Magma, l’éternité renouvelée

par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier

Théâtre Fémina, Bordeaux le 6 mars 2020.

Magma fait partie de ces choses immuables – ou qui semblent l’être – qui vous suivent toute une vie. 50 ans qu’ils sont intemporels. Intemporels et inclassables. Que font-ils là dans le blog d’Action jazz ? C’est tellement original que ça va avec tout aurait dit ma grand mère. Il n’y a d’ailleurs qu’un seul mot pour étiqueter cette musique c’est « Zeuhl ». Du jazz, elle a un Z et la liberté totale, parfois les racines tribales mais qu’importe !

Magma c’est aussi un culte, païen bien sûr, dont les pratiquants sont les fidèles depuis toujours. Ca commence (!) d’ailleurs à se voir sur les visages et les cheveux quand il en reste ; tous les jeunes des 70’s sont là ce soir. C’est en 1974 que je les ai vus pour la première fois, sur le sable, à Canet en Roussillon, dans une arène éphémère montée sur la plage. Aujourd’hui c’est la cinq ou sixième fois, petit joueur par rapport à certains qui les comptent par dizaines ou même plus. Il n’y a pas que Magma dans la vie, dans ma vie, mais il y a toujours Magma et si je me considère comme croyant, je ne suis pas un pratiquant assidu, que les esthètes du groupe me le pardonnent.

Le cristal des lustres et les ors de la salle vont trembler au Fémina, un lieu historique de la musique bordelaise choisi par Patrick Duval pour ce « Rocher hors les murs ». Toujours dans son jus la salle est donc elle aussi vintage ce soir si tant est que ce qualificatif s’applique à ce groupe. Un volcan toujours en fusion est-il vintage, je ne le pense pas.

Immuable disais-je plus haut, on le pensait aussi pour McCoy Tyner dont une rafale de RIP Facebook nous apprend la mort juste avant le concert. McCoy, l’ami, le complice de Coltrane, Coltrane une des icônes de Christian Vander… L’a t-il appris avant de monter sur scène ?

Un concert de Magma ne se raconte pas, il se vit, il se ressent. D’ailleurs ça me fait le même effet à chaque fois, cette nécessaire période d’accoutumance avant de rentrer dans la musique et je sais que je ne suis pas le seul.

Surtout ce soir car l’esprit est occupé par les nouveautés du groupe pas mal rebâti fin 2019. Des piliers sont partis, la polémique a même été rude dans le milieu Zeuhl, Christian Vander a dû venir s’expliquer devant le tribunal des réseaux sociaux, une affaire d’Etat presque. Simon Goubert au e-piano (plus connu comme batteur ! ) est de retour après une pause de près de 25 ans.

Le légendaire Jannick Top, pourtant resté très peu de temps dans le groupe, lui n’est pas revenu mais nous a envoyé Jimmy Top son fils, qu’il ne peut renier ; Top c’est leur nom, ils y sont. Et côté jardin aux claviers c’est un Girondin le vrai nouveau, Thierry Eliez. Tout ses potes musiciens sont dans la salle, il peut y aller tranquille, ils l’aiment et vont vite voir qu’il a enfilé avec délectation les habits de circonstance.

Trois nouvelles choristes à ses côtés, Sandrine Destefanis, Sylvie Fisichella et Laura Guarratto, la filière italienne ?

Au chant aussi Hervé Aknin présent depuis 2008, et bien entendu les irremplaçables Isabelle Feuillebois et Stella Vander. A la guitare, et depuis 4 ans, Rudy Blas.

Au centre, au milieu de ses sept cymbales dont deux énormes chinoises, le coupable de tout cela, celui qui n’a pas changé sa trajectoire artistique et son cap personnel et tellement remarquable, Christian Vander. Le temps lui a donné raison, il est toujours là et adulé quand tant d’autres ont disparu. Qui aurait parié sur lui et son projet fou il y a maintenant plus de 50 ans ?

A noter derrière lui un assistant prêt à intervenir pour tout détail technique à régler. Une telle machine nécessite son mécanicien vigilent. Amusant de le regarder vivre lui aussi la musique.

Alors comment sonne t-il ce « nouveau » Magma ? Comme Magma ! Car Magma c’est avant tout sa musique et les musiciens sont à son service, pas l’inverse. Cette écriture complexe, ces variations imprévisibles, cette puissance, parfois cette violence, ces voix célestes qui l’adoucissent et la subliment. Qui comprend le Kobaïen ici, qui a besoin de le comprendre ? Personne. Il est musique lui aussi, pas d’interprétation, pas de message sinon celui de la force de la musique.

Pas la peine de passer en revue chaque musicien, Magma c’est une fusion d’éléments, chacun a son importance dans cet atelier de forge où le marteau pilon et la délicate sculpture d’arabesques façonnent cette matière écarlate et ductile. Magma c’est toujours une nouvelle expérience, une découverte réinventée, un moment spécial, un bonheur.

Deux rappels seront nécessaires pour modérer la fougue du public qui aurait passé la nuit ici. Quand on verra Christian rameuter ses troupes avec ardeur pour encore un autre titre on comprendra que le bonheur d’être là est partagé

La suite pour eux et leur tournée est indécise nous dira Stella, souhaitons que le Magmavirus 50 ait la peau de son concurrent !