par Solange Lemoine, photos Philippe Marzat.
Les 24 heures du Swing, Monségur, vendredi 5 juillet 2019
C’est vendredi… Monségur habillée de ses plus beaux atours fredonne un air de fête sous un soleil de plomb…
C’est parti pour un programme de swing – et bien plus encore – qui va nous ravir, nous séduire et nous enchanter ! Tout au long de ce week-end, sous l’œil bienveillant et attentif de Philippe Vigier, chef d’orchestre de ce brillant festival, nous allons écouter des musiciens d’envergure et danser à en perdre la raison !
30 ans de festival, ça se célèbre dignement et joyeusement, et dans l’excellence !
Act I. – Franck DIJEAU
En ce début de première soirée de festival, les rues sont encore un peu tranquilles car le rendez-vous est annoncé au cinéma EDEN.
J’arrive enjouée et curieuse, bien décidée à ne rater la moindre petite note de cette soirée, afin de la vivre et de vous la conter au plus près de mon ressenti …
Mais voilà, la Vie nous joue des tours; dans le hall de l’EDEN, de jeunes musiciens sont affairés dans une ambiance de backstage, les conversations feutrées du personnel posté devant les portes de la salle de concert vont bon train, les assiettes de chips s’amoncellent sur le comptoir… et si peu de public, je n’y comprends rien ! Alors soudain je percute, je comprends, » stupeur et tremblements » se joue pour moi en cet instant; ce n’est pas un début mais bien une fin. J’ai fait une confusion dans les horaires et le tout premier concert (ciné-concert) du pianiste Franck DIJEAU se termine dans quelques minutes.
Trouble et désarroi, comment est-ce possible, que faire ? Je fais les cent pas dans le hall, penaude et frustrée, mais bien décidée à pallier cette déconvenue.
Oui, la Vie nous joue des tours, c’est sûr, mais elle nous fait aussi de jolis cadeaux. Celui que je vais déballer pour vous, c’est Franck DIJEAU en personne qui me l’a apporté sur un plateau d’argent.
Après une performance au piano de 1h10, en solo et sans interruption, Franck DIJEAU a l’élégance, la gentillesse et la générosité de m’accorder une interview. Gratitude infinie pour ce moment partagé.
Je viens donc vous restituer et vous interpréter sa version de cette incroyable performance, émaillée d’impressions et de témoignages de chanceux spectateurs.
Mais alors, ce concert inédit au cinéma… de quoi s’agit-il exactement ?
Imaginez… sur la toile défilent les images d’un film de Buster Keaton, de 1927, en noir et blanc et muet bien-sûr. Au bas de l’écran se découpe la silhouette de Franck DIJEAU et son piano à queue, à l’œuvre, en live.
Il s’agit bien là de magie… magie entre la musique et le cinéma, magie de l’instant présent. Pendant 1h10 (mais oui), au fil des 24 images/seconde, Franck DIJEAU improvise blues, swings, ragtimes et autres couleurs sonores, illustrant en musique les ambiances, les événements, les intrigues et les états d’âme des protagonistes du film projeté…
Quel film ? Quelle histoire ? Il s’agit de « Sportif par amour » (titre original « College »), une histoire d’amour rocambolesque à la Buster Keaton, avec Buster Keaton et ses grands yeux !
Pour séduire une jeune fille dont il est éperdument amoureux, un brillant intellectuel qui méprise le sport (il est à vrai dire assez peu doué) s’essaie à toutes les disciplines de l’athlétisme au risque de sa vie. Le jeune homme gagne enfin une course d’aviron et part à la rescousse de sa belle, séquestrée par son prétendant officiel, portant beau et très jaloux. Lui prouvant ainsi qu’il est un athlète accompli, il la libère. Elle est conquise. Les amoureux se marient, ont de beaux enfants et vivent heureux jusqu’à leur dernière demeure, dans deux coquettes petites tombes… côte à côte ! Arrêt sur image.
La vie, l’amour, la mort, la société américaine, l’émancipation de la femme … autant de sujets très sérieux abordés très subtilement et pas toujours sérieusement.
Le piano de Franck DIJEAU raconte ce même scénario, en même temps, mais vécu de l’intérieur et traduit en musique et vient réveiller l’histoire intime et singulière de chaque spectateur. La danse des doigts sur les touches blanches et noires donne naissance à l’expression musicale des émotions, des sentiments, des comiques de situation et vient toucher au cœur. Amour, tristesse, déception, joie, désespoir, courage, colère, jalousie, ridicule, méchanceté, fuite, honte, mélancolie, satisfaction, faiblesse, certitude, manipulation, tendresse, détermination, victoire, plénitude… j’en oublie tant le registre est riche et varié. Vous connaissez bien tout cela je présume, ce n’est autre que la vraie vie.
