Brad Mehldau en solo à J.I.M.
Chapiteau de Marciac, juillet 2023.
Par Annie Robert : photos interdites
Brad Mehldau est un habitué de Marciac. Il y a joué de nombreuses fois, en particulier en trio. Et chaque fois, ce fut l’occasion de moments uniques et particuliers.
Il n’a plus grand chose à prouver et chacun sait que ses concerts sont des occasions sensibles à ne pas rater.
Il faut dire que sa musique oscille constamment entre un sens aigu de l’improvisation, avec les mille merveilles inattendues qui peuvent surgir au détour d’un motif, et un amour profond pour les structures musicales construites et architecturées à la manière classique ou à celles des grands orchestres jazz. Cela donne une production bien singulière qu’il est un des seuls à maîtriser.
Il faut saupoudrer tout cela par un appétit pour les musiques de Cole Porter ou des Beatles en passant par Radiohead et nous avons une sorte de « chaos organisé » c’est le terme qui ressort chez ses nombreux amateurs, extrêmement séduisant, entre orientation et chemin de traverse. Brad Mehldau fait donc se rejoindre essence exploratoire du jazz, romantisme raffiné et attraits pop.
Pour cette soirée d’orage et de pluie bien drue qui frappe sur le toit du chapiteau, la musique commence douce et enveloppante, elle nous invite à un voyage sans boussole mais avec un nuage de notes qui nous tient chaud, une sorte de cocon rassurant et énivrant.
Seul, tout petit et fin au milieu de cette immense scène sombre, avec son instrument pour unique radeau, il enchaîne les morceaux comme de souples rubans.
C’est à la fois une merveille de simplicité apparente et de sophistication libre avec toujours en arrière plan un groove qui tient le gouvernail. Des bribes de classique, des éclats de bossa et la pluie qui tambourine aussi vite que les mains qui galoppent sur le clavier. ( Ses mains semblent d’ailleurs parfois indépendantes- aurait- il un double cerveau- et s’amusent l’une de l’autre). En jouant, il écoute la façon dont les idées se développent et l’ordre dans lequel elles se révèlent.
Un silence et une écoute impressionnante l’accompagnent. Peut être sait- il où il va ou peut être pas? Dans tous les cas le public suit cette musique effleurante qui se glisse à la fois dans l’âme, le corps et l’esprit. L’eau du ciel perle parfois sur les cils….
Qu’il nous offre un morceau écrit il y a peu, une revisite de George Harisson ou de Radio Head, ou bien une taquine danse irlandaise, on a le sentiment qu’il ouvre pour nous l’armoire aux trésors.
Les défis sont nombreux, à la limite de se perdre ( mais seulement à la limite), allant chercher la petite dissonance, le caché dans la mélodie symphonique des Beatles par exemple ou les confidences d’un morceau de Neil Young.
Si la couleur, l’atmosphère se prolongent à l’identique durant le concert, elles ne lassent pas car les techniques, les doigtés, les revirements, les ruptures changent sans cesse, ne donnant aucune impression de redites.
Des accents blues se glisseront même dans le dernier morceau pour se poursuivre sur une énorme tension entre les deux mains et se clôre par la douceur du début et la petite note bleue qui court…
Brad Melhdau c’est comme une confidence, un piano respectueux et décalé, humble et peu sage. Un miracle d’équilibre et d’inventivité. Un monde à lui tout seul.
Ce soir à Marciac, pour tous et pour chacun, de la tête aux mains, des mains à la tête, la mélodie a couru librement comme l’eau qui tombait du ciel.