par Philippe Desmond, photos Thierry Dubuc.

L’Enrepôt, le Haillan (33) le 3 février 2018

6ème édition à l’Entrepôt du Haillan d’Accords à Corps mêlant jazz et danse. Particularité de ce spectacle, c’est une création pour une représentation unique. Unique elle l’est, au sens propre, une fois, comme au figuré, exceptionnelle.

Tout commence par la musique, du jazz. C’est Olivier Gatto le responsable musical. Le contrebassiste et compositeur vivant au Haillan est une figure historique – et oui le temps passe – du jazz bordelais. Ayant une formation et une carrière internationales il côtoie d’autres grands musiciens dans le monde entier. Il en a même épousé une en la personne de Shekinah Rodz l’américaine d’origine porto-ricaine. Elle sait tout faire, chanter, jouer du sax alto ou soprano, de la flûte, des percussions. Avec eux cette année quelques habitués et une nouvelle venue. Chez les premiers, le batteur américain Justin Varnes qui fût un des professeurs de Shekinah à Atlanta, le pianiste grec Dimitris Sevdalis qu’Olivier a connu quand il vivait en Grèce et le saxophoniste New Yorkais, Sam Newsome qui étudiait à Berklee en même temps que lui. Tous ces musiciens ont des carrières internationales et sont très demandés dans le milieu tout comme la dernière arrivée, la violoniste d’origine japonaise Meg Okura. Allez voir son pedigree, elle a joué avec la terre entière, des Brecker Bros à David Bowie en passant par Dianne Reeves, Steve Swallow et même le Cirque du Soleil. Elle est aussi l’épouse de Sam. Ce groupe à géométrie variable se nomme Spiritual Warriors Orchestra.

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Nous sommes ce soir quelques-uns à avoir profité, avec ces six musiciens, du pré-spectacle de mercredi dans l’église voisine ; concert acoustique, plein de surprises musicales, d’Herbie Hancock à Peter Gabriel. Plus de monde ce soir-là qu’à la messe du dimanche…

Aujourd’hui aussi c’est complet et depuis des semaines ; il y a certes beaucoup d’amis et de familles des nombreux danseurs sur scène mais aussi d’autres, comme nous, qui sont là pour la beauté habituelle du spectacle.

Le spectacle s’organise près d’un an à l’avance, Olivier Gatto propose les musiques aux trois compagnies de danse présentes, les chorégraphes se mettent au travail et la semaine précédant la représentation tout se met en place. Ainsi c’est plus de soixante danseuses et danseurs qui participent, venant du Pôle d’Enseignement Supérieur de la Musique et de la Danse de Bordeaux (qui délivre des diplômes d’Etat), du Jeune Ballet d’Aquitaine (qui propose aussi une formation diplômante) et de Tempo Jazz une association locale d’amateurs.

Nous voilà donc partis pour une heure trente d’émerveillement musical et visuel. On va alterner entre les passages uniquement musicaux et les ballets. Le groupe attaque avec un titre que l’on finit par identifier, bien aidé par le programme : « Padam Padam » la rengaine de Piaf qu’Olivier a arrangée ou plutôt dérangée. Un départ à deux sopranos, Sheki et Sam, en unisson aux accents free, puis des suggestions du thème par Meg, des variations, des surprises, du calme, de la frénésie, une vraie métamorphose de ce titre ; pour quelqu’un qui n’aime pas Piaf – pas trop moi non plus – bravo Olivier !

Premier tableau sur « After the Morning » de John Hicks avec le JBA et tout commence à virevolter avec une bonne vingtaine de danseuses et de danseurs, seulement deux… On s’enfonce dans son fauteuil et on se laisse faire.

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Une très jolie ballade inédite d’Olivier Gatto « La Luna e i falo » aux nuances latinas et ensuite  le ballet par TJ sur « Sweet Love of Mine » de Woody Shaw. Originalité de la mise en scène avec ces chandeliers mobiles et un duel engagé entre Shekinah aux congas et Justin aux baguettes.

Autre composition inédite d’Olivier avec « la neve portata dal vento » ; il revendique ses origines italiennes. Sam Newsome nous embarque au soprano, en respiration circulaire toujours impressionnante et en agitant de gauche à droite son instrument provoquant un effet sonore insolite en musique (Doppler pour les connaisseurs). Belle intervention de Meg qui plaque la douceur du violon sur une rythmique circulaire engagée, dialoguant avec la flûte ; des breaks suspendus, un très beau travail d’arrangement d’Olivier Gatto.

Arrive un ballet éblouissant sur une musique ancrée dans nos têtes, un meddley de West Side Story. Les trois compagnies envahissent la scène et la salle !

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Un tourbillon de couleurs, de cris, de joie de danse bien sûr dans le plus pur esprit de Broadway. « Maria Maria » tout en douceur puis « America » endiablé. Un enchantement !

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Retour au calme avec « Il sogno di Danilo », Shekinah s’amusant avec la flûte et un son de contrebasse magnifique de profondeur.

Déjà le huitième titre avec « Rosewood » de Woody Shaw et le JBA tout de blanc vêtu.

Novice en la matière je reste ébahi par la créativité des chorégraphes. Rappelons que c’est ici à eux de s’adapter à l’offre musicale. De plus il s’agit de jazz avec son volet de liberté d’improvisation pas forcément compatible avec l’univers codifié de la danse surtout comme ici en ballet collectif ; il y a bien eu quelques passages improvisés des musiciens, les danseurs et danseuses devant s’adapter,et sans que cela ne se voit, les regards entre les uns et les autres suffisant pour se comprendre. Mais il y a eu une improvisation totale quand Sam Newsome seul, a de son seul soprano, permis à tour de rôle à cinq danseuses d’exprimer  leur propre créativité. Des instants magiques d’une beauté pure, où deux artistes en parfaite osmose dialoguent dans l’instant.

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« These Times » de Mike Stern, un blues magnifiquement arrangé avec des unissons violon sax alto uniques et des musiciens au service de la danse, un œil sur les partitions un autre sur le ballet, ici par le PESMD. Quel travail en amont et pour une seule représentation !

Shekinah n’a pas encore chanté c’eut été dommage, alors « Es Ella » sa propre composition.

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C’est le moment du final, du bouquet final même avec toute la troupe et sur une salsa sur laquelle Dimitris, un des meilleurs spécialistes européens du genre, va brûler son clavier et nous imprimer dans la tête le thème principal.

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C’est déjà fini, nous n’avons pas vu passer les minutes, nous étions en dehors du temps, embarqués dans une féerie. Et dire que l’an dernier j’étais venu à ce même spectacle uniquement pour entendre les musiciens… Quand je pense que j’aurais pu passer le reste de ma vie en dehors de cette beauté.

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A l’année prochaine, le 9 février 2019.