Ainsi, Franck DIJEAU réalise un exploit fabuleux au piano pour ainsi jouer pendant 1h10, en quête de l’accord parfait et du rythme juste afin d’exprimer et appuyer les scènes du film dans ses moindres coins et recoins, fidèle à l’œuvre de Buster Keaton. Quel talent, quelle dextérité, quelle présence sans faille et quel feu sacré pour ainsi réussir à traduire « La Vie » en musique et l’offrir au monde…
A la sortie, le public est comblé, étonné, amusé, grave ou secoué parfois… en tout cas, touché en profondeur par ces talents associés et par les touches blanches et noires du piano de Franck DIJEAU (et de la Vie).
C’est avec enthousiasme que le public reviendra dimanche à Monségur afin d’avoir le plaisir de retrouver Franck DIJEAU, cette fois avec tous les musiciens de son Big Band, pour un magnifique concert sous les tilleuls (cf chronique des jours suivants). La performance au piano lui sera plus familière mais n’en sera pas moins exceptionnelle !
Et pour ceux qui auraient envie de voir ou revoir le film de Buster Keaton, il est accessible dans son intégralité sur Youtube. Je vous le recommande.
Act II. – Joseph GANTER Trio
II.1 – Dans le hall du cinéma
Je vous parlais de jeunes musiciens dans le hall… ils se sont installés en formation et nous présentent leur combo. Ce sont des élèves de 3ème de la section Jazz du collège Eléonore de Provence de Monségur, ceux que nous irons écouter les prochaines années et que nos enfants applaudiront avec enthousiasme !!!
Ces grands musiciens en devenir sont déjà très inspirés, ils sont audacieux et travaillent dur sous la direction de leurs professeurs, formidables musiciens et pédagogues que nous aimons tant écouter en Nouvelle Aquitaine.
Ce soir, ils nous interprètent brillamment des standards qui nous saisissent l’oreille, Wayne Shorter et bien d’autres grands compositeurs sont à l’honneur.
Ces élèves ont la chance d’aller cet été présenter leur combo au festival de Nish, en Serbie. Nous leur souhaitons une riche expérience musicale, de belles amitiés et un très beau voyage !
II.2 – Dans la salle de cinéma
Impatients, nous nous serrons pour entrer dans la belle salle du cinéma EDEN afin de voir et écouter Joseph GANTER en trio.
Philippe Vigier nous présente Joseph GANTER qu’il connaît bien et depuis longtemps. La salle est comble et déjà enthousiaste, ce qui nous laisse à penser qu’un très petit nombre de spectateurs ne connaisse déjà ses inoubliables pépites musicales, en concert dans la région ou ailleurs.
Joseph GANTER, piano et voix, est accompagné de ses fidèles compères, Didier VAUDRON à la contrebasse et Guillermo ROATA à la batterie (et « voix » espagnole).
Un trio donc: 3 chemises blanches qui se dessinent sur un rideau de scène » bleu jazz « , 3 pairs de mirettes espiègles qui n’ont cesse d’échanger des regards vifs et entendus au-dessus d’un piano, d’une contrebasse et d’une batterie …
Des standards de jazz librement arrangés, quelques compositions très personnelles hautes en couleurs ainsi que d’incontournables reprises de thèmes de la chanson française se succèdent et sont tous évocateurs d’une palpable et envoûtante joie de vivre… et puis du scat, un scat à vous faire décoller tout autour de la terre ! Même » les feuilles mortes « tournoient et virevoltent dans la joie, sans tristesse ni nostalgie.
Joseph GANTER ne joue pas du piano avec ses doigts, ni même avec ses mains mais avec son corps tout entier, impliqué et vibrant à chaque note dans une souplesse étonnante. Ses pieds toujours en mouvement n’en ratent pas une miette, ils dansent sans cesse, comme deux petits personnages en perpétuelle évolution dans l’espace.
Joseph GANTER danse avec le piano, avec les touches, avec les notes, tout en maintenant un lien fort et omniprésent avec le public et avec ses musiciens. Son visage particulièrement expressif joue chaque note de la partition … sans partition évidemment.
Mais « que reste-t’il de nos amours« ? Je vous le demande. Le message susurré au public est » I whish you love » et c’est bien là un des points culminants de la soirée… nous sommes comblés et ça fait un bien fou !
Les deux complices de Joseph GANTER ne manquent pas de tenir leur place… musicalement très présents, mais pas que ! Le jeu de baguettes « espagnoles » de Guillermo ROATA a le pouvoir de faire naître un sourire, voire un rire franc, à nos lèvres suspendues ! L’humour tout en finesse et la virtuosité vont de pair. Quant à la contrebasse de Didier VAUDRON, elle embrasse toute la scène, bonne mère de l’ensemble dans des sonorités graves, profondes et extrêmement chaleureuses.
Lors de cet embarquement immédiat nous avons pris le « Take the A train« de Duke Ellington pour « Gottingen« (plus mélancolique j’avoue) et nous avons cheminé vers un ailleurs aux horizons chamoirés, passant par un blues mineurs ou un « Caravan« fougueux et galopant en toute liberté.
