Chilly Gonzales

Chapiteau de Marciac 26 juillet 2022

par Annie Robert , photos Laurent Sabathé.
Wonderfoule

Ce jeu de mots foireux ( sympa quand même) est le sien, à l’image du personnage Chilly Gonzales : barré, loufoque et irrévérencieux. Comme sa tenue habituelle pour entrer sur scène: calbut bleu, marcel blanc, robe de chambre douteuse et collier en or de maffieux. Il se fout bien du mauvais goût, il en fait même une marque de fabrique pour tenir à distance les fâcheux, les tenants de la bonne musique académique ou jazzistique. Si vous le croisiez dans la rue, vous lui donneriez dare dare 10 euros pour qu’il aille s’acheter un tee shirt à la recyclerie la plus proche…. le ton est donné et c’est parti…
Profondément formé et inspiré par la musique classique, c’est un pianiste plus que remarquable. Il en joue comme on caresse un chat, ou comme on martèle un bijou sur la petite enclume du joailler.

Mais il n’a de cesse d’en dépasser les limites, d’en extraire un jus succulent et mélangé. Provocateur forcément, potache indéniable mais d’un talent fou, il n’a de Gonzales ( Gonzo si on veut) que des lointains échos ( il est canadien) et il n’est farfelu qu’avec sérieux et raison.
Secouer le cocotier des normes classiques, faire rapper Antonio Salieri, reprendre le prélude en do majeur de Bach à cinq temps ou faire groover un quatuor à cordes de Chostakovitch… qui peut se permettre ça ? Regardez donc ses chaussons en peau de mouton….et vous aurez la réponse.
Il ne plat pas à tout le monde. Normal, l’humour n’est pas un bien partagé par tous.

Il entame le concert par deux pièces de facture dirait- on classique, assez sages à la première écoute. Histoire d’amadouer le public peut être.. Vous ne perdez rien pour attendre…Son piano est magique, d’un tonique assez renversant et la composition avec son balancement main gauche et ses superpositions sinueuses a des accents d’Eric Satie. Autour de lui, d’abord le violoncelle de Stella Le Page et le violon de Yannick Hiwat marquent les contretemps, martèlent les motifs. Parfaits, toniques et rondement impliqués. Puis des petites pointes de jazz moutardées se faufilent avec l’entrée de la batterie de Joe Flory.
Chilly Gonzales a un sens développé de la mélodie et de la composition avec des répétitions constantes de thèmes courts déclinés, barrés, triturés, revenant en fumerolles de dentelle ou en martélements incessants. Enthousiasmant, exigeant d’énergie. Bluffant, bluffant, bluffant.

Puis il se met pour quelques instants au piano solo (combien de temps, on ne sait pas, la dernière fois ce fut pendant 27 heures non stop…on a de la marge..) C’est un moment doux et calme, centré sur un petite mélodie fraiche comme une comptine à connotation latino. Mais attention, le dérapage est possible à tous moments, le tourbillon bouillonne sous l’eau claire et le ballet des lutins hargneux peut se muer en danse swing.
Entre une blague « je suis un chaud-man» et une confidence «Mon premier Marciac… j’ai intérêt à être à la hauteur, et vous aussi !!» il entame un rap avec une voix volontairement un peu crasseuse. Le public frappe des mains en suivant ses indications. Ca rit et ça s’amuse à fond aussi bien dans la salle que sur la scène. La chaleur monte d’un cran. On se dit : il ne va pas oser, mais si, il ose…
Son sens de la dérision est jubilatoire. Les paroles des chansons s’onomatopent. Il s’en sert d’éléments rythmiques. On attend, on craint, on espère le pire avec jubilation. Il joue avec ses coudes et s’il le pouvait avec ses gouttes de sueur. Le piano souffre et pas en silence.
Nous voilà face à un cabotin joyeux, farfelu mais surement profond dans sa démarche et que l’expérimentation n’effraie pas. Il s’y vautre avec entrain.

L’entrée en scène d’Anita Blay permet un duo délicieux. Sur les deux morceaux, le piano se met en retrait, au service de la chanteuse, en base rythmique folle ou en caresse délicate.
Et puis le concert va twister dans la folie pour notre plus grand plaisir. On se dit : il ne va pas oser davantage mais si, il ose…si, si…
Chilly Gonzales descend dans la salle, martelant un wonderfoule bain de foule….jusqu’à l’ivresse et à tue tête, tentant un lamentable crowd surfing ( le genre à Marciac , je vous jure…le pire de ma vie !! Revenant à dos d’hommes jusqu’à la scène) qui nous laisse plié de rire. Et on est totalement éclaté de bonheur et de joie. La salle s’emballe. On se dit : Il ne va pas oser plus, mais si, il ose encore plus…

Le premier rappel nous offre un truc funky et déjanté baptisé frénétiquement « Knight moves»
Lors du deuxième rappel, il improvisera sur quatre phrases qu’il fera chanter par le public, changeant de rythme, de couleur, de style et finissant les pieds sur le piano. On suffoque de plaisir.
Un troisième rappel de la (wonder) foule chantante à l’unisson nous offrira un morceau de
« JazzBACH » « j’ai tellement désaccordé le piano ( tu m’étonnes en tapant comme un forcené !) qu’il sonne comme pour du Bach. »
Puis un morceau chanté, volontairement trash « Open the kimono » very swing et joyeux finira ce concert d’exception, pour un artiste hors normes, hors champ, hors tout, loin du convenu, un showman éclectique et un instrumentiste inventif.

Celui qui transgresse plus vite que son ombre nous a offert jubilation, coup de poings au ventre et musique savante. On s’est dit : il ne va pas oser, mais non ? Mais si, il a osé… pour notre plus grand plaisir !!
Quel moment !!