Tempo Jazz et le Modern’Jazz

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Un peu d’histoire

Quand on évoque le mot jazz ce n’est pas la danse qui vient de suite à l’esprit, mais la musique. Et pourtant les deux sont intimement liés et cela depuis toujours. Bien avant que le jazz proprement dit ne naisse au début du XXe siècle, les danses des esclaves se sont mêlées à celles des colons venus d’Europe. Dès le XVIIIe siècle, les premiers, privés d’instruments de musique créé un langage fait de percussions corporelles, de travail rythmique des pieds leur danse produisant ainsi de la musique. Ce « braconnage » qui mêle danses africaines et culture européenne, permet au Noirs de s’inventer une culture originale en résistance. Au XIX e siècle les Blancs commencent à s’approprier les danses et musiques noires comme par exemple dans les Minstrel Shows où ils se griment le visage en noir, les black faces. Fortement racistes ces spectacles véhiculent tous les clichés justifiant la supériorité blanche. Les Noirs finissent par intégrer ces shows dansant mais dans des rôles comiques, souvent à leurs dépends, ou pour des performances athlétiques. Le Cakewalk, danse parodique des Noirs envers les Blancs, arrive à la fin du siècle préfigurant les danses du ragtime et du jazz.

On date le début du jazz en tant que tel à 1917. Pour la danse, le mot jazz englobe entre autres le charleston, le Black Bottom, le Lindy Hop. Les dancings fleurissent, la comédie musicale est naissante et le métissage continue mais au profit des Blancs qui s’accaparent ces danses ; les créateurs noirs sont rendus invisibles, ils jouent les utilités. La revue nègre en est un exemple. Dans les années 30 arrive le Swing et ses grands orchestres, du jazz « café au lait » diront certains. La comédie musicale de Broadway prend son essor mais avec des danseurs blancs principalement, le cinéma s’en empare. Très standardisée et théâtralisée, la danse jazz y perd son caractère subversif . L’aspect visuel est privilégié au naturel de ces danses. Ce sont les big bands noirs qui vont relancer les danseurs de couleur leur permettant les improvisations, les structures rythmiques complexes. Si vous ne l’avez jamais vu allez voir cette formidable vidéo des Nicholas Brothers avec l’orchestre de Cab Calloway. https://youtu.be/_8yGGtVKrD8

Le rythme est l’élément essentiel de la danse jazz comme le confirme Duke Ellington dans une de ses compositions « It don’t mean a thing, if you ain’t got that swing » (ça ne veut rien dire si ça ne balance pas). Le travail des pieds y est fondamental, le sol, la terre relancent l’impulsion. Ce sera toujours la différence avec les autres styles de danses, classique ou moderne.

Les années 40 voient le jazz évoluer fortement, le be-bop casse les codes du swing, il redevient militant, les formations sont plus réduites, on écoute assis, on danse beaucoup moins.

Il faudra attendre la fin des années 60 pour voir apparaître le « Modern’Jazz » mêlant toutes les influences chorégraphiques. Le corps y redevient expressif, les règles chorégraphiques ont déjà été cassées, réinventées. Citons Jerome Robbins (West Side Story), Jack Cole créateur du « ballet jazz de Broadway ».

Le Modern’Jazz s’ouvre à d’autres musiques, le free, le rock, elle commence à se développer dans les écoles de danse dans les années 70 pour vraiment se faire une place dans les 80’s . Sa finalité devient scénique, nécessite des savoirs et des savoir-faire. Elle se case entre la danse classique et la danse moderne, apportant plus de diversité, de changements de rythmes, d’exercices avec toujours cet ancrage au sol d’où tout part. C’est une discipline à part entière faite pour un large public.

Tempo Jazz

Tempo Jazz est une association basée au Haillan qui propose parmi, ses nombreuses activités, des cours de Modern’Jazz dirigés par la professeure et chorégraphe Marie-Hélène Plassan. Celle-ci connait bien le jazz, elle a durant près de 20 ans participé aux festivals de Monségur et de Souillac. Elle y a animé des ateliers de danse enfants et adultes et organisé des performances dansées dans les rues aves ses danseuses et les musiciens des festivals.

C’est ainsi qu’Action Jazz s’est rendu à l’Entrepôt, la belle salle de spectacle de la ville, où se déroulait le gala de fin de saison de l’association Tempo Jazz. Enfants, adultes, amateurs pour la grande majorité ou futurs pros pour certains, nous ont offert un spectacle éblouissant de couleurs, d’inventivité et de danse ! La danse y rejoint en effet d’autres arts, la peinture, la sculpture « des images apaisées dans un musée imaginaire » selon la chorégraphe. Le spectacle s’appelle « Hors Cadre » les nombreux tableaux – c’est vraiment le terme approprié – évoquant Gauguin, Monet, Delaunay, Derain, Matisse, Klein, Mondrian… mais aussi Rodin et même le Street Art. Musicalement, on l’a dit, pas forcément du jazz, certes « Summertime », du Broadway avec « Cabaret », « New York, New York » mais aussi Massive Attack, Beyoncé, Messian, Bachar Mar-Khalifé, d’autres et des créations comme les percussions d’Ewa Tohinnou présent sur scène. 13 tableaux, près de 130 danseuses et une petite poignée de danseurs (le modern jazz est pourtant tellement mixte dans sa forme) pour un spectacle d’une densité et d’une inventivité remarquables pour des amateurs.

Sur scène ça vit, ça bouge, dans une mise en scène à l’esthétique recherchée tout en restant simple, c’est la danse la vedette. Des enfants encore en apprentissage mais mis en valeur par des chorégraphies adaptées, aux adultes plus chevronnées (allez, le féminin l’emporte cette fois !) pour des tableaux dynamiques rythmés, synchronisés, c’est un véritable tourbillon qui s’empare de la scène aux lumières changeantes et élégantes. Des tableaux esthétiques superbes comme ces jeux de bras époustouflants, ou ces explosions de couleurs.

Nous étions déjà venus ici au temps du spectacle « Accords à corps » (voir liens ci-dessous) où Marie-Hélène Plassan collaborait avec des musiciens internationaux sur scène réunis par Olivier Gatto. Dommage que ce spectacle n’existe plus, danseurs et musiciens ensemble sur scène lui donnait un réel cachet.

Un coup de chapeau à Marie-Hélène Plassan qui de la chorégraphie à la conception des lumières en passant par la création des costumes (réalisés par Monique Blain) et la mise en scène, a réussi à amener ses élèves à ce niveau, qu’ils soient petits ou grands.

https://www.tempo-jazz-le-haillan.fr/

Sources bibliographiques :

« C’est quoi la danse jazz ? » par Jazzpulsions, le magazine des danses jazz

« Enseigner la danse jazz » par Odile Cougoule – Centre National de la Danse

Liens vers les articles sur « Accords à Corps » :

https://blogactionjazz.wordpress.com/2016/02/11/accords-a-corps-lentrepot-le-haillan-le-06022016/?fbclid=IwAR05zaKnJOwTyxEtn_n7op_jNPAyUH8nfTJgmTUSjc7w06xvcak9uFA-MQM

https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/accords-a-corps/

https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/accords-a-corps-une-eclatante-sobriete/

https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/accords-a-corps-jazz-et-danse/

Galerie photos de Philippe Marzat :