Quel voyage !
Avec Joseph GANTER Trio, le terme « jouer de la musique » prend tout son sens. Nous avons passé un excellent moment, si gai, si léger.
Et … Félicie aussi !
Act III. Florence FOURCADE et Christian ESCOUDE
Une heure d’intermède pour changer d’univers et nous voici à nouveau installés dans un fauteuil confortable.
C’est avec une violoniste de renom et de très grand talent, Florence FOURCADE, que nous avons l’honneur et le plaisir de poursuivre cette soirée, accompagnée de son trio et de son invité mythique, le tout aussi grand guitariste, Christian ESCOUDE.
Je suis particulièrement heureuse d’écouter une femme violoniste de jazz car c’est finalement assez rare et je n’ai encore pas eu la chance de vivre un concert de Christian ESCOUDE… c’est vous dire si je suis attentive et heureuse.
Florence FOURCADE entre sur la scène, suivie des autres musiciens. Elle est habillée tout de noir très noir souligné par une bague rouge très rouge. L’artiste prépare tout d’abord son violon, délicatement, religieusement. Ils semblent tous deux en prière. Ils se souhaitent une bonne soirée et se promettent un beau concert, comme un couple qui s’aime et se prépare à sortir, en tenue de soirée.
Florence FOURCADE vient lover son violon parfaitement à sa place au-dessus de son épaule qu’elle a préalablement recouverte d’un foulard rouge, très rouge, comme un écrin. Ce temps de préparation semble un rituel d’entrée dans le sacré, c’est magnifique.
Tout est prêt. Christian ESCOUDE s’est assis à la droite de Florence FOURCADE, sa guitare légèrement inclinée. Quelques petites notes ci et là (si et la peut-être) tombent encore en pluie fine, puis la contrebasse et la batterie démarrent, suivis de très près par le violon.
Le concert commence. Un hommage sera rendu ce soir tout particulièrement à Stéphane GRAPPELLI et Django REINHARDT par l’interprétation de standards qu’ils affectaient l’un et l’autre tout particulièrement. Le premier standard sera le fameux « How High the moon », il annonce un concert vraiment exceptionnel et sera suivi de « Fascinatin’rhythm », cher au cœur de Stéphane GRAPPELLI.
Certains, dans cette salle, sont très émus car ils se souviennent du concert de Stéphane GRAPPELLI, ici-même à Monségur, en 1995. Il devait nous quitter seulement deux ans plus tard.
Un « Troublant boléro » vient ensuite nous envoûter, on se laisse faire sans résistance aucune, c’est délicieux.
Christian ESCOUDE est sans nul doute l’un des plus grands guitaristes de jazz de la scène internationale. Il est à l’origine issu du milieu manouche et s’est forgé un style singulier dans les canons du jazz bop, teinté d’influence tzigane. Son phrasé est absolument unique.
En duo avec Florence FOURCADE, nous avons le privilège de vivre de grands moments musicaux.
Trois brillants musiciens accompagnent ce soir ces deux géants du jazz, le guitariste Claude BASSO qui s’est installé à la gauche de Florence et nous dévoilera ses talents en solo, Hubert ROUSSELET, juste derrière, qui joue de la contrebasse, une contrebasse particulière, dessinée et conçue pour des transports en avion allégés, très belle. Enfin, le batteur Thierry LAROSA, sans qui nous pourrions perdre le rythme fait de la magie avec ses baguettes et nous livre une palette de sons toute en nuances.
Les mélodies se succèdent, nous sommes embarqués pour un grand et beau voyage musical ; tranquillement assis, les paysages musicaux défilent et il est bien difficile de se retenir de bouger. Le son du violon nous ensorcelle, la guitare vient nous surprendre. Et puis Florence FOURCADE nous fait la surprise de scatter et nous entraîne dans un autre registre de son monde. Toute la salle est suspendue à ses lèvres, puis à celles de son violon qui reprend de plus belle.
Ainsi, la soirée se déroule bien vite, trop vite, d’une mélodie toute en douceur de Cole Porter, « night and day », nous passons à un autre standard particulièrement entraînant « Pent-up-house » de Sonny Rollins.
Florence FOURCADE semble parfois s’envoler avec son violon. La soirée se termine en beauté avec « les yeux noirs » auxquels il est impossible de résister ! Quel plaisir !
C’était un somptueux concert, merci Florence et merci Christian, merci à vous tous musiciens d’être venus pour nous de Toulon, de Salon de Provence et d’ailleurs, par cette chaleur. Dès que possible nous vous retrouverons avec joie et en attendant nous rêverons éveillés en écoutant vos derniers CD, fraîchement pressés, le soir sur la terrasse au coucher du soleil.
…..Et pendant ce temps là Rix, en trio avec Shob et Olivier Léani, enflammait les arcades !
La suite du festival bientôt…