félix Robin ? Un set éblouissant de dynamisme évoquant le MJQ mais aussi les collaborations de Milt avec Cannonball Adderley (Things are getting better) , Sonny Rollins (No Moe). A noter l’excellente présentation tout le long du concert de Félix, naturelle et teintée d’humour ; et pourtant bloqués sur la rocade bordelaise en ce week-end de chassés croisés ils n’avaient pas eu le temps de faire les balances ou très peu ! Premier concert de ce quintet qui mérite vraiment de tourner, le public l’a bien compris obtenant un rappel alors que la soirée au jardin Louis David allait commencer et nous obliger à courir pour ne rien rater ! On a même sauté le repas… et le concert de Tiger Rose sur la place du 14 juillet.
Soirée du 29 juillet 2023 – Jardin Louis David
Chroniques de Martine Omiécinski
Eric COIGNAT et son équipe ont sélectionné ce soir, pour notre plus grand plaisir, deux atmosphères totalement différentes et totalement passionnantes :
-Tout d’abord Paul LAY pour son projet « Bach’s Groove » puis Leïla DUCLOS et son jazz vocal ambiance manouche.
Paul Lay trio
Le pianiste Paul LAY (prononcer Laï) considère Jean-Sébastien BACH comme le père de la musique et le maître classique de la composition rythmique. Il lui rend ce soir un vibrant hommage entouré de 2 musiciens : un as du « groove » : le batteur Donald KONTOMANOU et le contrebassiste très demandé pour son swing Matyas SZANDAÏ. Quand trois passionnés de rythme et de belles mélodies s’associent, on imagine que le concert va être détonant et croyez-moi il va l’être !!!
Nous avons droit d’abord à deux relectures de préludes de BACH (N°21 et N°15), savant cocktail à la façon Paul LAY : assemblage subtil d’harmonies classiques sur une rythmique de feu ultra contemporaine : quel brio ! Nos trois compères, rodés à l’exercice mais terriblement spontanés aussi, échangent regards, sourires, se font des blagues musicales. La connivence étant facilitée par un ingénieux placement du piano, les trois échangent, le public voit et sent leur plaisir de jouer ensemble qu’ils nous transmettent inévitablement.
Puis « Bach Suite » d’Oscar PETERSON nous happe : d’abord un « andante » où se noue un « trilogue » (dialogue à trois dans mon jargon) parfait : le piano de Paul ruisselle, la contrebasse au son profond de Matyas nous régale, la batterie de Donald enrobe puis sur « l’allegro » la joie et le jeu éclatent, quelle énergie ! Quelle générosité !
La tendresse nous submerge sur « Blues for Anna », une composition de Paul dédiée à Anna Magdalena BACH, mention spéciale pour son solo de piano exigeant proposant une alternance « frappé/velouté » magnifique.
Le tube de JS BACH : « Que ma joie demeure » sera déconstruit, reconstruit, amené très loin par les trois compères dont beaucoup d’émotion amenée par Matyas et sa contrebasse…Pari osé, pari gagné, le public succombe !
Le rythme de feu de « Max Groove » (de Paul) fait valser le piano, swinguer encore davantage la batterie de Donald (oui c’est encore possible !), danser l’auditoire (même ceux qui sont assis !) ; un « dérapage » vivifiant emporte les trois en improvisations, Matyas à l’archet, Paul et Donald en free style…Réjouissant !
Le rappel sera aussi sautillant, volubile, libre, enthousiasmant ! Un grand merci à ces artistes pour ce moment magique !
Après un concert de cette qualité, où on est entré à fond, dont on voudrait garder les effluves longuement, on se demande comment on va bien pouvoir accueillir le plateau suivant !
Leïla Duclos et Steeve Laffont
Pour la deuxième partie, Leïla DUCLOS, repérée en concert off dans le sud l’an dernier par Eric COIGNAT présente son projet/album : « Fille du Feu ». Elle est au chant et à la guitare manouche, accompagnée par Léandro ACONCHA au piano, Jean-My TRUONG à la batterie, Gilles COQUARD à la basse et en invité spécial le guitariste de jazz manouche Steeve LAFFONT.
La « set list » de Leïla DUCLOS mêle ses propres compositions et des reprises subtilement choisies. Elle commence le concert par un de ses morceaux « Chronique tzigane » qui nous met illico dans l’ambiance manouche, on remarque tout de suite sa belle voix pleine, chaude comme sa robe rouge, la première impression est positive malgré une partie du public encore timide !
Mais Leïla est fine-mouche car en deuxième morceau elle vient nous cueillir avec « Caravan » (de Duke ELLINGTON) qu’elle scate à merveille, aidée de la maîtrise et du groove de ses musiciens (particulièrement Leandro ACONCHA au piano) elle emporte l’auditoire.
Deux autres compositions personnelles : « Mes couleurs d’été » et « Interaction » nous entraînent avec beaucoup de fougue dans son monde rythmé et coloré, elle y est vivement soutenue par la basse de Gilles et la batterie de Jean-My.
Vient une autre mélodie, en passe de devenir un grand standard si l’on en juge par les diverses reprises récentes (dont celle d’un de mes pianistes « chou-chou » – le cubain Rolando LUNA) : « La belle vie » composée et écrite par Sacha DISTEL. Le piano se fait suave et sensuel, la basse, le chant et le scat nous font vibrer.
Un autre standard où Léandro excelle sera aussi joliment proposé : « C’est si bon » immortalisé par Yves MONTAND.
Les deux morceaux suivants seront totalement dédiés à Django REINHARDT, le brillant guitariste Steeve LAFFONT rejoint Leïla sur scène pour ce voyage en jazz manouche, les accords de Steeve et la belle voix de Leïla sur « Les Yeux Noirs » : le public plébiscite !
Suivent 2 autres beaux morceaux composés par un autre guitariste de jazz manouche : Ninine GARCIA
Le choix du rappel (aussi judicieux que Caravan) n’est autre que « Spain » un incontournable que Chick Corea a composé en 1973 (50 ans déjà !!!), cet hommage à ce grand pianiste exécuté de mains et de voix de maîtres, chavire le public !
Chapeau les artistes ! Et oui, on a succombé deux fois ce soir à leur charme et à leur savoir-faire ! Quelle belle soirée !
A suivre…
Galerie photos de Philippe Marzat :
Mouvements Infinis
Félix Robin quintet
Paul Lay Trio
Leïla Duclos